Fouad El Mazouni vient de publier un roman aux éditions L‘Harmattan intitulé «Brodeurs de destins, de Séville à Marrakech». Bien plus qu’un roman historique, une fresque humaine, un chant de fil et d’or cousu sur trois siècles, où s’entrelacent les voix juives et musulmanes d’Al-Andalus à Marrakech. Communiqué.
Il y a des romans qui se contentent de conter une histoire. Et puis il y a ceux qui, à la manière d’un patient artisan, brodent des vies, raccommodent des silences, recousent les lambeaux d’un passé dispersé par les vents de l’Histoire. Brodeurs de destins, de Fouad El Mazouni, appartient à cette seconde catégorie : un récit ample, érudit et profondément incarné, qui nous emporte de Séville à Marrakech à travers trois siècles de mémoire partagée entre musulmans et juifs marocains.
Un souffle épique dans la trame des mémoires
Tout commence à Séville, en 1609, lorsque Ziyad al-Andalusí, maître-brodeur morisque, reçoit son ordre d’expulsion. À l’image du point de broderie qui revient sans cesse à sa source pour mieux en repartir, El Mazouni compose une fresque où chaque génération se transmet, au-delà du sang, une quête : celle de rester fidèle à ses racines sans renoncer à la lumière du monde.
Ce roman n’est pas seulement l’histoire d’un exil. C’est l’histoire d’un enracinement. Celui d’une famille déracinée d’al-Andalus et transplantée sur la côte marocaine, à Salé d’abord, puis à Tétouan, enfin à Marrakech. À travers les destins de Ziyad, Sirajeddine, Malek, et les femmes de l’ombre, puissantes et tendres, El Mazouni ressuscite une époque où la cohabitation entre juifs et musulmans, bien que fragile, engendrait des merveilles d’humanité.
Des personnages cousus main
Chaque personnage est un monde. Ziyad le résistant lettré, élu au Conseil de la République de Salé, Samuel son ami juif et partenaire d’affaires, Sirajeddine l’artisan amoureux d’une jeune juive nommée Sarah, ou encore Malek, brodeur à Marrakech, et son amour impossible pour Keltoum… Tous vibrent, rêvent, souffrent et espèrent dans un univers où les gestes de l’artisanat côtoient la brutalité de l’histoire.
El Mazouni donne chair à ses héros avec une écriture d’une poésie élégante, souvent teintée de nostalgie, parfois traversée de visions quasi mystiques. Il convoque les parfums de la skhina du vendredi, le chatoiement des fils d’or sur la soie, les chants hébraïques murmurés dans les ruelles de Tétouan, les soupirs de l’amour interdit.
Un roman tissé de lumière
Il faut saluer le tour de force de l’auteur : faire d’un roman historique une œuvre sensible et contemporaine. Car Brodeurs de destins parle, en creux, de notre monde : celui où les identités se cherchent, se frottent, s’affrontent parfois, mais où subsiste toujours la possibilité du lien, de l’interculture. El Mazouni ne nie pas les tensions, les drames, ni les ruptures. Il les inscrit dans une fresque plus large où l’histoire ne s’écrit pas à coups de sabre, mais de fil et d’aiguille.
La métaphore de la broderie, filée tout au long du roman, n’est pas gratuite. Elle devient langage, philosophie et mémoire. Elle est le mode d’inscription de ces existences dans un tissu plus vaste — celui du Maroc pluriel, des diasporas, des silences et des résiliences.
Un hommage aux juifs du Maroc et à l’hospitalité andalouse
Rarement roman aura mieux restitué cette mémoire partagée entre juifs et musulmans du Maghreb, sans manichéisme ni idéalisation excessive. El Mazouni, en conteur habité, redonne voix à ceux que l’histoire a souvent réduits au silence ou au cliché. Il réveille une culture judéo-arabe tissée d’échanges, de rituels, de chants et d’intelligences croisées. À travers cette saga, c’est toute une civilisation de l’hospitalité et du raffinement qui renaît.
Conclusion : un chef-d’œuvre de transmission
Brodeurs de destins est un roman précieux. Non seulement par la richesse de sa documentation (vingt ans de recherche !), mais surtout par la sincérité lumineuse de sa narration. Fouad El Mazouni y tisse l’intime et l’universel, l’exil et l’ancrage, le passé et l’espoir. Ce livre est un pont. Un pont de mots, de mémoires et de beauté entre Séville et Marrakech, entre les vivants et les morts, entre les lecteurs d’hier et ceux de demain.
Extrait de « Brodeurs de destins, de Séville à Marrakech »
— Père, pourquoi notre amour serait-il un crime ?
Le rabbin fronça les sourcils, comme s’il tentait de résoudre une équation divine.
— Sarah, nous avons survécu en préservant notre identité.
Te marier à un musulman ? Ce serait trahir tout ce que nous avons construit !
— Mais l’amour ne doit-il pas surpasser la foi ? répliqua-telle, les larmes aux yeux.
— L’amour ne justifie pas tout. Nos lois et traditions sont notre fondement. Si tu trahis cela, tu trahis ton peuple, conclut-il, la voix aussi froide et tranchante qu’un couperet.
La sentence tomba. Mais malgré sa douleur, Sarah ne pouvait se résoudre à abandonner Sirajeddine. Chaque rencontre avec lui alimentait leur amour et renforçait son désir de liberté.
Plongée dans ses réflexions, Sarah se questionnait sur son identité complexe. Sa mère, une marrane – juive convertie au catholicisme, mais suspectée de pratiquer sa foi en secret – avait vécu sous la menace constante du rejet, autant de la communauté chrétienne que juive. Ce double héritage marqua Sarah d’une tension entre loyauté et désir de liberté. Le souvenir des persécutions de l’Inquisition, menées à un train d’enfer, hantait encore son esprit, rappelant combien la violence et la division avaient brisé des vies.
Et pourtant, malgré ces tempêtes, l’amour entre Sarah et Sirajeddine continuait à croître, défiant les interdits. Leur amour se nourrissait d’un langage universel qui transcende les lois des hommes.
Pendant ce temps, dans le Mellah, l’agitation atteignait son comble. Des pillards déferlaient dans les rues, des flammes illuminaient le ciel nocturne. Sarah, témoin de ce chaos, ne put s’empêcher de penser à Moïse et à l’exode. La Pessah, fête de la liberté, prenait des allures de rappel tragique des temps les plus cruels. Mais au milieu de cette tourmente, une chose restait inébranlable : l’amour.
- Fouad El Mazouni par lui-même
- Fouad El Mazouni est Directeur d’agences de communication en France et au Maroc. Auteur publié chez L’Harmattan. Concepteur-rédacteur digital passionné par les récits qui marquent et les idées qui résonnent.