Kakistocratie ou gouvernance par les nuls

Beaucoup d’entre nous s’interrogent comment notre société en est arrivée à valoriser et récompenser les gens en fonction de leur manque d’intelligence. Comment les compétences, la réussite, l’autodépassement, l’engagement, l’exigence, la performance et la responsabilité sont ravalés au rang de subalternes, quand ils ne sont pas bannis de toute responsabilité.

Au parlement, à la télévision, dans les partis politiques, au gouvernement, dans la presse, le sport, l’art et la culture, la société civile, le leadership, toutes proportions gardées, est devenu l’apanage des nuls, des ratés de l’école, des incultes, des sous-instruits… Le règne de l’incompétence implique, par ricochet, un reflux de l’intelligence, du savoir, du savoir-faire, du talent et du mérite.

Le pari sur le management par les pires est-il un « choix de société » ?

Depuis que le monde est monde, cette pratique a toujours existé. Ce phénomène a un nom: kakistocratie, du grec kakistos: le pire et kratos: le pouvoir. « On parle aussi d’idiocratie pour désigner une société qui valorise et récompense les gens en fonction de leur manque d’intelligence », explique Isabelle Barthe, professeure et chercheuse en sciences du management à l’Université de Strasbourg, dans un article très édifiant sur ce phénomène.

Ce phénomène n’est donc ni nouveau, ni fortuit, son but ultime étant de préserver un système de gouvernance. La compétence crée le changement et fait souvent peur, à l’opposé de l’incompétence qui maintient le statu quo. En privilégiant l’incompétence, on crée chez elle une forme de « dette », à l’opposé du compétent qui ne voit dans sa promotion qu’un simple retour des choses.

Seulement voilà, ce phénomène est en train de prendre chez nous des proportions inquiétantes et risque, qu’à Dieu ne plaise !, d’échapper à tout contrôle. Au parlement, ça sent -et c’est un euphémisme- très mauvais. 10% de nos « respectables » parlementaires sont écroués ou poursuivis en état de liberté pour dilapidation et détournement de deniers publics, trafic de drogue et d’êtres humains, j’en passe et des meilleurs.

Idem pour certains inamovibles « zaïms » qui ont transformé leurs partis en chasse gardée au service des copains et des coquins, pour ne pas dire leur progéniture.

Le même schéma s’applique, mutatis mutandis, à la presse. Est-ce un hasard si la crétinisation du citoyen est élevée au rang de « ligne éditoriale » par le champ « idio-visuel »? Si la presse « jaune » gagne dangereusement du terrain? Si le sensationnel et le scandale sont panthéonisés au mépris de l’information sérieuse, de l’analyse et de la réflexion? Si la rumeur, l’approximation et « l’apeuprisme » se répandent comme un feu de pré sur la centrifugeuse des réseaux sociaux.

Il y a feu en la demeure.

D’où l’urgence d’un sursaut des consciences pour sauver les meubles, ou ce qu’il en reste.