Artiste peintre, créateur contemporain et désigner graphique, Rachid Bakhouz fait partie de cette nouvelle génération d’artistes engagés dans une recherche intense en art moderne et en art contemporain. Menant un double parcours national et international, il ne cesse de questionner ses choix esthétiques et ses techniques. Ouvert sur l’échange et le débat, Rachid Bakhouz laisse percevoir une pensée maîtrisée sur son art.
Il n’accepte pas d’être classé définitivement dans un genre. Les frontières entre écoles, courants ou tendances n’entravent pas son inspiration. Doté d’une forte intuition esthétique, il a montré talent et inventivité depuis sa première exposition en 1995: figuration, abstraction pure, abstraction lyrique, lyrisme lettriste, amplitude gestuelle, installations, performances… Son œuvre est plurielle et s’inscrit dans une post-modernité incontestable.
Son travail est marqué par une recherche soutenue sur « Al Harf » et son « mystère ». Certes, il est dans la lignée du mouvement « Houroufi » (le lettrisme)… mais cette classification ne peut résumer l’esprit de sa démarche. Il fait sortir la lettre du « tableau », de la « toile »… pour la représenter et la travailler autrement.
Sa polyvalence le différencie de ses prédécesseurs « lettristes ». Sa vision est autre. Le contexte qui a vu l’émergence de ses devanciers a disparu.
Dans un monde bouleversé… les artistes s’interrogent sur le sens à donner à leur art. Pour un grand nombre, la peinture sur toile tend à devenir un vecteur insuffisant… Elle ne semble plus répondre aux besoins d’expression de leurs préoccupations et plus généralement de leur imaginaire. D’où la nécessité de prospecter l’art contemporain.
Cependant, il ne s’agit pas chez Rachid Bakhouz d’une rupture car la peinture continue… mais elle n’empêche pas l’exploration. Il y a chez lui un ressenti qui s’extériorise mieux dans la créativité contemporaine.
Dans son exposition « Entre visible et invisible » il montre plusieurs catégories d’œuvres réalisées sur différents supports et avec différentes techniques: peinture sur toile, installations, performance réelle, performance vidéo, bâches peintes… Lettres en bois neutre, lettres peintes, lettres métalliques découpées au laser, lettres forgées, pliées, ondoyantes, en spirale…
L’exposition est hybride… mais il ne s’agit en aucun cas de dispersion. Les signes de l’alphabet sont partout. Rachid Bakhouz ne cesse d’exprimer son amour pour la lettre arabe. Mais dans ses œuvres contemporaines, il ne s’inscrit pas dans l’hommage classique au « Harf » en une célébration esthétique répétitive et … parfois usée !!
Il innove en proposant une installation (Réfection 2) composée de cinq bassines de lavage emplies de « lettres » (découpées dans le bois) issues des alphabets « arabe »… « latin »… et « hébraïque ».
Les bassines sont pourvues de savon et d’une planche traditionnelle… pour « laver les lettres ». Il y a aussi des fils de séchage pour étendre le « linge ». Une autre performance sur vidéo (Réfection 1) montre explicitement un personnage féminin en train de laver ces lettres au bord d’un plan d’eau.
Une autre installation (Transcendance) donne à voir des lettres géantes métalliques. Les lettre sont forgées, pliées, ondoyantes, sinueuses… Leur enchevêtrement rappelle aussi la configuration des circonvolutions cérébrales.
Dans sa conceptualisation, il est évident que Rachid Bakhouz utilise la lettre (arabe, latine et hébraïque) comme symbole de trois champs linguistiques… afin de pointer la « crise de communication »… ou même « l’échec du dialogue » entre les cultures et aussi entre les individus.
Rachid Bakhouz n’invite pas à laver la « LANGUE » (اللغة) qui reste un système linguistique propre à une communauté. Ce qui est en jeu… et « métaphoriquement » lavé… ce sont les mots… le langage… le discours (الخطاب)… la parole (الكلام)… la manière de penser… de réfléchir… C’est-à-dire l’usage personnel que font les individus de la langue.
L’artiste invite à « nettoyer » le discours et les mots … des préjugés, des stéréotypes, des clichés, des malentendus, des confusions, des ambiguïtés, de l’imprécision, de la langue de bois, des expressions de haine et d’exclusion, etc…
Le concept de Rachid Bakhouz porte sur la « restauration » ou la « réfection » du langage… Une réparation symbolique de la communication et du dialogue. Il aspire à rétablir les ponts entre trois visions du monde… trois sphères linguistiques et culturelles… qui sont souvent à la une de l’actualité tragique du monde.
Cette vision illustre un nouveau type d’engagement induit par une époque mondialisée. Le jeune artiste plasticien qui travaille aujourd’hui sur la « lettre arabe » s’interroge sur sa démarche.
Il ne peut plus en rester à cette célébration esthétique et parfois auto-satisfaite du signe (même si c’est fait avec talent)… comme si le monde n’avait pas changé. L’atmosphère relativement sereine dans laquelle travaillaient ses prédécesseurs lettristes dans les années 60 et 70 n’existe plus.
Un autre aspect intéressant à évoquer dans la démarche de Rachid Bakhouz… il a choisi de ne pas intégrer l’alphabet Tifinagh dans ses œuvres contemporaines. Il a préféré questionner les trois alphabets des sphères socio-culturelles traversées aujourd’hui par des antagonismes.
C’est comme si avec son recul culturel d’Amazigh, il souhaitait interpeler les consciences… en portant aussi un regard d’apaisement, de médiation et de conciliation. Pour lui, rien ne justifie cette absurde conflictualité.
Rappelons aussi que toutes les œuvres présentées dans l’exposition « Entre visible et invisible » ont été créées loin du tumulte urbain (cela a beaucoup de sens !) dans son atelier à Lalla Takerkoust au pied des montagnes de l’Atlas…
Rachid Bakhouz est un « artiste de synthèse » qui conduit un projet artistique novateur. Tout en proposant une vision « néo- lettriste », il a réussi à combiner entre créativité moderne et contemporaine, à travers une recherche maîtrisée où les deux champs se complètent et s’éclairent mutuellement.