ACTUALITÉLe K de le direSOCIÉTÉ

Le Management Multisite des Cliniques Privées au Maroc : Entre Rigueur et Adaptation

Par: Dr Redwan Frej, Directeur des polycliniques Addaman

Par: Dr Redwan Frej, Directeur des polycliniques Addaman

La nouvelle réalité des groupes de cliniques

Depuis quelques années, le paysage de la santé privée au Maroc connaît une mutation profonde. L’essor des groupes de cliniques multisites a transformé la manière d’organiser les soins, de gérer les ressources et de piloter les performances. Ce modèle, encore en construction, impose une gestion plus complexe que celle d’un établissement unique.

Car diriger plusieurs structures de santé, parfois implantées dans des villes différentes, ne consiste pas seulement à multiplier les méthodes déjà éprouvées. C’est un changement d’échelle qui appelle à repenser la gouvernance, les outils, la communication et la culture d’entreprise.

Un défi de cohérence et de proximité

La première difficulté réside dans la nécessité de garantir une cohérence de fonctionnement entre toutes les cliniques du groupe. Les patients, les médecins et les partenaires attendent une identité claire, une qualité homogène, une expérience similaire. Or, chaque établissement conserve son histoire, ses équipes, ses contraintes locales.

L’équilibre se joue donc entre standardisation et adaptation : définir des règles communes sans gommer la spécificité de chaque site. Cela suppose un pilotage central fort, mais aussi une autonomie locale permettant d’agir rapidement au quotidien.

Cette tension, inhérente au modèle multisite, exige un management capable de jongler en permanence entre deux échelles : la vision globale et la réalité du terrain.

La centralisation : socle de rigueur

Pour tenir ce cap, la centralisation de certaines fonctions est incontournable. Elle concerne notamment :

La gestion financière : consolidation des résultats, contrôle des coûts, mutualisation des achats.

Les ressources humaines : harmonisation des grilles salariales, mobilité interne, plans de formation transversaux…

La qualité et la sécurité des soins : mise en place de procédures unifiées, indicateurs communs, audits croisés…

Cette centralisation garantit rigueur et comparabilité. Elle évite les dérives financières, réduit les inégalités internes et permet de parler d’une seule voix vis-à-vis des autorités de tutelle, des assureurs ou des partenaires financiers.

L’adaptation : clé de l’agilité

Mais un groupe de cliniques n’est pas une chaîne de magasins. Le secteur de la santé impose une proximité humaine, une réactivité permanente et une adaptation fine aux réalités locales.

Chaque clinique évolue dans un environnement particulier : bassin de population, niveau socio-économique, offre concurrentielle, attentes des médecins. Le siège doit donc laisser aux équipes locales la capacité d’ajuster les pratiques, de décider rapidement face aux urgences, d’entretenir une relation de confiance avec leur écosystème.

C’est cette agilité de terrain qui permet au modèle multisite de rester vivant, humain et efficace.

Un management à plusieurs étages

La gouvernance de groupes multisites repose sur une architecture en étages :

Le siège définit les orientations stratégiques, fixe les normes et consolide les résultats.

Les directions locales incarnent le management de proximité, adaptent les directives et assurent le lien quotidien avec les médecins et les équipes.

Les coordinations transversales (qualité, achats, RH, communication…) assurent l’uniformité et diffusent les bonnes pratiques.

La clé du succès réside dans la qualité des relais. Chaque directeur de clinique devient un manager-entrepreneur, responsable devant le siège mais maître de son périmètre. Le groupe doit donc investir dans leur formation, leur accompagnement et leur fidélisation.

L’art de la communication interne

Aucun modèle multisite ne fonctionne sans une communication interne fluide. Les risques sont connus : perte d’information, sentiment d’isolement, rivalités entre établissements.

Il faut donc instaurer des canaux réguliers de circulation de l’information : réunions de coordination, plateformes numériques partagées, reporting standardisé, visites fréquentes du siège.

Mais au-delà des outils, c’est une culture commune qui doit être cultivée : fierté d’appartenance, valeurs partagées, sentiment de contribuer à un projet collectif. Sans cela, chaque clinique risque de se replier sur elle-même et de fonctionner comme une entité isolée.

