SIEL-2023/Cycle Fatima Mernissi: rencontre-débat autour de la recherche académique sur les femmes marocaines

La 2ème conférence du Cycle Fatima Mernissi au SIEL-2023 s’est articulée autour de la thématique « Où en est la recherche académique sur les femmes marocaines ? », avec l’intervention des chercheures Myriam Cherti, Nassima Moujoud, Zhour Bouzidi, Leila Bouasria et Hayat Zirari. La Modération fut assurée par Chadia Arab.

Ce débat s’inscrit dans la pensée féministe de Fatima Mernissi, en hommage à cette grande sociologue et anthropologue, dont les travaux académiques ont pris le relais avec de brillantes chercheures dans une forme de militantisme et d’engagement. Dans son mot d’introduction, la modératrice, Chadia Arab, a souligné que Fatima Mernissi a beaucoup apporté avec ses travaux, sa pensée a structuré le travail de recherche sur les femmes et par les femmes. « Elle a été contre-courant de la pensée majoritaire qui a souvent mis l’accent sur des femmes souvent représentées comme des victimes. Elle a travaillé avec une pensée féministe, engagée et égalitaire, et s’est autorisée à écrire sur des sujets qui pouvaient fâcher, comme la religion, la politique ou autres. Elle était courageuse, travailleuse, audacieuse et a su initier une lecture féministe d’un savoir académique féminin et initier une génération de chercheures au Maroc, mais aussi dans le monde arabe et ailleurs dans le monde ».

 

 

D’où l’invitation de ces femmes chercheures qui se trouvent en continuité avec les recherches de Mernissi, à travers des lectures nouvelles, l’émergence de nouveaux thèmes, tout en étant dans la lignée de valoriser et diffuser les travaux sur les femmes marocaines.

Ainsi, pour Hayat Zirari, anthropologue et professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Hassan II, la recherche de Fatima Mernissi a rejoint les approches féministes qui ont émergé depuis les années 70 et qui ont enrichi la théorie critique en mettant en évidence les structures sociales et culturelles des inégalités des sexes, …Et d’ajouter que cette dame a directement ou indirectement façonné et impacté les jeunes étudiants des années 80. « J’ai pu retenir des moments importants pour les recherches sur les femmes, notamment ceux de la construction de la démocratie et de l’égalité dans notre pays, de l’émergence de nouvelles problématiques en socio-anthropologie. Comme elle a pu nous transmettre ses qualités de chercheure accomplie, une narratrice hors normes, avec une pédagogie pas du tout classique, pour aller réfléchir sur la place et le statut de la femme qui peut œuvrer dans le changement de la réalité sociale ».

Par ailleurs, Zhour Bouzidi, professeur à l’Université Moulay Ismail de Meknès et chercheur, en entreprenant des travaux de recherches sur l’agricultures, la gestion des ressources naturelles et la ruralité de manière globale, s’est vite rendu compte que ces univers sont toujours associés à la masculinité. Les femmes sont, généralement, confinées à la tâche domestique. « Mais, en faisant du terrain dans le rural, on s’aperçoit de l’importance de l’activité productive féminine, dans les champs, l’élevage, les activités génératrices de revenus, en plus des tâches domestiques ». Ce qui a donné l’idée à Zhour Bouzidi de faire des recherches sur les voies d’autonomisation des femmes dans le monde rural, puis d’autres où elle a découvert un savoir-faire extraordinaire de ces femmes dans divers domaines. Comme elle a remarqué que dans le travail rémunéré, dans les chaines alimentaires ou autres, ces femmes sont centrales malgré les conditions défavorables dans lesquelles elles exercent.

Pour sa part, Leila Bouasria, enseignante-chercheure en sociologie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines Ain Chock de l’Université Hassan II de Casablanca, s’est intéressée au changement de ces rapports de genres dans des situations de précarité, qui va au-delà des dimensions économiques. Souvent son travail était vu comme un facteur de changement de ces mutations. « Ce qui est intéressant dans ces parcours précaires, est que ces femmes se situent entre le formel et l’informel, à travers des métiers très peu reconnus et reconnaissables, non seulement dans les zones rurales, mais aussi urbaines », explique Leila.

De son côté, Myriam Cherti, chercheure au centre des politiques migration et société à Londres, a choisi ce sujet parce qu’il n’y avait pas de recherches sur cette communauté venue dans les années 60 au Royaume-Uni. Elle a découvert deux spécificités particulières à cette migration qui vient principalement du Nord du Maroc, mais qui n’est pas structurée, avec une migration féminine précoce (des célibataires, veuves, …) parties en premier avant de faire venir leur famille.

« Ce fut un contre-courant par rapport à toute la littérature qu’on retrouve où la femme marocaine est devenue visible en fin des années 70 et début 80 avec le regroupement familial. C’est là où j’ai commencé mes recherches, tout en m’inspirant des travaux de Fatima Mernissi, en dehors des références étrangères, qui évoquaient ce capital social ».

Nassima Moujoud, professeur de conférence en Anthropologie à l’Université de Grenoble, a, quant à elle, porté ses travaux sur le genre, la production sur les discours sur le travail, la mobilité et la sexualité dans le contexte du Maroc et de la France. Elle a rappelé que Fatima Mernissi est pionnière sur un ensemble de sujets et d’analyses. Ce sont les transmissions de la génération qu’elle a étudiée qui ont influencé son parcours. « C’est ce qui m’a poussé à m’appuyer sur les travaux de Mernissi dans mon parcours d’étudiante au Maroc. Ce parcours a amené la question du rapport entre minorité, majorité, notamment entre amazigh et arabophone dans le contexte de l’indépendance de l’Etat marocain. Cette articulation entre majoritaire et minoritaire était une perspective qui va se retrouver dans mon parcours en France où je rencontre un ensemble de Marocaines partis seules, veuves ou divorcées et je m’étonne de l’absence de travaux identifiant leur présence ». Dans le contexte marocain, ajoute Nassima, c’est la migration rurale de l’Atlas vers Casablanca (80-90) dans le recrutement de jeunes domestiques qui se retrouvent seules ne maitrisant pas l’arabe, en situation minoritaire d’exploitation et parfois de violences. Le contexte français fait émerger cette articulation entre précarité, autonomie et domination dans le cas de femmes sans papiers qu’elle a accompagnées pour l’informer de leur lutte pour avoir des droits en France.

C’est tout un ensemble de recherches, que ces chercheures ont entrepris, dans divers sujets en rapport avec une certaine catégorie de femmes, dont la lutte continue pour avoir leurs droits les plus élémentaires pour une vie plus décente.

Ouafaa BENNANI