
Par: Aziz Daouda
L’archétype selon lequel des civilisations seraient intrinsèquement supérieures à d’autres a malheureusement traversé les époques et façonné une grande partie de l’histoire. Cette conviction, loin d’être récente, s’est manifestée de façon exacerbée durant les grandes périodes de colonialisme entre les XVIIe et XIXe siècles. Ses racines sont beaucoup plus anciennes, alimentant la formation et l’expansion de nombreux empires dans l’histoire. C’est un mécanisme récurrent: la prétendue supériorité d’un peuple ou d’une culture servant de justification morale et politique à la domination, à la soumission, à l’exploitation et à la destruction d’autres sociétés.
Au cours du siècle des « Lumières » et surtout lors de l’ère coloniale, cette idée a pris une forme pseudo-scientifique, se déployant sous les discours racistes, ethnocentriques ou religieux, affirmant que certaines civilisations étaient plus évoluées, plus rationnelles ou plus civilisées que d’autres.
Une fois qu’on an déshumanisé un peuple et décrété qu’il était inférieur, la «mission civilisatrice» est alors justifiée et généreusement proclamée par les puissances coloniales. En fait, ce n’était rien d’autre qu’un alibi pour légitimer des entreprises de spoliation massive, des massacres, des déportations et des politiques d’extermination souvent systématiques: en Afrique, en Amérique ou en Asie. Des pays ont été détruits, des civilisations anéanties, des modes de gouvernance démantelés, des frontières inventées ou redessinées, des millions de personnes dépossédées de leurs terres, de leurs ressources et de surcroît de leur dignité. En un laps de temps souvent court, elles deviennent victimes d’un système qui normalise l’idée qu’il n’y avait aucune faute à exploiter, voire à éliminer, ceux considérés comme «inférieurs». Cette vision hiérarchique justifiait également le pillage des richesses, sous le prétexte que seules les «civilisations supérieures» avaient un droit légitime à la prospérité, à la modernité et au progrès.
Aujourd’hui, malgré les avancées en matière de droits humains et d’égalité, cette forme sourde et pernicieuse de pensée, persiste sous des formes renouvelées. Elle continue de nourrir certains conflits contemporains, où une hiérarchie implicite des civilisations et des peuples sous-tend les discours politiques et les stratégies militaires.
Exemple vivant: Israël
Ce pays créé pour enfin permettre au peuple juif de vivre en paix après 11 siècles de persécution chrétienne en Europe, s’identifie souvent comme une puissance occidentale avancée, s’accordant le droit de bénéficier d’une certaine immunité diplomatique et d’un relativisme moral dans l’appréciation de ses actions, notamment vis-à-vis des populations palestiniennes. Ce biais s’inscrit dans une sorte de classement implicite selon lequel certaines nations «civilisées» seraient en droit de s’imposer, et ce, malgré des violations répétées des droits fondamentaux. Israël sans sourciller persécute et colonise en Cisjordanie, démolit Gaza, bombarde pèle-mêle Iraq, Syrie, Liban ou Iran.
Les puissances « civilisées » acquiescent
Pire encore, certains pays ont interdit jusqu’à la critique des politiques de l’état d’Israël. Faites-le et vous êtes condamnés pour antisémitisme. Pourtant, Yeshayahou Leibowitz (1903-1994), intellectuel et philosophe israélien, après avoir combattu au sein de la Haganah et été colonel de l’armée de son pays, a fortement critiqué la politique israélienne, notamment la colonisation et l’occupation des territoires palestiniens. Il a notamment évoqué la notion de « judéo-nazisme » pour décrire la mentalité de certains de ses compatriotes qu’il percevait comme proche de celle du nazisme. Qu’aurait il pensé aujourd’hui? qu’aurait il dit de Bezalel Smotrich et d’Itamar Ben Gvir? Serait il antisémite?
En parallèle, la Russie perçue comme une « dictature illégitime » est dénoncée de manière unanime pour ses agissements en Ukraine tandis qu’Israël, une « démocratie », selon la conception occidentale des choses, se voit accorder une légitimité pour ses faits.
La Russie qui a dit agir pour contrer le régiment Azov avec racines et leadership en liens avérés avec l’idéologie néonazie a pourtant été condamnée dès les premières menaces. Azov qui dominait l’Ukraine n’était pourtant pas bien vu par l’Europe, mais ça c’était avant l’invasion russe.
Dans les deux cas, il s’agit d’une puissance qui malmène le peuple et spolie le territoire d’un autre pays.
Ce double standard et cette géométrie variable soulignent une contradiction majeure et interrogent profondément la morale et la cohérence politique internationale.
Ce clivage dans le discours politique et médiatique révèle que la question de la reconnaissance de l’égalité fondamentale des civilisations n’est toujours pas résolue. Sommes-nous véritablement sortis de l’époque où l’on pouvait justifier l’expropriation violente et la domination par des arguments de supériorité civilisationnelle? Malheureusement, les pratiques néocoloniales, qu’elles soient économiques, culturelles ou militaires, semblent indiquer le contraire.
Le passé colonial, avec ses atrocités et ses injustices, est encore insuffisamment enseigné ou reconnu comme une forme de crime contre l’humanité dans de nombreux contextes. Parfois, il est même occulté, minimisé ou refaçonné dans des récits nationaux qui cherchent à en atténuer la charge morale, voire à le réhabiliter sous des formes nouvelles.
La différence de traitement des pays selon qu’ils soient qualifiés de «démocratiques» ou non, ou selon leur appartenance civilisationnelle supposée ou religion, prolonge ainsi une forme d’injustice structurelle.
Cette conjoncture est un signal d’alarme pour la communauté mondiale: il est urgent de repenser non seulement notre rapport à l’histoire, mais aussi celui à la justice internationale. La paix durable et la coexistence pacifique ne pourront émerger que dans un cadre de respect mutuel et d’égalité entre les cultures et les peuples. La véritable grandeur n’est pas celle de la domination ou de l’accumulation matérielle au détriment des autres, mais celle qui consiste à reconnaître les erreurs passées, à défendre inlassablement les droits humains universels, et à œuvrer pour un monde où chaque civilisation peut contribuer à la richesse collective, sans être écrasée ou marginalisée.
Dépasser cette conception archaïque et dangereuse de supériorité est un défi majeur de notre temps, une condition indispensable pour construire des relations internationales justes et humaines, et pour faire en sorte que l’histoire ne se répète pas sous de nouveaux visages.
Les puissances occidentales doivent comprendre et surtout avoir le courage de stopper l’avancée d’Israël sur un territoire que le droit international a réservé aux Palestiniens. La colonisation n’a ici pas de justification ni au nom de la religion, ni au nom de la démocratie prétendue, ni conséquence à une supériorité militaire subventionnée par les deniers des peuples occidentaux.


