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Le festin de l’hypocrisie…

Par: Zakia Laaroussi

Par: Zakia Laaroussi

Aïd, mais quel Aïd ? Vous avez dit « Aïd »? Tenez, une patte traînée ici, une tête là, une panse au milieu, tandis que le corps – ce corps noble de l’animal – a déjà été enseveli sous les sables du tarissement, de la cherté, et de la désolidarisation sociale.

Cette année, ce n’est pas l’Aïd el-Kébir… c’est l’Aïd du dépeçage : À défaut d’un mouton entier, le citoyen réinvente une créature hybride, une « Tragédie de Frankenstein », reconstituée dans les marchés comme un puzzle grotesque : un demi-crâne, une patte arrière, un lambeau de gras… Et tout cela, béatement offert sur l’autel de la tradition dévoyée.

Mais quel rite est-ce là ?! Quelle offrande désincarnée ?! Avons-nous tant perdu la boussole que l’on puisse désormais sacraliser les restes, célébrer des « quarts de mouton » comme on vénère des reliques ?! Le vrai scandale n’est pas dans l’absence du mouton, mais dans la farce collective de ceux qui achètent des membres à prix d’or, croyant sauver les apparences.

Le Roi, Commandeur des Croyants, l’a dit : cette année, point de sacrifice nécessaire. C’est là une parole de sagesse, d’humanité, de lucidité écologique et sociale. C’est une parole d’État et de cœur. Mais voilà que certains la rejettent, la contournent, ou pire : la profanent par des simulacres de piété découpée en tranches !

Où sont les campagnes de sensibilisation qui expliquent ce choix comme un geste pour la nature, pour la santé publique, pour le vivre-ensemble ? Où est la voix des imams, des penseurs, des éducateurs, pour rappeler que la foi n’est pas dans l’assiette, mais dans l’intention, la modération et le respect de l’autre ?

Il n’est pas anodin de rappeler ici les sages paroles de nos aînés. Le calife Omar Ibn al-Khattab disait : « J’ai horreur de voir un homme dont la seule préoccupation est son ventre.» L’imam Al-Chafi’i avouait : « Je n’ai jamais mangé à satiété depuis seize ans, car la satiété alourdit le corps, endurcit le cœur, engourdit l’esprit et affaiblit l’âme. »

Mais nous ? Nous avons fait du gras un dogme, de la viande une religion, et du marché une Kaaba de l’estomac. Nous mangeons au-delà du besoin, jusqu’à la maladie. Nos assiettes débordent, nos artères implosent, et nos âmes… dépérissent.

Et pourtant, malgré une consommation excessive de viande tout au long de l’année, nous persistons à vouloir en acheter davantage pour une seule journée, quitte à vendre la dignité pour un os rôti.

Les scènes dans les souks flirtent avec le burlesque et le tragique : Une patte de mouton se négocie plus cher qu’un mouton entier l’année précédente. Le crâne devient un trophée, la panse un luxe, le gras une monnaie.

Mais derrière cette frénésie carnivore se cache une misère plus grande : celle de la peur du regard social.
Ce n’est pas Dieu que l’on honore par ces achats absurdes, c’est l’ego, le qu’en-dira-t-on, l’illusion d’appartenance à une norme qu’on ne comprend même plus. Ceux qui ne peuvent pas se permettre une bête entière sont aujourd’hui condamnés à l’humiliation muette ou à l’achat d’ersatz, pour ne pas être exclus du banquet collectif. Mais n’est-ce pas justement le moment de rompre avec ce cercle vicieux ?

À défaut de sacrifier un mouton, sacrifions notre hypocrisie, notre gloutonnerie sociale, notre adoration malsaine du paraître. Car le véritable Aïd n’est pas un festin. C’est un acte intérieur. Un moment d’élévation, de purification, de solidarité. Un Aïd sans mouton est possible. Mais un Aïd sans cœur ? Voilà le vrai drame.

Alors que dirons-nous à nos enfants dans vingt ans ? Que nous avons mangé des « raclures de mouton » pendant que nos voisins crevaient de faim ? Que nous avons sacrifié l’esprit pour sauver l’emballage ? Non. Il est temps de dire : Assez.

Cet Aïd n’est pas une fête. C’est un symptôme. Un symptôme de notre confusion, de notre décadence silencieuse, de notre abdication collective devant le consumérisme.

Et pourtant, il suffit de peu : manger moins, penser plus. Partager plus, s’exhiber moins.
Car l’Aïd ne se mesure pas à la quantité de viande grillée. Mais à la qualité de notre compassion, à la justesse de notre modération, et à la sincérité de notre foi.

 

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