Par: Aziz Daouda

Des citoyens ont fait circuler des images d’une brutalité surprenante, devenues rapidement virales sur la toile et pour cause. Ils relatent une bagarre dans une mosquée.
A khénifra, une mosquée paisible d’habitude, édifiée pour le besoin spirituel des citoyens s’est en une fraction de seconde transformée en un ring. Un fidèle généreusement avait amené quelques bouteilles d’eau afin que ses compagnons puissent se désaltérer au besoin; quelque chose de très habituel en ce mois sacré.
Le muezzine ce soir-là, probablement devant la profusion de ce qui venait d’être offert, s’est accaparé quelques bouteilles pour les ramener chez lui. Ceci n’a pas été du goût de l’une des fidèles. Il en apostropha le muezzine qui n’apprécia pas les propos les jugeant offensants. Le ton monte et la paisible mosquée de vivre grandeur nature un combat de MMA.
On peut bien sûr regarder ces images comme un fait anodin peut être même rigolo; aussi rigolo que celles du voleur dérobant subtilement des tapis dans une autre mosquée.
On peut aussi y palper un manque de civisme et de la part du muezzine et du justicier.
Cependant à relier cette altercation avec tous les échantillons enregistrés devant les collèges et lycées et à l’intérieur de ces établissements ; ce qui se passe dans et aux alentours des stades, dans les marchés et souks, dans les transports publics, sur les routes, dans les hôpitaux même, voilà qui en fait trop.
L’incivisme et la violence sociale sont-elles un fléau galopant ne ménageant aucun espace.
On peut tourner la page et conclure que cela n’est point étonnant ni particulier au Maroc. L’incivisme et la violence sociale sont des phénomènes qui prennent de l’ampleur dans les sociétés contemporaines. Cela banaliserait les manifestations des tensions entre individus, les comportements belliqueux, les conduites irrespectueuses, les atteintes aux règles de vie en communauté, les dépassements des lois et règles de vie en société.
Prenons par exemple le nombre d’accidents et le nombre de décès annuels sur nos routes: aux alentours des 4000 vies perdues. C’est une perte sèche de 19.5 milliards de dirhams par an. C’est une forme de manifestation de violence et d’incivisme. Le Maroc est à la 110ème place en matière de sécurité routière.
En fait, la violence est la même sauf qu’elle prend des aspects différents, s’exprime selon les circonstances, et se manifeste selon la conjoncture et le contexte. Le jeune violent devant son lycée pourra plus tard manifester son agressivité au volant d’une voiture ou dans un stade de football et phénomène nouveau dans une mosquée. Ces comportements sont strictement liés. Pour les traiter, il ne faut pas du tout les isoler les uns des autres.
L’incivisme est un manque de respect des normes sociales quelles qu’elles soient. Il manifeste aussi un état d’esprit ou peut-être un ras-le-bol d’une situation économique, d’un manque d’intégration, d’une frustration, d’une injustice ou d’un déficit dans l’éducation.
Celui qui jette des ordures dans des lieux inappropriés, n’exerce-t-il pas une violence? Cependant n’exprime-t-il pas quelque chose qui le ronge de l’intérieur? Celui qui vandalise un bus ou un ban d’école ou qui refuse expressément de respecter les biens communs? N’exerce-t-ils pas une sorte de violence?
Le manque de civisme a un coût social élevé et un coût économique énorme. Il engendre des conséquences néfastes sur la vie sociale. Il nuit à la qualité de vie, accentue les inégalités et provoque un climat de méfiance entre citoyens. Il conduit à creuser les différences et les clivages. D’un côté on va parler avec dédain de ceux plus bas économiquement, de l’autre on va parler d’impunité des puissants, d’injustice, de manque d’égalité, de répartition injuste de la richesse.
Perçue ainsi, la violence sous toutes ses formes et de quelque côté qu’elle provienne est un véritable danger pour la cohésion sociale. Elle peut se traduire par des conflits, des agressions verbales ou physiques, des discriminations fragilisant la paix sociale. Elle peut prendre plusieurs formes. Les bagarres, les agressions, les actes criminels ne sont jamais isolés de leur environnement social et politique, si elles ne sont pas engendrées par un tel contexte faisant le lit de toutes les radicalisations et extrémismes.
Une société qui banalise la violence verbale, les insultes, le harcèlement, les discours haineux est une société qui souffre, une société frustrée. Une société qui répond peut-être à une autre forme de violence, celle institutionnelle vraie ou perçue responsable des inégalités, du manque d’accès aux droits fondamentaux.
Elle s’exprime comme le résultat de frustrations accumulées, d’injustices ressenties, du manque de dialogue et de respect mutuel.
Les propos des citoyens s’exprimant sur la cherté de la vie témoignent justement de ce genre de frustrations et s’en réfèrent aux institutions. N’a-t-on pas vu des altercations violentes à cette occasion.
Que faut-il faire alors ? Laisser passer comme si de rien n’était? Considérer le phénomène comme étant normal ou alors s’en saisir et tenter de redresser la situation?
C’est peut-être là le chantier le plus complexe avant la Coupe du monde de 2030.
Le dialogue social ne doit pas se contenter de quelques réunions avec des syndicats fort peu représentatifs. Il doit être élargi et développé de façon à favoriser la communication et la médiation pour désamorcer les tensions.
Ce dialogue doit notamment inviter les Marocains à l’engagement. Ils ne doivent plus être considérés comme des mineurs et des consommateurs mais comme des acteurs. Il faut les encourager à la participation citoyenne, à la préservation du cadre de vie et à la promotion du respect mutuel.
L’école doit être véritablement réformée et offrir un cadre de vie, plutôt que de rester un espace mécanique de bourrage de cranes. Les élèves doivent participer à la gestion de leur établissement. C’est le leur. Leurs points de vue devraient primer sur n’importe quelle instruction ou programme conçus ça et là sans rapport véritable avec l’environnement et le contexte particulier de chaque région, de chaque établissement. Le système scolaire doit favoriser l’éducation plutôt que l’instruction. Le milieu universitaire doit être celui de la sensibilisation à la participation responsable. Il y a un besoin urgent à inculquer les valeurs communes dès le plus jeune âge. S’en référer à la seule religion n’est pas suffisant. Le citoyen marocain doit apprendre à respecter les lois et ne pas en avoir peur.
Bien sûr qu’il faut aussi le renforcement des sanctions, l’application de façon égalitaire des mesures dissuasives pour décourager les comportements inciviques et violents. Cela va de soi.
Il s’agit de consolider l’harmonie sociale, tellement nécessaire à notre développement. Et c’est avec cette prise de conscience collective, avec des actions concertées que nous bâtirons un environnement plus respectueux et plus apaisé évitant ainsi les bagarres dans les mosquées aussi.