
Dans un article publié dans le média panarabe basé à Londres « The New Arab », notre confrère Abdelhamid Jmahri estime que la fin du conflit régional autour du Sahara marocain n’a jamais été aussi proche. Voici in extenso la traduction de son article.
Par: Abdelhamid JMAHRI
Le mois d’avril, autrefois considéré comme l’un des plus éprouvants pour les Marocains, s’impose aujourd’hui comme un mois d’espérance printanière. Au cœur de ces espoirs figure la perspective de mettre fin à un conflit vieux d’un demi-siècle : celui du Sahara.
Il y a près d’une décennie, à l’occasion du sommet Maroc-CCG tenu à Riyad le 2 avril 2016, le Roi Mohammed VI déclarait devant ses homologues du Golfe : «Le mois d’avril, coïncidant avec les réunions du Conseil de sécurité sur la question du Sahara, est devenu un épouvantail brandi contre le Maroc, parfois pour exercer des pressions, d’autres fois pour tenter de le faire chanter.»
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. Le quatrième mois de l’année s’est transformé en moment de grandes attentes. Ainsi, la réunion du Conseil de sécurité tenue le 17 avril 2025 sur la question du Sahara, avec les exposés semestriels du chef de la MINURSO, le Russe Alexander Ivanko, et de l’envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies, l’Italo-Suédois Staffan de Mistura, a vu naître un consensus notable : l’ambassadeur marocain Omar Hilale et De Mistura ont exprimé un vœu commun que cette cinquantième année du conflit marque enfin sa clôture définitive. Ce dernier, malgré des initiatives aux résultats mitigés, a conclu sa présentation en ces termes: «La session d’octobre prochain pourrait offrir au Conseil une opportunité décisive de tracer une nouvelle feuille de route en vue d’un règlement final».
Omar Hilale, lors d’une conférence de presse concomitante à la réunion onusienne, s’est montré tout aussi optimiste quant à une issue imminente, exprimant son souhait de voir le monde célébrer la fin du conflit à l’occasion du cinquantenaire de la Marche verte (6 novembre 2025).
Mais avril n’a pas été que le théâtre de rapports et de vœux. Il a aussi été jalonné d’événements significatifs. Le premier d’entre eux est survenu le 8 avril, à l’issue de la rencontre entre le secrétaire d’État américain Marco Rubio et le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita. Le communiqué qui en a résulté a marqué un tournant stratégique : il a réaffirmé la reconnaissance des États-Unis, initialement exprimée par le président Donald Trump en décembre 2020, de la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Ce communiqué a été décliné en trois axes majeurs. Le premier consiste à consacrer le plan marocain d’autonomie comme unique solution au conflit, écartant définitivement l’option du référendum et celle du partage territorial, propositions défendues par les adversaires du Maroc ou même évoquées par De Mistura lors de la session d’octobre 2024.
Le deuxième axe concerne l’impératif de l’accélération du processus politique, en écho aux positions de pays influents comme la France et l’Espagne. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a ainsi déclaré que «l’on ne peut se permettre d’attendre encore cinquante ans».
Enfin, le troisième axe est un engagement américain à faciliter les avancées concrètes vers une solution, en transformant leur reconnaissance politique en plan d’action. Cette feuille de route, transmise à De Mistura peu avant la réunion du Conseil, a été intégrée à son exposé, devenant ainsi un document officiel onusien.
Toutefois, l’évolution la plus marquante a été la nomination de l’homme d’affaires américano-libanais Massad Boulos en tant qu’envoyé spécial de la présidence américaine pour la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Ses deux interventions publiques, les 17 et 18 avril, ont suscité l’intérêt des acteurs concernés, clarifiant les contours de sa mission et la nature du rôle des États-Unis dans le dossier.
Contrairement à De Mistura, dont l’action s’inscrit dans le cadre des lourdeurs onusiennes, Boulos n’est pas contraint par les mêmes limites. Il peut même le dépasser, comme les États-Unis l’ont déjà fait dans d’autres contextes géopolitiques sensibles. Il incarne ainsi l’approche bilatérale directe, prônée de longue date par le Maroc, qui fait du conflit un différend régional entre Rabat et Alger.
Boulos a par ailleurs réaffirmé son soutien à la souveraineté marocaine, indiquant que toute négociation se déroulera sous ce cadre. Il jouera ainsi un rôle d’interprète des positions américaines, tandis que De Mistura, perçu avec méfiance par une partie de l’opinion publique marocaine, reste cantonné à son rôle d’intermédiaire onusien. De plus, Boulos bénéficie d’un calendrier resserré dicté par Washington, à rebours de la temporalité indéfinie de l’ONU.
Les autres parties sont désormais conscientes des cartes que détient l’émissaire américain. À la différence de De Mistura, sujet à pressions, Boulos dispose d’une latitude stratégique et du soutien de son pays, porte-plume des résolutions du Conseil de sécurité sur le Sahara. Les États-Unis ne sauraient donc formuler un texte, le négocier et le soumettre au vote, pour ensuite cautionner une résolution allant à l’encontre de leur propre position.
Washington dispose également de leviers institutionnels pour prendre l’initiative, convoquer des réunions d’urgence ou proposer des missions spécifiques en dehors de la MINURSO. Le cadre onusien croise ainsi avec la dynamique politique américaine, conférant à celle-ci une autorité singulière dans la conduite du dossier.
Hors du cadre strictement diplomatique, plusieurs facteurs contextuels viennent éclairer la situation. Tout d’abord, les États-Unis disposent de marges de manœuvre leur permettant de relancer le processus, comme en témoignent d’autres médiations qu’ils ont menées, en dehors de l’ONU, dans des conflits tels que ceux en Ukraine ou au Moyen-Orient.
Sur le plan interne, la principale force du Maroc demeure l’unité nationale autour de la question du Sahara. Le Royaume a su résister, adapter sa stratégie et infléchir le cours du conflit au fil des décennies. Le contexte géopolitique international est également favorable à sa position : sur les 193 membres de l’ONU, 110 soutiennent le plan d’autonomie, y compris des blocs puissants comme l’Union européenne (22 États sur 27), la Ligue arabe, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et une majorité de pays latino-américains.
À cette dynamique s’ajoute le soutien explicite d’un second membre permanent du Conseil de sécurité, la France, qui agit de concert avec les États-Unis pour parvenir à un règlement durable.
Malgré la puissance de ces deux piliers diplomatiques, le Maroc continue à miser sur le cadre onusien, conscient que le sceau du Conseil de sécurité constitue la meilleure voie pour entériner un accord fondé sur le rapport de force sur le terrain et sur l’engagement tripartite des États-Unis, de la France et de l’Espagne.
Ainsi, tout porte à croire que le printemps du Sahara vient de commencer, annonçant la fin prochaine d’un conflit artificiellement entretenu depuis un demi-siècle.