
Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Près de sept décennies après la fin du double protectorat français et espagnol, le Maroc présente un paradoxe troublant : le pays a retrouvé sa souveraineté politique, mais une partie importante de sa population semble n’avoir toujours pas acquis son indépendance sociale et économique. En d’autres termes, si la tutelle étrangère appartient à l’histoire, une forme de domination interne perdure.
Une fracture sociale persistante
Dans plusieurs régions du Royaume, la précarité, le faible niveau d’instruction et l’absence d’opportunités économiques maintiennent des millions de Marocains dans une position de vulnérabilité structurelle. Cette réalité nourrit la perception d’un pays où une minorité, mieux éduquée et économiquement favorisée, continue de tirer profit de la fragilité de larges catégories sociales.
Ce constat n’est pas nouveau. Il a même été exprimé au plus haut niveau de l’État lorsque SM le Roi Mohammed VI évoquait à plusieurs reprises l’existence d’un « Maroc à deux vitesses », dénonçant les inégalités entre territoires, entre villes et campagnes, entre classes aisées et populations marginalisées.
Les héritages d’un modèle inachevé
Lors de l’indépendance en 1956, le Maroc a hérité d’une structure économique et administrative fortement marquée par la période coloniale : institutions centralisées, économie concentrée autour de quelques secteurs dominants et une élite déjà en place. Malgré les réformes menées depuis, ce modèle n’a pas permis de réduire efficacement les écarts sociaux.
Les zones rurales, représentant encore une part importante de la population, souffrent particulièrement du manque d’infrastructures, de services publics insuffisants et de l’isolement économique. Dans les quartiers urbains défavorisés, la jeunesse fait souvent face à un chômage massif et à l’absence de perspectives.
Un développement économique réel, mais inégal
Le Maroc a néanmoins réalisé des progrès remarquables : infrastructures modernes, réseaux de transport de grande qualité, industries émergentes (automobile, aéronautique, énergies renouvelables), et montée d’une classe moyenne urbaine.
Mais ces avancées bénéficient encore trop peu à la majorité de la population. Les disparités territoriales, sociales et éducatives freinent la construction d’un développement véritablement inclusif.
Comment assurer l’égalité après 70 ans d’indépendance ?
Les experts s’accordent sur plusieurs priorités :
● Réformer l’école publique, condition indispensable à la mobilité sociale.
● Renforcer la gouvernance locale pour garantir un développement plus équilibré.
● Lutter contre la rente et les monopoles, qui freinent la concurrence et l’accès aux opportunités.
● Accélérer la protection sociale universelle, notamment dans les zones rurales.
● Encourager l’économie régionale et les petites entreprises comme moteurs d’emploi.
● Évaluer les politiques publiques pour en mesurer l’impact réel.
Un défi national majeur
Après 70 ans d’indépendance, la question n’est plus celle de la souveraineté du territoire, mais de la souveraineté des citoyens sur leur propre destin.
La lutte contre les inégalités est devenue, pour beaucoup, la dernière étape vers une indépendance pleinement réalisée.
Certes, l’indépendance politique du Maroc est une réalité depuis 1956. Mais l’indépendance sociale, celle où chaque citoyen peut aspirer à un niveau de vie digne, à une protection face aux aléas et à une participation réelle au développement, reste un chantier ouvert. Le Royaume peut se targuer de ses succès, mais sans une stratégie audacieuse et inclusive pour réduire les fractures, le rêve d’une souveraineté complète, non seulement sur le plan territorial, mais sur le plan humain, restera partiel.

