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Mémoire silencieuse, douleur persistante : hommage aux familles des martyrs, blessés et prisonniers de la guerre du Sahara

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Il existe, au cœur du Maroc, une douleur invisible et pourtant profondément enracinée, qui ne peut être effacée ni par les victoires diplomatiques, ni par les tournants historiques. Elle porte le nom d’hommes tombés au front, de soldats disparus dans le désert, de civils exécutés ou capturés, de familles dévastées, de mères sans sépulture où se recueillir, d’épouses restées en suspens des décennies durant, de prisonniers que l’on n’attendait plus et qui, une fois revenus, étaient déjà à jamais absents d’eux-mêmes.

Cette douleur, c’est celle des familles des martyrs, des blessés et des anciens prisonniers de guerre marocains qui ont payé, bien avant l’édification du dispositif de défense, la violence brutale du conflit du Sahara. Un conflit d’usure qui, du lendemain de la Marche Verte (1975) jusqu’au cessez-le-feu de 1991, a imposé au Maroc un tribut humain et matériel d’une ampleur rarement mesurée à sa juste hauteur.

Avant le dispositif de défense : la période la plus meurtrière

Avant la construction du dispositif de défense — colonne vertébrale militaire et stratégique édifiée progressivement à partir de 1980 — les Forces armées royales et les forces auxiliaires étaient exposées sans protection structurelle aux offensives adverses. Des centaines de militaires furent tués, blessés, ou faits prisonniers, souvent dans des conditions dramatiques, alors que les lignes de confrontation restaient mobiles et incertaines.

Ce sont aussi des épisodes de capture massive : des soldats marocains conduits à Tindouf, puis détenus dans les camps de Rabouni, où ils connurent la torture, la malnutrition, l’humiliation psychologique et les travaux forcés. Certains y sont restés plus de deux décennies. Le dernier contingent n’a été libéré qu’en 2005 — trente ans après leur capture — dans l’indifférence glacée du temps et la blessure irréversible du retour.

Des victimes au combat… et à vie

Les familles qui ont perdu un père, un fils, un frère ou un époux ont vécu un drame double : l’absence d’information claire, l’attente interminable, l’absence de reconnaissance institutionnelle suffisante, mais aussi la précarisation économique. Sacrifier un membre pour la nation a longtemps signifié perdre un pilier sans compensation réelle.

Quant aux anciens prisonniers, ceux que l’on a célébrés comme des héros à leur libération, beaucoup se sont ensuite heurtés à un autre mur, invisible celui-là : celui de l’indifférence administrative, du manque de suivi médical et psychologique, de l’absence d’une politique de réparation digne de ce nom. L’État reconnaît les martyrs. Mais les familles, elles, continuent d’en payer le prix.

Un coût exorbitant, une justice inachevée

Le coût de la souveraineté du Maroc sur ses provinces sahariennes se mesure en milliards d’investissements militaires, mais aussi — et peut-être surtout — en vies humaines, en destins brisés, en générations marquées par le manque, le deuil et l’attente.

Ce conflit a-t-il eu la même intensité pour tous ? Non. Car les blessés, comme les prisonniers, n’ont pas été frappés de la même manière que les familles de martyrs. Car la reconnaissance symbolique n’efface ni les souffrances psychiques, ni la pauvreté structurelle, ni l’absence d’un cadre national de réparation équitable.

Une question ouverte : qui réparera ?

La question est aujourd’hui d’autant plus urgente que les témoins de cette guerre disparaissent, et que les familles vieillissent sans réponse.

Qui doit indemniser ?

Le Maroc, parce que l’État a envoyé ces hommes défendre la patrie ?
L’Algérie, en tant que soutien décisif de l’appareil qui les a capturés, torturés, et retenus en détention ?
Les organismes internationaux, pour n’avoir jamais protégé ces prisonniers dans le cadre du droit humanitaire ? Ou bien la mémoire nationale assumerait-elle qu’elle ne peut rendre justice qu’en reconnaissant enfin, pleinement et concrètement, l’immensité du sacrifice de ces familles ?

Vers un devoir de réparation nationale ?

Hommage ne suffit plus. L’histoire n’appartient pas qu’aux discours, mais aux vivants que la guerre a laissés dans l’ombre. Le Maroc a aujourd’hui l’occasion d’accomplir un acte fondateur : intégrer dans le pacte national la reconnaissance totale — morale, sociale, économique et institutionnelle — des familles des martyrs, des blessés, et des survivants de captivité.

Car la souveraineté territoriale n’a de sens que si elle inclut la souveraineté morale : celle qui refuse que les sacrifices d’hier soient les abandons d’aujourd’hui.

Hommage à ceux qui sont tombés.
Respect à ceux qui ont survécu.
Justice, enfin, pour ceux qui restent.

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