A l’occasion de la journée mondiale du théâtre en mars 1991, la première chaîne nationale avait diffusé un débat télévisé sur la situation du secteur théâtral marocain, dont la liberté de ton inhabituelle pour l’époque avait plus que surpris. Ce fut du fait d’un jeune journaliste féru d’arts et de culture, Driss Idrissi pour le nommer.
Les hommes de théâtre d’alors soulevèrent librement les problèmes que connaît leur domaine ; absence de politique culturelle, d’aides et de soutien étatique et j’en passe… Vous remarquerez par ailleurs les similitudes avec la situation actuelle.
Il faut dire que le contexte s’y prêtait, du fait de la chute du bloc de l’Est entraînant une remarquable dynamique d’ouverture au Maroc, ainsi que la création récente d’une seconde chaîne marocaine augurant d’une diversification future du paysage médiatique.
Bref, une diffusion télévisuelle à laquelle la plus haute autorité de l’Etat s’intéressa de près, en l’occurrence feu Sa Majesté Hassan II. Le témoignage du principal protagoniste, Monsieur Idrissi en l’occurrence, est éloquent ; il raconte comment ladite diffusion a été accueillie avec fébrilité et confusion, avec pour conséquence un accueil au Palais Royal de Rabat après un passage chez feu Driss El Basri.
Les personnes convoquées étaient Moulay Ahmed El Alaoui (Ministre d’Etat), Driss Basri (Ministre de l’intérieur et de l’information), Mohamed Benaïssa (Ministre des affaires culturelles), Abdellatif Semlali (Ministre de la jeunesse), ainsi que les artistes Tayeb Saddiki, Abdelkader Badaoui, Moulay Ahmed Badri, Abdelouahed Ouzri, Lahoucine Echaabi, Hakim Ben Sina ainsi que Driss Idrissi à l’origine de ce tsunami politico-culturel.
Avec pleins d’interrogations en tête et ne sachant à quel Saint-Marabout se vouer, tout ce beau monde d’artistes rencontra le chef de l’Etat à Rabat en ce ramadan 1411/1991, et à l’issue d’une entrevue franche sera décidé un réel virage et une nouvelle impulsion dans la politique nationale concernant l’art dramatique.
Les premières assises du Théâtre professionnel seront organisées l’année suivante en mai 1992, avec une lettre royale énumérant un ensemble de décisions stratégiques pour le secteur, dont la plus emblématique sera le fait de réserver 1% des budgets des collectivités locales au Théâtre.
A l’occasion, décision sera prise de célébrer la journée nationale du théâtre chaque 14 mai, avec cet espoir naissant de donner au secteur des arts vivants des moyens à la hauteur des nombreuses attentes ; un espoir toujours vivant et vivace soit dit en passant.
Vingt-huit ans plus tard, les principales revendications perdurent avec cette journée que l’on célèbre annuellement ; même si lors de chaque changement ministériel, elles sont reportées aux calendes grecques, les calendriers politiques apparemment ne seraient pas compatibles avec la construction d’une politique culturelle, qui dans le meilleur des mondes devrait être transversale.
Beaucoup de professionnels regrettent ce rendez-vous manqué avec l’histoire, et cet espoir d’un avenir où ils pourront exercer dignement leur métier faisant relativement fi des obstacles matériels afin de se concentrer enfin sur la création.