L’œuvre d’Aziz Sayed a fait l’ objet de nombreuses analyses qui en ont montré l’originalité et la profondeur. Mais, il y a un aspect, quelque peu énigmatique, qui n’a pas été assez éclairé … ou tout juste effleuré. Une étrange poésie exotique sublime cette œuvre et lui donne aussi une dimension interculturelle incontestable.
Les figures féminines, représentées par Aziz Sayed, possèdent toutes des traits et attributs de l’Extrême Orient. Y compris ces représentations de tissus soyeux marqueurs de l’Asie… des coiffes et des étoffes somptueuses, embellies d’entrelacs, de broderies, de festons aux teintes pastels, etc.
L’ œuvre est porteuse d’un référentiel asiatique évident. Certaines lectures y ont vu, à juste titre, des «miniatures Mogholes» (Mahi Binebine) ou « l’ombre sibylline de Shahrazade » ou « Shahrazade revisitée » (Abderrahmane Tenkoul).
Cette empreinte qui a constitué une rupture avec son ancien style s’est manifestée en 2011, lors de son exposition à la Galerie Bab Rouah.
Mais sa genèse est restée énigmatique. D’où vient tout cela? Quelles sont les sources de cette imprégnation asiatique? Aziz Sayed lui-même a apporté la réponse… d’une manière incidente mais passionnante.
S/t. La fascination de la figure du père
Il y a près de 3 ans lors d’un retour de Casablanca… (en compagnie de l’ artiste-peintre Mansouri Idrissi, du chercheur en esthétique Mohamed Chiguer et de Aziz Sayed )… au fil des discussions… Aziz a commencé à évoquer le fabuleux parcours de son père Feu Haj Larbi Ben Brahim Sayed… Durant 45 ans, son père a fait du voyage et de la découverte du monde une philosophie de vie !!
A notre étonnement et suscitant notre curiosité, Aziz a également évoqué, avec tendresse, le destin de ses demi frères et sœurs, issus des mariages de son père avec une «birmane» et une «indienne» (!!)
Il en parlait sur le ton plaisant de l’anecdote… mais il était clair que le lien devait être établi entre ce passionnant volet familial et sa créativité. C’est de là, probablement, que viennent les « miniatures mogholes » et « l’ombre sibylline de Shahrazade » !!
Toujours sur le trajet, une longue discussion entre nous a porté sur cette antienne d’expliquer ou non une oeuvre par des éléments de biographie… Ou se suffire exclusivement de la forme, du fondement esthétique de l’œuvre « débarrassée » du « moi social » et de sa « petite histoire »!!
De mon point de vue, il semble difficile d’exclure ce lien car un artiste peintre « est » dans sa toile… comme un écrivain ou un poète « sont » dans leur « texte »…
D’ autres pensent que « l’ observation scientifique » ou « l’analyse rigoureuse » risquent d’en être altérées… Comme si on était dans les sciences exactes ! Le débat reste ouvert !
St. L’exceptionnel destin de Haj Larbi Ben Brahim Sayed
Suite à de passionnantes discussions avec Aziz, un « merveilleux puzzle » a été reconstruit. Son père était un grand voyageur. A la fin du 19 ème siècle (1891), il a fait le voyage de la Mecque à pied…
Après son pèlerinage, il a poursuivi son périple et a séjourné dans un grand nombre de pays dont le Pakistan, la Chine, la Birmanie, l’Inde, le Japon, Macao, Hong Kong …
En 1936, il est revenu au Maroc et s’est remarié. Aziz Sayed, issu de cette union, avait tout juste quatre ans quand son père mourut. Des nombreux mariages de son père, il avait un demi-frère (Abdeljabbar) dont la mère était indienne… et un autre demi-frère (Kacem) et une demi-sœur (Rabiaa) dont la mère était birmane.
St. Le récit « non écrit » par le père… mais » peint » par le fils
L’image du père « globe-trotter » qui a sillonné le monde est incontestablement un élément constitutif de l’imaginaire de Aziz. Une oeuvre « identitaire » symbolisant la recherche d’une part de lui-même. Une quête du père, des frères et des sœurs qui ont manqué.
La figure féminine, omniprésente, c’est aussi l’image de l’Asie… Un «continent/femme» où le père a « refait » sa vie plusieurs fois.
Dernièrement, Aziz Sayed s’est déplacé à Ain Bni Mathar, région d’Oujda, pour retrouver et se recueillir auprès de la tombe de son père, mort en 1950. Il a pris une photo de la stèle portant cette épitaphe :
«Ici repose après un long périple de 45 ans au Hijaz, en Irak, au Bilad Cham, en Inde, en Chine, au Japon, Feu Haj Larbi Ben Brahim Sayed décédé le 22 décembre 1950 à Ain Bni Mathar».
Haj Larbi Ben Brahim Sayed – à l’exceptionnel destin – continue à rayonner à travers l’œuvre de son fils.
Aziz est lauréat (1968) de l’ Académie des Beaux-Arts de Cracovie (Pologne) et il expose depuis 1969. Son oeuvre, adossée à des techniques picturales riches et complexes, fait de lui un des peintres les plus en vue de la scène plastique marocaine aujourd’hui.