
Par: Saïd Bouaïta
Quiconque observe la situation politique et les relations extérieures de certains pays aujourd’hui se rend compte sans l’ombre d’un doute que leur situation est étrange, leurs actions bizarres et contraires à la raison. Cela s’explique par le fait qu’ils ont érigé un mur de fer autour d’eux, persuadés que cela constituerait une barrière infranchissable et protégerait le pays et son peuple. Parallèlement, ils s’immiscent dans des affaires qui ne les concernent pas. Ce qui les plonge dans un paradoxe étrange et bizarre.
Il en va ainsi des responsables algériens qui se sont isolés, et avec eux le pays et son peuple. La rupture totale des relations avec le Royaume du Maroc en Occident en est la preuve. Ajouter à cela l’appréhension qu’ils éprouvent concernant leurs relations avec le maréchal Khalifa Haftar dans l’est de la Libye, les diverses accusations mutuelles avec les pays du Sahel au sud et l’ingérence flagrante dans les décisions souveraines de certains autres pays. Outre les tensions sans précédent à l’extérieur de la région avec un certain nombre de pays, notamment la France, bien que Paris soit l’un des plus grands partenaires de la région à tous les niveaux (politique, économique et culturel), le refroidissement des relations avec l’Espagne…
« De la tente il est sorti déjà de travers »
Malgré les nombreuses et diverses interrogations entourant la pertinence de ces relations tendues entre une partie et plusieurs parties, diverses analyses et approches parviennent sans difficulté à expliquer cette réalité. Car la cause est la même : elle est liée aux affres de la construction de l’État algérien moderne. Ainsi, la surprise disparaît lorsqu’on réalise que cette maladie n’en était qu’à ses balbutiements, et que c’est du palais d’El Mouradia qu’est née la pratique politique qui l’a dessinée, en a posé les fondements et sur laquelle la révolution algérienne s’est appuyée (ou, comme le dit le proverbe marocain, « De la tente il est sorti déjà de travers »).
La Révolution trahie
Notre discussion ici ne porte pas sur le livre de Léon Trotsky « La Révolution trahie » (car le contexte est différent), mais plutôt sur le fait que chaque dirigeant politique algérien se vante d’être inspiré par la Révolution du 1er novembre 1954 dans ses actions ou ses décisions actuelles. Or, la réalité du pays et de son peuple révèle que ces déclarations ne sont que des allégations et une rhétorique inconsidérée.
Parce que les dirigeants algériens n’ont pas adhéré aux principes de leur révolution, tout en soutenant ce qu’ils ont faussement et calomnieusement qualifié de mouvements de libération. Parce que rien ne sert mieux un régime militaire que cette rhétorique caméléoniste. Par conséquent, cette rhétorique a conduit ce régime militaire à un isolement complet et à des accusations, avec des preuves abondantes qui ne laissent aucune place au doute. En déstabilisant la région et en soutenant des organisations terroristes et des groupes extrémistes engagés dans des activités illégales. Car le concept de mouvement de libération (comme le prétendent ces personnes) n’est pas tangible. Cependant, à l’instar des relations et du droit internationaux, il est sujet à d’innombrables interprétations, connotations et caprices.
De plus, soutenir ces mouvements sans tenir compte des contextes régionaux et internationaux contemporains, ni de l’évolution de leurs significations et connotations, n’a même pas été revendiqué par les plus grandes révolutions authentiques de l’ère moderne. Ceux qui ont été chargés de gouverner l’Algérie après l’indépendance ont non seulement abandonné les commandements de la révolution algérienne et dévié de ses principes, mais ont également volé les rêves des véritables révolutionnaires algériens, notamment des paysans, des ouvriers, des intellectuels et du peuple algérien dans son ensemble.
Ils ont également rejeté les conseils et les recommandations de ceux qui les ont accompagnés pendant la révolution, qui leur ont offert des conseils et des orientations et ont tenté de les alerter pour corriger le chemin, notamment le penseur algérien Malek Bennabi, auteur du livre « Entre orientation et perplexité » (publié pour la première fois par Dar Al Fikr Publications, Beyrouth, 1979).
Malek Bennabi avait tout compris
Le penseur algérien Malek Bennabi est considéré comme un penseur fédérateur. Il fut également un modèle de production intellectuelle modérée. Il a écrit et théorisé pendant que l’Algérie était en proie à la révolution, avant et après celle-ci. Pendant et après la révolution, il a formulé le concept de continuité révolutionnaire comme concept central de son modèle théorique.
Il a également écrit que la révolution est un long processus, exigeant que, même après son succès, son esprit, ses objectifs et ses promesses soient préservés, tout en reconnaissant l’importance des transitions entre ses étapes et ses développements sans déviations.
Ainsi, dans son ouvrage précité, il soulignait que le peuple algérien avait sans aucun doute mené une révolution glorieuse, mais que cela ne signifiait pas qu’il était exempt d’erreurs dans son cheminement révolutionnaire. Cela l’a conduit à proposer un discours de critique révolutionnaire parallèlement au discours de la révolution. Selon Malek Bennabi, un discours de critique est indispensable à la continuité des efforts constructifs, pour éviter que la révolution ne dévie et ne déforme ses fondements.
Mais ce qui s’est passé après la révolution correspondait à ce contre quoi le penseur Malek Bennabi avait mis en garde. Il y a eu une déviation et un rejet. Ses idées n’ayant pas été acceptées, Malek Bennabi a été soumis à des restrictions sous le nouveau régime. Cela l’a conduit à écrire sa célèbre phrase : « Le complexe du rejet de la critique est inhérent à l’époque algérienne, et ce complexe a été aggravé par d’autres complexes. »
C’est pourquoi, à la page 41 du livre susmentionné, on peut lire : « Combien nous, ici, dans notre pays, aimerions nous débarrasser du complexe de rejet qui nous a longtemps barré la route. » C’est ce que vit aujourd’hui l’Algérie, qui s’est entourée de fer, après avoir été entourée de jasmin au début de la révolution. Le palais d’El Mouradia vit désormais un complexe de rejet d’elle-même (de son pays) et des autres pays voisins.

