Les artistes «intranquilles», une nouvelle terre, une nouvelle loi

Mustapha Ghazlani*

Il existe des artistes «intranquilles» … Au commencement, ils étaient peintres, poètes, narrateurs, musiciens, photographes… Puis, soudainement, un autre chant de sirènes de l’art se fait entendre. Comme des coureurs d’images, qu’elles soient visuelles ou mentales, ces artistes ne résistent pas à l’appel. Alors, ils quittent leur voie originelle, mais, en vérité, pas tout à fait. Car même en s’éloignant, il y a dans leur mouvement une préméditation du retour.

Parmi ces intranquilles, certains choisissent de rester vigilants, les pieds ancrés dans la terre et les mains fermement concentrées sur la fertilité des images qu’ils ont découvertes, la richesse des possibilités offertes par de nouveaux horizons. Pour eux, il n’y a pas de détour, mais une fidélité indéfectible. Ils sont des récidivistes nés, et le temps n’ôte rien à cette fidélité : au contraire, il la cultive, l’approfondit. Et de cet amour naît toujours une vie nouvelle.

Cependant, il y a les autres… Ceux qui se laissent engloutir par l’émerveillement du renouvellement infini des images, des métaphores fluides, des techniques séduisantes. Ils se laissent happés, jusqu’à l’ultime oubli, au-delà du retour possible. Ces artistes-là, rongés par un désir insatiable des arts humains, ne reviendront pas. Ils n’appartiennent pas à la lignée des récidivistes. Ils tombent, tout simplement, dans le piège de l’illusion du tout. Comme des jeunes « mourides », ils croient que pour appréhender le monde, il leur faut s’emparer de tout ce qui en fait partie. Ils multiplient les mouvements, et c’est là qu’ils se perdent, se persuadant que l’errance devient une fin en soi, une raison d’être artistique. Ainsi, ils passent leur temps à poursuivre l’horizon des genres, plutôt qu’à créer, ancrés dans un genre ou au sein d’une création. Et au bout de ce chemin sinueux, il y a un prophète ou un fou.

L’artiste intranquille, lui, aime travailler dans l’espace incertain, celui de l’intersection des formes et des pensées. C’est là qu’il érige son territoire, celui qu’il revendique comme un espace légitime. De cette « tiercéité » – une rencontre entre le monde des idées, celui de la matière et celui de la sensibilité – il forge sa nation.

Mais cette condition d’existence n’est viable que si elle repose sur un fondement aussi solide qu’indiscutable : l’artiste doit écrire. Oui, écrire. L’écriture, c’est l’art de mettre ses pensées en ordre, derrière les barreaux de l’alphabet. C’est formuler un propos, élaborer une thèse, une synthèse, une théorie… Car c’est par ces mots, cette réflexion structurée, qu’il devient un citoyen légitime de ce territoire. Les artistes intranquilles doivent écrire, car chaque nouvelle terre doit être gouvernée par ses propres lois.

*Plasticien et écrivain