Avec Joker: Folie à Deux, Todd Phillips s’éloigne du chaos brut et de la critique sociale acerbe qui avaient défini le premier opus pour proposer une suite intime et audacieuse. Si ce deuxième chapitre reste cinématographiquement impeccable, son virage narratif divise profondément les spectateurs.
L’abandon de la révolte collective au profit d’une exploration psychologique et musicale pousse à se demander si cette transition a servi ou trahi l’essence du personnage du Joker. Une rupture avec la révolte initiale Dans Joker (2019), Arthur Fleck devient un symbole chaotique de résistance, représentant les frustrations d’une société écrasée par les inégalités. La puissance du film résidait dans sa capacité à canaliser la rage collective tout en dépeignant avec justesse le basculement d’un homme marginalisé vers une folie libératrice.
Cependant, dans Folie à Deux, cette énergie révolutionnaire est remplacée par une introspection confinée dans l’asile d’Arkham. Le Joker n’est plus la figure de proue d’un mouvement, mais une âme brisée, enfermée dans une prison physique et mentale. Arthur est aliéné par la célébrité qu’il a acquise malgré lui, et cette renommée, loin de l’émanciper, le piège davantage dans un rôle qu’il ne maîtrise pas. Sa relation avec Lee Quinzel (Lady Gaga), future Harley Quinn, illustre cette dynamique : elle n’admire pas Arthur mais le Joker, une idole façonnée par la société et vidée de sa substance humaine.
Le Joker : un symbole prisonnier de sa société
Todd Phillips semble vouloir démontrer que, malgré son statut d’icône chaotique, le Joker n’est qu’un produit des forces sociales oppressives.
Arthur, qui incarnait une rébellion brute dans le premier film, est ici réduit à une performance imposée, incapable de s’approprier son destin. Arkham, sombre et oppressant, devient une métaphore de cette double oppression : celle d’une société qui l’a marginalisé, puis idolâtré à l’excès.
Cette évolution reflète une critique plus large. La société, après avoir rejeté et broyé les marginaux, absorbe leurs symboles de révolte pour les neutraliser. Le Joker, au lieu de rester une figure subversive, devient un outil du spectacle, vidé de son pouvoir transgressif. Ce choix, bien qu’intellectuellement stimulant, a laissé certains spectateurs se sentir trahis par l’abandon d’une intrigue aussi chaotique que celle du premier opus.
Un pari stylistique audacieux: le musical
Le passage au genre musical est un autre aspect qui divise. Todd Phillips et son équipe intègrent des séquences chantées et dansées, créant une rupture nette avec l’esthétique réaliste et sombre du premier film. Ces moments, bien que visuellement captivants, peuvent paraître déconnectés du récit principal et diluer l’intensité dramatique.
Lady Gaga livre une performance remarquable en Lee Quinzel, mais son personnage est souvent réduit à une fascinée du Joker, renforçant l’idée d’une relation toxique et asymétrique. Les performances musicales, bien que techniquement impressionnantes, peinent parfois à intégrer naturellement la folie et l’absurdité du Joker, donnant une impression d’artifice qui pourrait éloigner certains spectateurs. Un bilan narratif et émotionnel en demi-teinte Le véritable pivot du film est l’évolution d’Arthur Fleck, non plus comme un héros tragique, mais comme une figure victime de son propre mythe. Alors que le premier film explorait comment une société oppressante peut engendrer des monstres, cette suite illustre comment elle récupère et neutralise ces monstres en les transformant en symboles dociles.
Pour certains, ce choix souligne un paradoxe puissant: même dans son apogée, le Joker reste prisonnier des structures qu’il cherchait à défier. Mais pour d’autres, cela marque une régression. L’abandon de la critique sociale et de la rage collective au profit d’une introspection déconnectée laisse un goût amer. Une œuvre polarisante mais mémorable.
En conclusion, Joker: Folie à Deux est une œuvre complexe et audacieuse qui prend le risque de redéfinir son personnage central. Si la maîtrise technique est indéniable, le film semble trahir les attentes des spectateurs en abandonnant le chaos révolutionnaire pour une exploration plus abstraite et psychologique. Ce deuxième opus interroge sur la véritable nature des symboles révolutionnaires: sont-ils des instruments d’émancipation ou des produits manipulables par la société ? Quoi qu’on en pense, Joker: Folie à Deux restera un chapitre marquant, non seulement dans la mythologie du Joker, mais aussi dans le débat sur la manière dont le cinéma peut (ou doit) traiter des figures de révolte.