CARNETS DE VOYAGE. PÉRIPLE DE PAIX EN MÉDITERRANÉE. « BIENVENU EN GRÈCE »!!!

Le 18 juillet 2003, nous fîmes voile vers la capitale d’Ithaque, Vathy, l’une des sept îles qui forment l’archipel des îles ioniennes. François Grimberg, chercheur à l’Université de la Sorbonne, avait les joues roses d’émotion: «Nous irons dans une île où Ulysse fut roi», dit-il, d’un ton pédantesque. Le royaume d’Ulysse, héros mythique, dont l’épopée fut célébrée par Homère dans son célèbre poème «Odyssée», suscita la curiosité sur le navire de guerre. Grimberg, entouré de quelques archers, ajusta ses binocles pour donner lecture de quelques beaux textes de «L’Odyssée», avant de se lancer dans une explication marathon sur les aventures d’Ulysse, ce héros qui dût combattre le cyclone, après avoir survécu à la prise de Troie, puis à la furie des flots, des tempêtes qui le jetèrent sur les côtes du pays des Lotophages en Libye, puis sur les rivages de la Sicile…

À l’instar des îles ioniennes, Ithaque est peuplée depuis la préhistoire. L’ex-royaume dUlysse a pu se forger une histoire riche et variée, sachant qu’il était situé sur la route d’invasion et de marché dans les Balkans, de l’Italie et du Levant. Situé à la croisée des chemins, l’archipel, traversé de différentes civilisations, fut l’un des territoires helléniques les plus convoités. Il aura ainsi fallu plusieurs années de combats pour déloger les Turcs d’Ithaque, en 1821. Ce n’est qu’en 1864 que cet archipel fut annexé par l’Etat grec, à cause de la situation internationale, en Europe et après une série de négociations.

Restée longtemps sous domination étrangère, et même après sa libération, Ithaque ne sera jamais au bout de ses peines. En 1953, une série de tremblements de terre la secouèrent. Des efforts «ulysséens» furent déployés pour reconstruire cet archipel, devenu depuis le début des années 60 un véritable bijou touristique.

«Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu’il eut renversé la citadelle sacrée de Troie. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir, et ils périrent pour leur impiété, les insensés! Ayant mangé les boeufs de Hélios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l’heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus»…

À la lecture de cet extrait de l’un des plus beaux textes poétiques qui aient été écrits jusqu’à présent, «L’Odyssée», une larme perla sur la joue de François Grimberg, grand helléniste. Les pacifistes, assis en tailleurs autour de lui, s’enthousiasmaient à l’idée d’aller découvrir cette cité qui abrita le héros tragique de «l’Odyssée», Ulysse.

«Bienvenue dans l’ex-royaume d’Ulysse», souhaita Virgile, ex-directeur du Théâtre Bulandra (Bucarest).

20 juillet, 15 heures, Vathy est à portée de regard. Au-dessus, le ciel est dégagé. Un silence religieux enveloppait le destroyer ; dans les cabines, quelques passagers faisaient encore leur sieste. Alors que le navire de guerre attendait le feu vert de la capitainerie de Vathy pour entrer, un vent puissant se leva. Un bruit assourdissant entonna dans les cabines. Le haut-parleur cracha quelques paroles incompréhensibles. Le chef de manoeuvre était sur les nerfs. Mouvement inhabituel parmi les marins, qui remontèrent à bord.

«Le navire a failli couper un ferry australien en deux», s’affola mon ami Patrick. «Que s’est-il passé ?», demanda cet autre compagnon, la mort dans l’âme.

Après avoir jeté l’ancre dans le large de Vathy, le navire fut entraîné par un vent très fort vers le port. C’est à peine s’il n’eut écrasé le ferry qui embarquait des centaines de touristes australiens. N’eût été la vigilance de l’équipage roumain, une catastrophe se serait produite.

Le chef d’équipage porta le pouce sur sa tempe comme pour chasser un mauvais sort!!!

«Mais que faire pour les passagers qui doivent débarquer à Vathy ?», lança Marc Cohen, argentier du périple. On était en effet trois à devoir débarquer à Vathy, les autres devaient poursuivre le périple jusqu’à la ville de «Constanta», en Roumanie.

«Aux grands maux, les grands remèdes», fit Richard Martin. A 20H00, un boat-taxi vint nous chercher sur la côte de Vahty. Nous voilà évacués en catastrophe, par un vieux loup de mer, un marin grec aux moustaches fournies. «Pas de soucis à se faire», rassura-t-il. «Nous sommes habitués au mauvais temps», ajouta-t-il, dans un français approximatif.

