ALGERIE, LA DIPLOMATIE DE L’AUTO-ISOLEMENT (ANALYSE)

Par Dr: Youssef CHIHEB*

Dans son dernier discours à la presse officielle, le président algérien Abdelmajid Tebboune a donné sa vision du monde qui est (le sien) et de ce que va être l’Algérie dans l’hypothèse où il sera « réélu » en septembre 2024. A cette occasion, il a proposé une Union du Maghreb arabe en version miniature pour ne pas dire en version quasi-inexistante, puisqu’il n’a pas de vision globale concernant la géopolitique et la géostratégie dans ses notions les plus élémentaires.

Avant d’aller dans cette direction, l’Algérie a fait le bilan de sa diplomatie pendant le mandat de Tebboune. Et ce bilan est catastrophique à l’échelle internationale. Pas moins de trois ministres des Affaires étrangères ont été remerciés pour avoir été enlisés dans des impasses stratégiques, géopolitiques et politiques tout court.

Un bilan rapide permet de comprendre cette espèce de fuite en avant de l’Algérie. Tout d’abord, tout son agenda politique international a été voué à l’échec: échec du Sommet arabe en novembre 2023 qui avait comme prétention l’unification du monde arabe alors que c’était plutôt le contraire qui s’est passé. Et dans la foulée, la tentative de fusion des deux composantes palestiniennes, et on voit bien aujourd’hui à quel point s’est accentuée la désintégration des deux grandes entités que sont la Cisjordanie et Gaza; la crise ouverte qui ne cesse de se dégrader avec l’Espagne; la crise larvée avec la France et plus récemment avec les Emirats Arabes Unis; la dépression de l’axe privilégié Moscou-Alger depuis la guerre en Ukraine; la prise de distance de l’Afrique du Sud vis-à-vis d’Alger au niveau international et au niveau de l’Afrique et plus grave encore, l’Algérie vient d’être amputée de ses deux pieds que sont l’Afrique et le Sahel, elle a des relations plus que corrosives et inflammables avec le Burkina Faso, le Niger et le Mali ; l’impasse du grand projet que l’Algérie a pompeusement présenté comme le projet du siècle, soit le projet mort-né du gazoduc Nigeria-Algérie; et puis bien entendu, le coup de grâce qui a été porté tout récemment par la France, l’Italie et l’Espagne, à savoir la fin de la coopération du fameux 5 + 5 incluant le Maroc, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie dans la rive sud, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Espagne dans la rive Nord; la fin de non-recevoir et la grande gifle qu’a reçue Tebboune de la part des BRICS en refusant l’adhésion de l’Algérie et en acceptant d’autres pays moins importants comme l’Ethiopie, pour des raisons strictement liées à l’économie et à la stabilité des institutions de l’Etat. Et cela s’est passé à Johannesburg comme un clin d’œil mortel à l’Algérie qui comptait beaucoup sur l’Afrique du Sud pour la faire adhérer à cette organisation.

Et ce n’est pas fini! L’initiative Atlantique de sa Majesté le Roi Mohammed VI annoncée dans son discours de la Marche verte (6 novembre 2023) en vue de désenclaver les pays du Sahel et leur permettre d’accélérer leur développement. Et cerise sur le gâteau, l’acceptation par la CEDEAO d’étudier sérieusement la candidature du Maroc pour intégrer cette organisation régionale.

On voit bien qu’aujourd’hui, Tebboune a fait son deuil sur le continent malgré cette mégalomanie cartographique dont il a toujours fait l’éloge; l’Algérie est certes le plus grand pays par la géographie mais le plus petit pays par la stratégie.

Union des bras cassés !

Le président Tebboune n’a donc pas de bilan en matière de politique internationale pour se présenter au second mandat, sachant qu’au niveau intérieur, la question n’est pas glorieuse non plus. Un taux d’inflation qui dépasse les 9%, un dinar qui ne cesse de se dévaluer, bref une situation que l’Algérie n’a pas connue avant l’ère de Bouteflika.

La nature ayant horreur du vide, le président Tebboune n’a plus qu’une seule option, c’est le fameux pétard mouillé, l’UMA en version miniature, mais il est certain que cela fera pschitt. Sans le Maroc et sans la Mauritanie, cette entité régionale en Afrique n’aura aucune chance d’aboutir. En acceptant de se marier avec la Libye qui est en guerre civile et la Tunisie, 49è wilaya d’Algérie, Alger s’est privée de l’Atlantique et donc n’a plus de profondeur géopolitique à l’échelle océanique; elle reste confinée dans la zone la plus stagnante qui est la Méditerranée centrale.

C’est une façon en creux d’intégrer le spectre du polisario dans ce trio qui n’a ni queue ni tête, qui n’a aucun déterminant géopolitique ou stratégique. Et on voit bien que l’Algérie veut jouer sur les symboles en réactivant un vieux rêve qui date d’un siècle, soit l’Union de la république d’Afrique du Nord. Un projet qui a été porté par l’élite tunisienne pendant la colonisation française alors que l’Algérie n’était qu’un département français. Aujourd’hui, l’Algérie de Tebboune veut se saisir de ce que j’appellerai « la coalition des bras cassés », sachant que tout cela n’aboutira à rien du tout, si ce n’est à remplir son agenda vide. Il n’est qu’à jeter un coup d’oeil sur le site officiel du ministère algérien des Affaires étrangères pour constater que ce bilan est nullissime.

Ce que je pense aussi et ce que pensent beaucoup de spécialistes en géopolitique, ce trio, si on additionne son PIB, si on additionne sa démographie, etc, c’est en fait l’Algérie qui fait l’Union avec elle-même, c’est l’union de l’Algérie avec l’Algérie puisque la Tunisie est devenue une arrière-cour de Tebboune. Est-il besoin de rappeler  que le premier signal envoyé par Kais Saïed a été de recevoir le chef de la milice séparatiste du polisario. On atteint le summum de la bassesse, de la faiblesse diplomatique.

Comble des combles, le refus des autorités algériennes de laisser la Renaissance sportive de Berkane porter sa tunique officielle avec la carte intégrale du Maroc. Jamais les choses n’ont été aussi bas et aussi nuls. Cela donne l’image d’un pays qui est à l’agonie sur le plan politique, géopolitique et stratégique surtout. Et donc le Maroc doit garder son cap et rester serein, il ne doit pas rentrer dans ce jeu, l’Union du Maghreb arabe a d’abord été mise en place pour la première fois à Marrakech sous le règne de feu SM Hassan II, Chadli Benjedid, Mouammar Kadhafi, Zine El Abidine Ben Ali et Mouaouia Ould Sidi Ahmed Taya. A part cette union qui peut faire l’affaire vu la taille du PIB et de la démographie, cette version miniature algéro-algérienne n’est que la relique de quelque chose qui date. L’Algérie est au bord de la faillite diplomatique et donc, elle essaie par tous les moyens de remplir les cases pour offrir à Tebboune un second mandat.

*Docteur en géographie humaine, professeur associé à l’Université Paris Sorbonne Nord et directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)