Dans le sillage de la révision du Code électoral et des lois y afférentes, une étape charnière des préparatifs pour les prochaines échéances, un large débat a été engagé, au cours des dernières semaines, autour du quotient électoral, une frange de formations politiques privilégiant l’adoption d’un nouveau mode de calcul basé sur le nombre des inscrits aux listes et d’autres s’attachant à la règle des votes valides, en vigueur jusque-là.
Suite à une réunion de concertation tenue récemment entre les dirigeants des partis représentés au Parlement pour examiner les amendements pouvant être inclus dans les lois électorales, des divergences profondes ont surgi entre partisans du maintien du même mode de calcul et adeptes du changement de cette base juridique.
Un nombre de formations politiques, par la voix de leurs dirigeants, s’est déclaré franchement favorable à un quotient aligné sur le nombre des inscrits aux listes électorales, tandis que le Parti de la justice et du Développement (PJD), vainqueur des deux derniers scrutins législatifs, s’oppose fermement à cette option, estimant qu’elle est contraire aux dispositions constitutionnelles.
A l’opposé, l’Union socialiste des forces populaires (USFP), membre de la coalition gouvernementale, estime que la démarche suivie auparavant pour le calcul du quotient électoral selon les votes valides a conduit à l’émergence d’une bipolarité partisane « fragile », en faisant allusion au PJD et au Parti Authenticité et Modernité (PAM) qui ont remporté plus de la moitié des sièges à la Chambre des représentants lors des législatives de 2016.
Une source de l’USFP a confié à la MAP que l’adoption de ce mécanisme a été préjudiciable pour le parti, à l’instar d’autres formations qui ont perdu des sièges décisifs à cause du mode adopté pour le calcul du quotient électoral.
Le parti de la Rose note également que le calcul du quotient selon le nombre des inscrits et non sur la base des voix exprimées ou des votes valides contribuera à renforcer la démocratie représentative et à assurer la justice et l’équité dans la scène politique et partisane.
Il relève aussi que la représentation politique actuelle au Maroc ne reflète pas l’extension réelle des partis dans la société, du fait de l’absence d’une proportionnalité entre le nombre des voix et celui des sièges obtenus.
Dans une déclaration similaire, une source bien informée du PJD a exprimé le rejet total de cette option par cette formation, du fait qu’elle constitue une atteinte au fondement démocratique des élections et un revers pour les acquis réalisés dans le domaine législatif et la pratique électorale durant les deux dernières décennies.
Le parti précise que sa position à ce sujet est « une question de principe, fondée sur des considérations constitutionnelles et démocratiques et non sur d’autres desseins, en ce sens que « la légitimité des formations politiques émane du vote des citoyens et non d’autre chose ».
Il estime également que le fait de se baser sur le nombre des inscrits pourrait pâtir de défaillances majeures dues aux erreurs pouvant entacher les listes, d’autant que même leur révision annuelle n’a pas permis de remédier aux lacunes constatées.
Pour nombre de politologues, ces positions divergentes indiquent que les formations politiques veillent à défendre leurs intérêts avant tout, précisant que la victoire lors des prochaines échéances constitue le principal enjeu des partis, malgré la nature des défis auxquels fait face le pays.
Ainsi, Abdelaziz Qaraki, enseignant de sciences politiques à l’Université Mohammed V de Rabat, fait observer que le débat sur les mécanismes de mise en œuvre de la démocratie participative est « une question salutaire qui consacre une meilleure pratique politique », sauf que l’exaspération des polémiques autour de ces aspects pourrait conduire à « une certaine instabilité politique, chose qui n’est pas souhaitable ».
Il a expliqué à la MAP que le souhait formulé par certains partis de changer le quotient électoral « révèle que le premier souci de plusieurs partis est d’empêcher toute autre formation de remporter plus d’un siège par circonscription, sans considération des répercussions négatives de cette position ».
L’adoption de la règle des inscrits sur les listes électorales « n’accorde aucune importance aux votes exprimés, parce qu’il est préjudiciable de mettre à pied d’égalité une personne qui voit dans les élections un moment capital pour exprimer son choix et une autre ne savant même pas si elle est inscrite sur les listes électorales et ne portant aucun intérêt à cette étape », a-t-il asséné.
Le débat sur cette question est « inutile par essence et pourrait même transformer la compétition électorale en un duel où il n’y aura ni vainqueur ni vaincu », a-t-il poursuivi, notant que ce scénario « serait similaire à un tournoi sportif dont les matchs se soldent toujours par un nul, ce qui poussera le public à s’intéresser à d’autres tournois plus attrayants ».
De son côté, l’enseignant des sciences politiques à l’Université Chouaib Doukkali d’El Jadida, Mohamed Zehraoui, pense que le débat engagé soulève nombre d’interrogations sur les véritables soubassements de ce débat, surtout que l’adoption du quotient électoral sur la base des inscrits est de nature à contribuer « à la balkanisation et l’éparpillement de la scène politique plutôt qu’aux efforts de rationalisation et de modernisation entrepris par le Maroc depuis environ trois décennies ».
M. Zehraoui a souligné que cette variable démontre l’existence d’une volonté de restructurer le champ politique selon des « calculs tactiques » avec pour objectif de contrôler la cadence de la lutte et de la compétition partisane, tout en faisant état du problème de concilier entre la concurrence partisane et le cadre juridique, car cette variable, d’un point de vue juridique, pourrait ne pas poser de difficultés surtout que les partis ont convenu dans le passé de réviser le Code électoral.
Néanmoins, a-t-il insisté, certaines formations peuvent estimer qu’elles sont directement visées par le changement du quotient électoral sur la base du nombre des inscrits, notamment le PJD, ce qui pourrait pousser ce parti à reproduire le « discours de la victimisation » au lieu de défendre son bilan durant deux mandats successifs à la tête de l’Exécutif.