Après avoir fait mes adieux à mes amis restés sur le «Constanta», j’embarquai à bord du boat-taxi, au côté de Richard Martin, Hélène Bourguignon (comité d’organisation), et Emilio Garrido (mon confrère et néanmoins ami espagnol).

A 20H30, arrivée au port de Vahty. Sur le quai, la responsable du service de coopération culturelle de l’ambassade de France à Athènes nous attendait impatiemment. Le maire de Vathy, elle, était absente. Richard Martin se sentit vexé, le maire avait promis de venir. Qu’est-ce qui l’aurait poussée à changer d’avis in extremis?

Contre l’avis du commandant de bord, elle tenait à ce que le navire de guerre accoste à Vathy. Voilà pourquoi elle (nous) aurait boudé…

Qu’à cela ne tienne!!! La présence de nos hôtes français suffirait.

«Vous avez sûrement faim, après ce fâcheux contretemps. Mettez-vous à table, je vous en prie», convia l’attachée culturelle de l’ambassade de France à Athènes.

Nous n’avions certes pas débarqué dans l’un de ces restaurants branchés de Vathy, comme «Manolis» qui sert la meilleure nourriture cuite dans des fours d’argile. Un agneau rôti, spécialité où le célèbre cuisinier grec est passé maître, aiguisait l’appétit de plus d’un. Elevés dans les montagnes, nourris, entre autres, aux feuilles d’olivier, citronniers, vignobles et autres arbres fruitiers qui recouvrent ces montagnes, les agneaux de Vathy ont un goût unique.

Tout comme les agneaux, Vathy recèle de grandes richesses halieutiques. Située en bord de mer,  la côte d’Ithaque regorge de poissons toutes espèces confondues. Nous eûmes d’ailleurs droit à une variété impressionnante de poissons, allant des poissons-épée (espadon) au poisson volant, du poisson rouge (carassin ou cyprin doré) aux poissons plats (turbots, carrelets, limandes, soles). Le menu copieux  qui nous a été présenté par une ravissante serveuse grecque, était aussi riche que varié. La discussion porta tout d’un coup sur les vertus de chaque poisson…

Hélène Bourguignon en profita pour faire un petit détour chez les autorités portuaires. Quelques minutes plus tard, elle me téléphona pour me demander d’en faire autant, -contrôle des passeports oblige!!

«Parlez-vous greeg», me demanda un policier. «Non monsieur!!», lui répondis-je. J’ai remplis les formulaires, et quittai les lieux sans mot dire.

«Kalespera», me fit toutefois le policier, en guise de « bonsoir ».

À l’autre bout, l’échange était un peu passionné. En fait, Richard Martin n’avait pas digéré le fait que le maire de Vathy n’ait pas fait le déplacement. L’attachée culturelle de l’ambassade de France à Athènes, elle, ne voulut pas en faire un plat. Elle mit cette bouderie sur le compte de la nature des îliens qui seraient très caractériels…

Contrairement aux Athéniens, plus ouverts, les habitants des îles, a fortiori de Vathy, marquée par une vieille blessure engendrée par les invasions et la piraterie, sont en effet méfiants à l’égard des étrangers.

Mais passons, car le séjour dans les îles ioniennes coûte très cher. Nous dûmes payer une nuitée au prix d’or dans un hôtel pourtant modeste. «40 euros» (!), toussota le maître d’hôtel. La facture n’avait toutefois pas fait ciller mon ami espagnol Emilio Garrido, fidèle habitué du pays de Platon. «C’est le prix à payer pour admirer la plus belle île de la Grèce», me fit-il.

Vathy, dont les racines trempent profondément dans l’histoire, confluent de plusieurs civilisations (vénitienne, ottomane, byzantine, phénicienne, française, anglaise, etc), possède une architecture simple et sobre incarnée par des maisons blanchies à la chaux, aux toits plats et aux volets et portes colorées en bleu. Pour s’en rendre compte, il suffit d’une petite trotte du côté du village Perahori, situé à 3 kilomètres au sud de Vathy, construit sur le sommet d’une colline, 300 mètres au-dessus de la ville, d’où cette vue magnifique sur la mer ; ou du côté de «Paleohora», qui signifie en grec «village ancien», considéré comme la capitale de l’île pendant le Moyen Age et le début de la période vénitienne.