
Par: Mohammed EL QANDIL *

On ne peut s’approcher de Khair-Eddine qu’avec prudence. L’homme a plus d’un tour dans son sac. Plus d’une idée au bout de ses doigts. Plus d’une aventure dans sa poche.
Etait-il un magicien sorti du fin fond d’une caverne primitive ? Un apatride dont les contes d’antan faisaient l’apologie et en nommaient la démesure ? Un soleil inaccoutumé qui, à l’instar d’une vision souveraine, nous visite une fois et disparait à jamais ?
Je n’ai jamais pu le savoir !
Cet écrivain unique, venu du Sud, fils d’une nudité incommensurable, violent jusqu’à la douceur la plus ténue, hautain et élégant dans sa pensée et dans ses gestes, n’a cessé de vivre la vie qu’il voulait, de raconter les histoires qu’il tirait de sa trousse avec une facilité extraordinaire.
Tout, pour lui, était bon à fabriquer un rêve, ou à riposter aux démons de l’analogie.
Il écrivait à longueur d’années, façonnant les mots à sa guise, les entourant tantôt de sérieux profond et rare, tantôt d’une légèreté sarcastique et altière. Pas de répit envers les ombres du réel, les cantiques d’une souffrance généralisée qu’il arrivait à toucher dans les gestes de ceux qui n’ont rien, et dont la retenue les logeait dans un silence castrateur. Pas de faiblesse aussi quand il s’agissait pour lui de dévoiler le vide des yeux, la pauvreté des pas, la lourdeur des paroles qui signifiaient tout et ne valaient rien devant le monstre du besoin.
Oui, il écrivait pour dire l’essentiel, pour crier à tout bout de champ les droits de la mémoire, pour démythifier le discours des uns et des autres. Ses mèches, souvent débordant son front, sa chevelure dense et noire, ses gestes qui voulaient seconder le mot pour l’appuyer ou pour l’inscrire dans les mémoires, son sourire pas trop marqué, faisaient de lui l’homme à craindre ou à aimer.
Rien au fond de lui ne lésinait sur les images à déployer, les imaginaires à creuser au fin fond de l’Histoire, les amitiés qu’il arrivait à choper aux quatre coins du hasard. Ses désirs, ses volontés, ses jugements, valaient chaque seconde leur poids de vérité. « On ne laisse pas le roi de la poésie boire tout seul », a-t-il lancé un jour à Tahar Bekri, son ami tunisien.
Agadir, Ce Maroc, Légende et vie D’Agounchich, Il était une fois un vieux couple heureux, Une odeur de mantèque…Ces livres témoignent – jusqu’à l’exil – pour lui. Ils en disent long sur cet écrivain terrible de la littérature marocaine d’expression française, celui-là même qui bénéficiait de fréquentions dont une et non des moindres celle de Sartre.
Amazigh jusqu’au point le plus reculé de son âme, célébrant cette culture dans ses romans comme dans sa poésie, l’inscrivant dans une mouvance d’interculturalité noble et généreuse, pas une fois il n’a adhéré à une conception quelque peu étriquée de l’identité. L’égocentrisme ne rimait aucunement avec la liberté puisée dans les montagnes natales. Autour des arbres arganiers qui enseignent passion et patience. Au cœur des villages dont la bonté fait honte aux détenteurs de cloisonnements à petits prix !
L’amazigh se voulait universel !
N.B. On ne laisse pas mourir un tel oiseau dans une cage !
Tu as raison ! Au-delà de ce testament accusateur, il est certain qu’aucune cage ne sied à ta grandeur. Les oiseaux de ta trempe volent dans les hauteurs ou meurent en s’y essayant !
* Poète, chercheur en littérature et arts plastiques/ Inspecteur pédagogique



