Hier j’ai conduit de Rabat vers Marrakech et eu encore une fois l’occasion de constater le nombre de « criminels » qui parcourent en toute impunité nos routes et autoroutes.
Entre les grosses cylindrées et les compacts cars qui roulent à des vitesses dignes de celles des poursuites américaines, qui n’existent en vrai que dans les films, œuvre de cascadeurs bien rodés, les camionneurs qui doublent n’importe comment et s’imposent par leurs volumes et leurs dimensions, les voitures avec des lumières mal réglées, ceux qui rentrent chez eux indemnes sont véritablement des miraculés.
C’est dans un contexte alarmant que mon texte trouve toute sa place et sa justification.
« Dénoncer les dangers permanents de la circulation au Maroc a été fait maintes fois…Et, tout récemment encore, au cours des débats du Conseil du Gouvernement, des voix nombreuses se sont élevées pour réclamer impérieusement- et d’urgence- des mesures nouvelles de nature à limiter le nombre des accidents.
Il semble, en effet, que les sanctions prévues pèchent actuellement par un manque de célérité et aussi relative modération.
Aucune loi, bien sûr, ne saurait remplacer la prudence et la maîtrise des conducteurs. Mais vient une heure où le nombre d’accidents est tel, où les blessés et les morts jalonnent tragiquement les routes, que « la crainte du gendarme » doit être accrue pour amener un commencement de sagesse. »
Ce vous venez de lire n’est pas de moi. Il est de de Monsieur Louis Gravier correspondant particulier de la Vigie du Maroc à Rabat.
C’est le début d’un article, tenez-vous bien, publié à la une du journal le 6 janvier 1952.
Il y a donc exactement 71 ans et quelques jours.
Comme si le temps s’était figé.
Vous changez la date, le nom du journal et peut être celui de l’auteur et vous êtes on ne peut plus dans l’actualité.
Force est de constater que rien ne semble avoir évolué, malgré l’amélioration colossale des infrastructures et celle de la qualité des véhicules ; malgré moult réformes du code de la route et des lois.
Si l’article responsabilisait déjà le comportement des conducteurs, aujourd’hui c’est de l’ensemble des citoyens qu’il faut peut-être parler. Tous les conducteurs et j’en fait partie, sont quelques peu chauffards, les conducteurs mais aussi les motocyclistes, les cyclistes et les piétons ont des comportements irresponsables.
Conduire à Marrakech où je me trouve en ce moment est un véritable calvaire pour les non habitués.
71 ans après cet article, le code de la route n’est applicable que quand il y a un agent de l’autorité dans les parages et à l’annonce des radars.
Mettez les signalisations et les équipements que vous voulez, rien n’y fait. Seule l’uniforme dissuade quelque peu les conducteurs, les piétons ne se sentent point concernés par un quelconque respect du code de la route ou encore des feux de signalisations. Vert comme rouge, ils passent ou force le passage.
Quant à la majorité des cyclistes et motocyclistes, ils ne se sentent même pas concernés et narguent sans vergogne les agents de l’autorité.
Bien évidement qu’il faut durcir les sanctions, être plus vigilant et dissuasif, mais cela suffirait il?
On ne peut ni assigner un gendarme à chaque conducteur, ni encore moins scruter en permanence le comportement de chacun des piétons?
D’ailleurs les caméras installées n’ont pas amené la dissuasion escomptée
Il faut que le conducteur, le piéton se sentent surveillés certes, mais c’est dans la tête de chacun qu’il faut construire un mécanisme pour rappeler les règles, avertir de la faute, réprimander en cas d’incartade.
Le citoyen doit intégrer que la loi et les règles, notamment celles de la circulation, sont là pour le défendre et le protéger lui d’abord, avant les autres. Il doit les respecter au lieu de les craindre.
J’avais huit mois d’âge quand Louis Gravier écrivait les lignes plus haut évoquées. Depuis les problèmes de la circulation se sont aggravés de manière exponentielle.
En nombre d’accidents et de morts sur les chaussées, nous battons de tristes records.
C’est dire surtout que les campagnes successives n’y ont rien fait et que les problématiques n’ont certainement pas encore été ni parfaitement étudiés, ni judicieusement maîtrisées.
Évidemment qu’il faut que la persuasion et la vigilance augmente. Bien sûr qu’il faut des règles plus sévères et une application stricte des lois, mais c’est au niveau psychologique et comportemental qu’il faut peut-être aller chercher des solutions efficaces et pérennes.
Le respect de la loi, le vivre ensemble, le comportement dans les lieux publics, le civisme tout court, doivent être au cœur de l’éducation et du système de l’enseignement.
Le respect du code de la route, le comportement au volant, l’attitude sur un deux roues, ou simplement les agissements en marchant, ne sont en fait que des déclinaisons du comportement global du citoyen.
Nous devrions probablement aller plus loin dans l’approche et étudier notre capacité d’orientation dans l’espace, notre perception de l’autre, notre rapport au danger, nos habilités motrices à maîtriser un engin, notre appréciation de la vitesse et bien d’autres aspects de notre comportement.
Ce ne sont pas des campagnes sporadiques combien mal inspirées des fois, et encore moins la fameuse signature institutionnelle des bandes d’annonces qui vont y changer quelque chose.
Si rien n’évolue au plan stratégique et du concept, dans 70 ans, on aura perdu encore des dizaines de milliers de vie et certainement mutilé des centaines de milliers de nos frères et sœurs.
Et le texte de Louis Gravier serait hélas encore d’actualité.
Je me rappelle avoir commis une chronique similaire le vendredi 22 avril 2016, du temps où j’avais tous les vendredis un temps de parole à Radio Mars… Que le temps passe vite.