L’appel de SM le Roi Mohammed VI à suspendre le sacrifice du mouton cette année continue à susciter le débat. Marco Baratto, auteur du livre «Le défi de l’Islam en Italie», a fait une réflexion sur la question et a bien voulu la partager via « focusmediterraneo » et lecollimateur.ma. En voici la traduction…
Par: Marco Baratto

La récente décision de Sa Majesté, Amir Al Mouminine, de suspendre le sacrifice rituel de l’Aïd al-Adha au Maroc en raison de conditions économiques et climatiques difficiles, offre matière à réflexion non seulement pour le monde islamique, mais aussi pour le christianisme, et en particulier pour le catholicisme.
La mesure adoptée n’est pas seulement une réponse pragmatique aux difficultés du moment, mais s’inscrit dans une vision religieuse dans laquelle l’humanité est au centre des prescriptions et où la loi divine se plie à la nécessité et non l’inverse. L’Aïd el-Adha commémore le sacrifice d’Abraham, une figure centrale non seulement de l’islam, mais aussi du christianisme et du judaïsme. C’est le symbole de la foi inébranlable et de la soumission à la volonté divine, mais aussi de la miséricorde de Dieu, qui remplace le sacrifice humain par celui d’un animal.
Du point de vue chrétien, le sacrifice d’Abraham est une préfiguration du sacrifice du Christ, qui s’offre pour le salut de l’humanité. Cependant, alors que l’islam maintient le rite sacrificiel comme un acte d’obéissance et de partage avec les nécessiteux, le christianisme le sublime en une offrande spirituelle, culminant dans le sacrifice de la croix et la célébration de l’Eucharistie. Si l’islam invite les croyants à se souvenir de l’épisode biblique par un sacrifice concret, le christianisme les invite à faire du sacrifice un acte intérieur, un don de soi à l’autre.
Cependant, au-delà des différences de rituel, les deux cultes s’accordent sur la valeur essentielle de la célébration : la foi et la générosité envers les autres. La décision de Sa Majesté de suspendre le sacrifice s’inscrit parfaitement dans la tradition de l’islam sunnite malékite, qui a toujours allié respect de la loi et adaptation aux circonstances. En ce sens, le verset coranique cité – « Et Il ne vous a imposé aucune difficulté en religion » – exprime clairement que les normes religieuses ne doivent pas imposer un fardeau excessif à l’individu ou à la société. Ce concept trouve un parallèle dans l’Évangile, lorsque Jésus déclare : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Mc 2, 27).
Le contexte de l’Évangile est clair : les pharisiens critiquaient Jésus parce que ses disciples cueillaient des épis le jour du sabbat, enfreignant ainsi la loi mosaïque. La réponse du Christ déplace l’attention du formalisme normatif vers l’essence de la loi divine : le bien de l’homme.
La décision marocaine reflète cette logique : la religion ne peut pas être une cage normative qui ignore la réalité. Si le sacrifice risque de devenir un fardeau excessif pour la population, alors l’autorité religieuse a le devoir d’agir au nom du bien collectif. Il ne s’agit pas d’abolir le rite, mais de l’interpréter de manière dynamique, en fonction des circonstances. Un point crucial dans le débat sur les règles religieuses concerne la distinction entre transgresser et dépasser la norme. L’intérêt égoïste conduit souvent à enfreindre les règles pour un gain personnel, tandis que l’amour authentique et la responsabilité morale nous poussent à aller au-delà des règles pour le bien commun. Dans le monachisme chrétien, la « règle » a été élevée au rang de principe sacré. Cependant, même dans les monastères, confrontés à des situations exceptionnelles, on a toujours trouvé le moyen d’adapter la norme aux besoins. La rigidité normative peut en effet devenir stérile si elle perd de vue sa fonction originelle : servir l’homme.
De même, l’islam sunnite malékite a toujours privilégié une interprétation flexible de la loi religieuse, recherchant un équilibre entre le respect de la norme et la réalité sociale. La décision de Sa Majesté en est une claire démonstration : elle ne nie pas le sacrifice, mais le reformule à la lumière d’une situation contingente. L’enseignement évangélique de Jésus trouve son explication : la règle est un instrument pour le bien de l’individu et de la communauté, et lorsqu’elle risque de devenir un obstacle, c’est le devoir des autorités d’intervenir. Dans ce contexte, l’islam sunnite malékite offre une perspective qui devrait également être mieux connue des catholiques : la possibilité de maintenir les traditions religieuses sans en faire un fardeau insoutenable.
La décision marocaine, en effet, n’est pas un renoncement à la foi, mais une manière de la préserver de manière plus authentique. Elle montre comment la religion, si elle est authentique, doit toujours rester au service de l’homme et non l’inverse. À une époque où le légalisme et le formalisme risquent d’étouffer la spiritualité, ce choix de l’islam sunnite malékite offre un modèle d’équilibre entre tradition et adaptation. Un modèle que, peut-être, le catholicisme pourrait aussi redécouvrir pour affronter les défis du présent avec plus d’humanité et de flexibilité. La mesure adoptée n’est pas seulement une réponse pragmatique aux difficultés du moment, mais s’inscrit dans une vision religieuse dans laquelle l’humanité est au centre des prescriptions et où la loi divine se plie à la nécessité et non l’inverse.