Pour d’aucuns le confinement est vécu comme une véritable souffrance en raison des nombreuses restrictions qu’il impose. Pour d’autres, il est plutôt synonyme de liberté, de création et de créativité. Mahi Binebine en est la parfaite illustration. Le confinement, lui il le voit comme une «bénédiction».
Réfugié chez lui à Marrakech depuis bientôt trois mois, Mahi Binebine, qui vient de remporter le Prix Méditerranée de littérature 2020, lequel lui sera décerné en octobre prochain à Perpignan dans le Sud de la France, considère le confinement comme «une véritable bénédiction du ciel».
En temps normal, Mahi Binebine a l’agenda bien chargé voire trop chargé qu’il en perd les priorités. Avec ce temps suspendu, imposé par une épidémie aussi abrupte qu’inattendue qui a chamboulé la vie de milliards de personnes à travers la planète, il a eu enfin l’opportunité de poser pied sur terre, lui qui passe la moitié du temps de sa vie à voyager. Il a pu aussi dresser ses priorités, profiter pleinement de sa petite famille et terminer, au-delà du délai imparti, un nouveau roman qu’il présentera d’ici quinze jours à son éditeur. Une prouesse pour cet écrivain au palmarès bien rempli.
«J’ai une vie assez chargée, en dehors du fait que je passe la moitié du temps de ma vie en voyage. Ce confinement a été pour moi une bénédiction du ciel. Je viens de finir mon nouveau roman, j’ai bien travaillé. Je suis content d’avoir été enfermé pendant trois mois. J’ai réglé tout ce qui n’avait pas été réglé depuis longtemps», confie à la MAP, Mahi Binebine.
«Cela m’arrive très rarement d’être en avance. En général, je suis toujours en retard. L’éditeur râle toujours. Et là, pour la première fois, je suis à jour», reconnaît-il sans détour ni fards, confiant que son nouveau roman, qui sera remis dans une quinzaine de jours à l’éditeur, sortira dans quelques mois.
Mais le confinement n’a pas été uniquement une aubaine intellectuellement parlant pour notre artiste qui s’est également adonné avec amour à ses deux autres passions: la peinture et la sculpture. Cette période a été aussi une richesse sur le plan personnel.
Ce confinement a ainsi été propice pour les retrouvailles familiales, car cela faisait plusieurs années que Mahi Binebine n’a pas eu ses trois filles avec lui en même temps.
«On a pu enfin se rencontrer, se retrouver. Une de mes filles habite à Los Angeles, une autre à Milan et la toute dernière se prépare à partir cette année. Donc, j’ai été très heureux de retrouver mes enfants, de profiter de leur présence, de se parler … La vie de famille a été précieuse pour moi durant ce confinement», avoue ce père de famille très attaché aux siens.
Pour lui, le confinement ne change pas grand-chose à la vie. Au contraire, il nous offre l’occasion de mener une réflexion, de savourer chaque moment, chaque instant qui doit être rempli d’amour pour son prochain et de partage.
«Vous savez, les écrivains sont confinés à vie. Ils vivent en ermites, si j’ose dire. Ils sont toujours enfermés car tout se passe à l’intérieur d’eux même. Le confinement ne change pas grand-chose pour les écrivains. J’ai beaucoup travaillé ces trois derniers mois et puis on a fait beaucoup de campagnes pour aider ceux qui n’ont rien, pour distribuer des paniers. On a été assez occupés à travailler et à essayer de soutenir les plus démunis en ces temps de coronavirus», affirme-t-il.
Et comme les ondes positives attirent les ondes positives, une bonne nouvelle est venue égayer encore plus le confinement de Mahi Binebine. Celle de se voir désigner lauréat du Prix Méditerranée de littérature 2020, pour son dernier roman “Rue du pardon”. Ce Prix, qui lui sera remis le 3 octobre prochain au cours d’une cérémonie à Perpignan est considéré comme une référence dans le monde de l’édition en France et en Méditerranée.
Roman vif, sensuel, chaleureux et pétri d’humanité, «Rue du pardon», paru l’an dernier aux éditions Stock, est une ode au féminisme des Marocaines, à travers le portrait de Hayat, enfant mal-aimée d’un quartier pauvre de Marrakech, qui découvre les chemins de la liberté par la danse et le chant des “chikhats”, ces femmes souvent victimes de préjugés.
«C’est un livre que j’ai fait avec beaucoup d’amour et je suis très content qu’il ait eu cette reconnaissance internationale. On est déjà à sa traduction, et le livre va avoir une autre vie avec ce prix», affirme Mahi Binebine plein d’espoir.
Très philosophe, Mahi Binebine considère enfin que les prix et les distinctions permettent la pérennité de toute œuvre artistique. «Vous savez, les livres maintenant ont une durée de trois mois dans les librairies et sans une reconnaissance de la société des Lettres, ils n’ont aucune chance de survivre. Et donc, ce genre de prix permet la pérennité de l’œuvre. Ce qui fait toujours plaisir aux écrivains», reconnait-il.
A propos de sa vision de la situation culturelle au Maroc avant et après le coronavirus, Mahi Binebine estime qu’ «au Maroc, ça bouge quand même». «Il y a de plus en plus de galeries. Il y a une effervescence. Moi, je peux parler de la peinture par ce que je connais ce monde. Il y a un véritable vivier d’artistes exceptionnel dans le pays qui a d’ailleurs beaucoup souffert à cause du covid-19. Les galeries étaient fermées. Mais bon, il va falloir se reprendre. Là on touche à la fin et donc il faudrait retrousser les manches et repartir au front !!».
Quant à la diplomatie culturelle et s’il en était adepte. Mahi Binebine affirme y croire «évidemment». «Car le rayonnement ne viendra pas forcément du politique. Le rayonnement viendra incontestablement de l’artiste. «Car qu’est-ce qui reste après ?, Qu’est-ce qui reste dans une société ?, qu’est-ce qui supporte le temps ? C’est ce qu’on regarde, c’est un monument, c’est une œuvre… C’est la richesse d’un pays et il faudrait qu’on s’occupe davantage des artistes par ce que ce sont les poumons de la société et il faudrait les soigner», plaide-t-il.
Jalila AJAJA-MAP