
Dans article paru sur le site « focus mediterrano », Marco Baratto, essayiste italien, décrypte les enjeux et les retombées de la récente visite de travail à Moscou d’Abdellatif Hammouchi, Directeur du pôle sécuritaire DGSN- DGST, pour représenter le Royaume du Maroc à la 13e Rencontre internationale des hauts représentants chargés des questions de sécurité. Voici in extenso la traduction de son article.
Par: Marco BARATTO ★
Dans un monde de plus en plus polarisé, marqué par le retour de la logique de la guerre froide et par les oppositions entre nouveaux blocs géopolitiques, le Maroc se distingue par une ligne diplomatique empreinte de sagesse, de pragmatisme et d’engagement en faveur de la coopération multipolaire. La récente participation du Royaume à la 13ème Réunion internationale des hauts représentants chargés des questions de sécurité, tenue à Moscou, en est la preuve concrète. La présence du Directeur Général de la Sûreté Nationale et de la Surveillance du Territoire, Abdellatif Hammouchi, confirme non seulement l’importance que le Maroc accorde à la coopération internationale en matière de sécurité, mais souligne également le rôle croissant du pays en tant qu’acteur médiateur et stabilisateur dans le contexte mondial.
La politique étrangère marocaine est désormais reconnue pour sa cohérence, pour sa capacité à rester autonome et pour le choix conscient de ne pas s’enfermer dans des alliances rigides. Cette position se reflète clairement dans l’approche multipolaire adoptée par Rabat : une approche qui vise le dialogue, la construction de ponts et la promotion de solutions partagées, plutôt que la logique de l’opposition.
Lors du forum de Moscou, Hammouchi a réitéré la centralité d’une coopération juste et équitable entre les pays comme clé pour relever les défis communs. Ses propos appellent à une éthique de responsabilité partagée, où le principe « gagnant-gagnant » guide les relations internationales dans le domaine de la sécurité. La menace est de plus en plus transnationale : le terrorisme, la cybercriminalité, la migration irrégulière, le trafic de drogue et le trafic d’êtres humains sont des problèmes qu’aucun pays ne peut résoudre seul. Nous avons besoin d’une architecture de sécurité collective, cohérente et égalitaire qui respecte la souveraineté nationale.
Le Maroc jouit aujourd’hui d’une crédibilité consolidée auprès de ses partenaires internationaux dans le domaine de la sécurité. Sa participation active aux forums multilatéraux, ses succès opérationnels contre les réseaux terroristes et criminels, ainsi que sa volonté d’échanger des informations et de s’engager dans une coopération technique, en font un partenaire fiable et recherché.
Lors du forum de Moscou, le chef de la sécurité marocain a tenu des réunions bilatérales avec plusieurs dirigeants et membres des services de sécurité et de renseignement de pays « frères et amis », dont le Service fédéral de sécurité de Russie (FSB). Ces discussions ne se sont pas limitées à de simples formalités mais ont permis d’explorer des questions stratégiques et des moyens concrets de renforcer la coopération bilatérale face aux menaces émergentes.
Cette dimension opérationnelle de la diplomatie sécuritaire représente l’un des aspects les plus importants de la politique étrangère du Maroc, qui ne se limite pas aux tables diplomatiques, mais s’exprime également dans les actions sur le terrain, dans la formation, dans l’échange de savoir-faire et dans la gestion partagée des crises.
L’invitation, adressée à plus de 150 pays du Sud global, membres de la CEI (Communauté des États indépendants), de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai), de l’UEE (Union économique eurasienne) et de nombreuses organisations internationales, souligne le caractère global et multipolaire du forum de Moscou.
Le Maroc a su s’insérer naturellement dans ce contexte : d’une part, il est un partenaire privilégié de l’Union européenne et des Etats-Unis, d’autre part, il renforce ses liens avec les puissances émergentes comme la Russie, la Chine et les pays d’Asie centrale. Cette polyvalence diplomatique permet au Royaume de jouer un rôle actif dans les nouveaux équilibres internationaux, se positionnant comme un interlocuteur crédible, au-delà des logiques d’alignement.
La vision marocaine, bien qu’ancrée dans la réalité et dans la protection des intérêts nationaux, se projette au-delà du contingent. Le monde connaît de profonds bouleversements tectoniques – comme les a appelés Sergueï Choïgou, secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie – tant dans les relations économiques que dans la politique étrangère mondiale. Dans ce scénario fluide et souvent chaotique, le Maroc propose une posture qui évite la rigidité et se fonde sur la flexibilité stratégique. Cette flexibilité n’est pas synonyme d’ambiguïté, mais plutôt l’expression d’une intelligence géopolitique raffinée, qui cherche à éviter le piège des « alliances forcées » et privilégie une approche fonctionnelle, orientée vers la résolution des problèmes et la construction d’une confiance mutuelle.
La présence du Maroc à Moscou, dans un contexte de forte tension entre les blocs internationaux, est un acte diplomatique chargé de sens. Il s’agit d’une démonstration concrète de la volonté du Royaume de contribuer à la construction d’un ordre international plus équitable, fondé sur le respect, l’égalité et les responsabilités partagées. Le Maroc, victime indirecte d’une guerre froide idéologique entre des pays et des groupes qui s’inspirent encore de la logique du passé, montre au contraire la voie à suivre, à travers une collaboration constructive et le pragmatisme.
En ce sens, le choix de participer à un forum organisé en Russie ne représente pas une adhésion à un bloc, mais plutôt l’adhésion à une idée : celle d’un monde multipolaire, ouvert au dialogue, capable de construire des ponts là où d’autres ne voient que des murs.
★Marco Baratto, essayiste italien, auteur du livre « Le défi de l’Islam en Italie »