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Le Maroc : une indépendance politique et diplomatique au cœur des équilibres moyen-orientaux

Par: Marco BARATTO

Par: Marco BARATTO

Chaque 18 novembre, le Maroc célèbre sa Fête de l’Indépendance, un moment fondateur qui marque la fin du protectorat français et la récupération pleine et entière de la souveraineté nationale en 1956. Mais cette souveraineté, loin d’être un acquis figé, s’est transformée au fil des décennies en une véritable indépendance diplomatique. En d’autres termes, le Maroc n’est pas seulement un pays politiquement autonome ; il est devenu un acteur international qui ne dépend d’aucune puissance pour définir sa stratégie extérieure, ses priorités régionales et sa manière d’agir dans les crises autour de lui.

Cette année, la commémoration se déroule dans un contexte symboliquement fort : le 50ᵉ anniversaire de la Marche Verte. Cette convergence de dates renforce l’idée d’un double héritage — celui de la libération nationale et celui de la consolidation territoriale — qui continue de structurer la vision géopolitique du Royaume. En combinant la mémoire de l’indépendance et celle de la Marche Verte, le Maroc met en avant une identité nationale façonnée par la patience, la détermination et une volonté profonde de stabilité. Et cette même identité se reflète de manière frappante dans son comportement diplomatique, notamment au Moyen-Orient.

Dans une région marquée par les rivalités, les changements d’alliances et les crises récurrentes, le Maroc adopte une posture unique : il ne s’impose pas par la puissance militaire, ni par des déclarations spectaculaires, mais par une politique étrangère méthodique, discrète et profondément stratégique. Le Moyen-Orient n’est pas sa zone d’influence directe, mais il y joue un rôle singulier, crédible et souvent sous-estimé.

La guerre à Gaza a illustré avec clarté ce positionnement. Alors que de nombreux acteurs régionaux ont opté pour une diplomatie fortement médiatisée, Rabat a choisi la voie de la mesure et du travail silencieux. Pour le Royaume, la « cause palestinienne » est qualifiée de « cause nationale », un élément identitaire et politique solidement ancré. Pourtant, loin de s’engager dans la surenchère verbale, le Maroc a préféré une diplomatie pragmatique, centrée sur l’action concrète et la recherche de résultats tangibles.

L’un des signes les plus révélateurs de cette approche a été le passage des aides marocaines à Gaza par l’aéroport Ben Gourion. Ce choix logistique, en apparence technique, constitue en réalité un message politique sophistiqué. En utilisant les canaux officiels israéliens pour acheminer l’aide humanitaire, Rabat rappelle une vérité essentielle : même dans les tensions les plus aiguës, garder des voies de communication ouvertes peut devenir un outil diplomatique puissant. Le Maroc, qui entretient des relations avec Israël, assume ce lien non pour s’éloigner du monde arabe, mais pour consolider un espace d’influence où il peut agir comme facilitateur discret.

Dans le même temps, il est plausible — même si cela reste du domaine de l’analyse — que le Royaume ait contribué indirectement aux médiations menées par d’autres acteurs arabes tels que le Qatar. Doha apparaît sur le devant de la scène, négociant cessez-le-feu et échanges d’otages. Mais derrière toute médiation visible existent des réseaux parallèles, des dialogues informels, des passerelles diplomatiques. Le Maroc, grâce à son capital de crédibilité auprès d’Israël, des Palestiniens, mais aussi des partenaires occidentaux, pourrait avoir servi de maillon complémentaire, renforçant un climat propice aux discussions.

Cette capacité à évoluer dans un espace diplomatique complexe n’est pas le fruit du hasard. Elle découle d’une longue tradition marocaine de gestion équilibrée des relations internationales. Depuis l’indépendance, la monarchie marocaine a façonné une politique étrangère fondée sur trois principes : la stabilité, l’autonomie et l’ouverture. Cette triade permet au Royaume d’être un acteur qui ne subit pas les dynamiques moyen-orientales, mais qui y intervient selon ses propres priorités, sans se laisser entraîner dans les blocs rivaux.

Ainsi, l’indépendance que le pays célèbre chaque 18 novembre doit être comprise comme un concept élargi : non seulement la libération d’un protectorat, mais l’affirmation continue d’une diplomatie souveraine, qui refuse les alignements automatiques. Dans un Moyen-Orient souvent dominé par les polarisations — entre Iran et monde sunnite, entre axes pro-occidentaux et anti-occidentaux — le Maroc maintient une position d’équilibre rare. Il dialogue avec tous, ne s’oppose à personne par principe, et défend une stabilité régionale qui correspond aussi à ses propres intérêts stratégiques.

Pour les Européens, analyser le Maroc sous cet angle est essentiel. Trop souvent réduit au rôle de partenaire migratoire ou économique, le Royaume est en réalité un acteur diplomatique à part entière, doté d’une vision claire de son rôle au sein du monde arabe et d’une stratégie cohérente vis-à-vis des crises moyen-orientales. Le comprendre exige une approche plus fine, plus scientifique, attentive à la subtilité de ses méthodes.

La Fête de l’Indépendance devient alors un prisme pour lire la politique étrangère marocaine : un moment qui rappelle que l’indépendance n’est pas seulement un héritage, mais un exercice quotidien de souveraineté. Un pays véritablement indépendant n’est pas uniquement celui qui se gouverne lui-même, mais celui qui maîtrise sa place dans le monde. Et le Maroc, silencieusement, patiemment, a construit cette place au Moyen-Orient : celle d’un acteur qui ne revendique pas la centralité, mais qui, souvent, contribue de manière décisive aux équilibres régionaux 

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