La question de la culture d’entreprise

Le management multisite impose de construire une culture d’entreprise plus forte que dans une structure isolée. Cette culture doit reposer sur trois piliers :

1. La qualité des soins comme valeur cardinale et indiscutable.

2. L’esprit d’équipe au-delà des murs d’une seule clinique.

3. La transparence dans la gestion et dans la communication.

Construire une telle culture prend du temps. Elle se forge à travers les formations, les séminaires, les moments collectifs, mais surtout à travers l’exemplarité du management.

Un pilotage par les chiffres

Dans un groupe multisite, les décisions ne peuvent reposer uniquement sur l’intuition ou l’expérience. Le pilotage doit s’appuyer sur des données consolidées :taux d’occupation des lits,activité par service,coûts par patient,ratios financiers,
indicateurs de qualité et de satisfaction…

Le tableau de bord multisite devient l’instrument central de gouvernance. Il permet d’identifier rapidement les cliniques performantes, celles en difficulté, et de prendre des décisions ciblées.

La transparence de ces chiffres, partagés avec les directeurs et les équipes, renforce aussi l’objectivité du management et évite les ressentis subjectifs.

Les ressources humaines au cœur du modèle

Le management des ressources humaines est probablement le défi le plus délicat. Dans un groupe multisite, les équipes sont nombreuses, dispersées, hétérogènes.

Il faut à la fois :

harmoniser les pratiques,

garantir l’équité entre les sites,

gérer la mobilité et les carrières,

fidéliser les talents dans un secteur marqué par une forte concurrence.

Les professionnels de santé sont très attachés à la reconnaissance et à l’ambiance de travail. Un groupe doit donc déployer des politiques RH actives : programmes de formation, passerelles de mobilité, reconnaissance des performances, soutien dans un métier éprouvant.

L’équilibre financier : un enjeu vital

La gestion multisite ouvre la voie à des économies d’échelle (achats groupés, mutualisation de certains services…), mais elle entraîne aussi de lourds investissements : systèmes d’information, logistique, structures centrales.

Le modèle n’est viable que si le groupe parvient à maintenir une discipline budgétaire sans sacrifier la qualité des soins. Cela suppose une vigilance constante, des arbitrages parfois difficiles et une capacité à innover pour générer de nouvelles sources de revenus (partenariats, prestations annexes, diversification…).

Entre rigueur et humanité

La grande leçon du management multisite est sans doute celle-ci : il faut tenir ensemble deux exigences qui paraissent contradictoires.

La rigueur de la gestion, de la standardisation, des chiffres.

L’humanité de la relation, de la proximité, de l’adaptation locale.

Un groupe de cliniques ne peut pas être une machine impersonnelle. Mais il ne peut pas non plus fonctionner sans règles communes. C’est dans cet équilibre, fragile et exigeant, que se joue sa réussite.

Les enseignements internationaux

Observer les modèles étrangers fournit des repères :

HCA Healthcare (USA) : standardisation et centralisation des achats pour homogénéité et économies d’échelle.

Helios Kliniken (Allemagne) : spécialisation de certains sites et filières de soins intégrées pour optimiser l’expertise.

Ramsay Santé (France) : gestion centralisée des RH pour assurer mobilité des praticiens et continuité des soins.

Vers quel avenir ?

Le modèle multisite n’en est qu’à ses débuts au Maroc. Il suscite encore interrogations et résistances. Certains craignent une logique trop industrielle de la santé. D’autres y voient la seule manière d’élever les standards, de moderniser les pratiques et de rendre les cliniques plus solides face aux défis économiques.

L’avenir dépendra de la capacité des groupes à préserver leur âme tout en gagnant en efficacité. À démontrer que le multisite n’est pas synonyme de déshumanisation, mais au contraire un levier pour garantir l’accès à des soins de qualité, organisés et durables.

L’Équilibre gagnant

Le management multisite dans les cliniques privées marocaines n’est pas une simple duplication de modèles étrangers. Il s’adapte aux réalités locales, aux contraintes sociales et aux attentes des patients. Il impose rigueur, méthode et vision, mais aussi humilité et capacité d’écoute.

C’est un chantier encore jeune, plein de promesses et de défis. Il demande une génération de managers capables de conjuguer gestion et humanité, discipline et créativité.

En définitive, gérer un groupe de cliniques au Maroc, ce n’est pas seulement administrer des bâtiments et des budgets. C’est construire un projet collectif au service d’une mission essentielle : soigner mieux, ensemble.

 

 

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Soyez le premier à lire nos articles en activant les notifications ! Activer Non Merci