Par Dr. Chiheb Abderrahim*
Le sept octobre, la branche armée du Hamas a lancé, sous le nom « Déluge d’Al-Aqsa », une attaque surprise et sans précédent, par son envergure, son ampleur et sa violence, dans les colonies juives implantées dans les territoires occupés par Israël. Cette une attaque meurtrière qui a fait beaucoup de morts et de blessés notamment parmi les civils. Cette attaque doit être fermement condamnée, même si par ailleurs, elle était prévisible dans la mesure où elle est le résultat de décennies de tensions entre les israéliens et les palestiniens. En réponse à cette attaque, quelques heures après, l’armée du Tsahal a lancé « Le sabre de fer », une vaste offensive, de bombardements aériens sur la bande de Gaza. En parallèle, le gouvernement israélien a décrété un siège complet et total de Gaza qui comprend le blocage des livraisons de nourriture, d’eau et de carburant. Ce qui n’a pas manqué d’impacter gravement la situation humanitaire, depuis le commencement des hostilités jusqu’à aujourd’hui.
Un mois après l’irruption de ce nouveau cycle de violence, il importe de revenir sur ce qui s’est passé pour examiner les suites de cette tragédie, sans, pour autant, verser dans les polémiques inutiles et les débats biaisés qui ne mènent nulle part, ou encore de s’ériger en juge-arbitre pour distribuer des points par-ci et par-là et pour dire celui-ci a raison et celui-là a tort. Mais pour mener une analyse qui se situe au niveau factuel en faisant état, simplement et objectivement, de ce qui a eu lieu après l’attaque du Hamas, les faits qui ont eu lieu au cours de la riposte militaire de l’armée israélienne qui se poursuit encore aujourd’hui et, enfin, de jeter la lumière sur les conséquences et les implications de cette confrontation entre l’armée israélienne et Hamas.
En effet, immédiatement après l’attaque de Hamas, les réactions internationales ont commencé à fuser et se sont multipliées par la suite. Les premières étaient celles des Etats-Unis, de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Italie qui ont rapidement exprimé à Israël, dans un communiqué commun, leur soutien indéfectible et inconditionnel; tout en condamnant fermement et sans équivoque le Hamas en qualifiant les actions qu’il a perpétrées d’ »effroyables actes de terrorisme ». Par leur soutien partial et sans faille à Israël, ces pays ne sont-ils pas allés vite en besogne en laissant les mains libres à l’armée israélienne pour mener à sa guise et tranquillement une expédition vengeresse et punitive contre la population civile de la bande de Gaza, contre ses enfants, ses femmes, les personnes âgées ou malades, contre des gens innocents qui n’ont rien fait et dont le seul tort est d’être palestiniens ?
De leurs côtés, les médias occidentaux se sont alignés sur les positions respectives de leurs pays en exprimant, à leur tour, un soutien unanime à l’État Hébreu et en reprenant, à leurs comptes, la phraséologie habituelle utilisée par les pays occidentaux, chaque fois qu’il s’agit du conflit israélo-palestinien, et plus généralement, de la situation au Proche-Orient, telle que: le rejet du terrorisme, la solidarité de l’Occident avec Israël, l’attachement de l’Occident à la sécurité d’Israël, le droit d’Israël à se défendre… Mais, qu’en est-il du droit des palestiniens ? Ces palestiniens martyrisés, humiliés et privés de liberté et de tout le reste, ont-ils oui ou non le droit de se défendre face à l’oppression de l’occupation israélienne qui dure depuis soixante-quinze ans maintenant ?
Mieux encore, la médiatisation outrancièrement orientée de la violence, exhibée à travers les réseaux sociaux, notamment les vidéos et les images des actions violentes des combattants du Hamas, ont pris le dessus sur la scène médiatique occidentale, accentué davantage l’alignement des médias occidentaux et renforcé, in fine, leurs positions en faveur d’Israël. Ce constat est clairement corroboré par Jérôme Bourdon, historien, sociologue des médias et enseignant à l’université de Tel-Aviv, dans un entretien paru dans La revue des médias, le 13 Octobre 2023 où il affirme que « les terribles images partagées sur les réseaux sociaux ont suscité en Occident une solidarité médiatique avec Israël que l’on n’avait pas vue depuis des années ».
Dans ce même contexte, et au fur et à mesure que les bombardements aériens dévastateurs de l’armée israélienne se poursuivent dans les territoires de Gaza pour faire encore plus de morts et davantage de destructions, des voix indignées s’élèvent de plus en plus pour dénoncer la persistance de cette injustice et ce parti pris où l’on ne voit, dans ce conflit, qu’une seule partie mais pas l’autre, et où l’on donne à l’une ce que l’on refuse de donner à l’autre. Cette discrimination, au niveau de la perception, trouve son prolongement dans une empathie et une compassion à géométrie variable dont l’expression change selon qu’il s’agisse d’un israélien ou d’un palestinien, ou selon que l’on parle de l’un ou de l’autre. Est-ce que cela reviendrait à dire, en termes d’humanité, que la souffrance d’un palestinien est moins importante que celle d’un israélien, ou encore est-ce que cela signifierait que la vie d’un palestinien compte moins que celle d’un israélien ?A ceux qui prétendent être des démocrates et à ceux qui se disent les défenseurs des droits de l’Homme d’apporter de vraies réponses à ces interrogations.
Depuis un mois, le monde arabe est en ébullition, depuis un mois, la rue arabe ne cesse d’exprimer sa colère en manifestant régulièrement et partout. Sa colère et son indignation sont largement partagées par beaucoup de pays musulmans, et au-delà, par d’autres pays à travers le monde, où des manifestations ont également eu lieu face à la mort et aux massacres de milliers de civils innocents, sous le déluge de feu continu des bombes israéliennes.
C’est pourquoi il faut dire haut et fort que la tragédie qui se passe à Gaza, sous le regard indifférent du monde qui, par son silence coupable, interpelle, sans exception, le sens de l’humanité de tous les hommes de la terre, quels qu’ils soient et où qu’ils soient. Oui, un mois après, l’offensive israélienne continue toujours, sans être inquiétée, dans l’impunité la plus totale, et jusqu’à aujourd’hui avec autant d’intensité, de violence et d’atrocité que le premier jour, en défiant, avec mépris et arrogance, la communauté internationale et en bafouant le droit humanitaire international.
Aujourd’hui, face à l’extrémisme et l’excès d’Israël, l’Occident semble être contraint de changer de fusil d’épaule, de se rendre à l’évidence et de prendre conscience de l’ampleur des massacres sur le terrain à Gaza qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, juste un gigantesque champ de ruines et un immense cimetière. Ce retournement de situation s’est traduit par des manifestations de dizaines de milliers de gens propalestiniens et anti-israéliens qui ont battu le pavé à Londres, à Paris, à Washington, à Berlin et ailleurs, pour condamner Israël et pour appeler à un cessez-le-feu immédiat à Gaza où les combats font toujours et encore rage.
En effet, la posture du soutien inconditionnel, du silence complice et de l’indifférence au sort des palestiniens, est devenue intenable pour les démocraties occidentales qui ont fini par voir et reconnaitre qu’il ne s’agit plus d’une guerre ou d’un conflit armé, mais d’un génocide purement et simplement ; celui de la population de Gaza que l’Etat d’Israël est en train d’accomplir avec leur bienveillance et leur bénédiction. Ainsi, sous la poussée de ces événements tragiques et leur impact sur l’opinion publique au sein de ces démocraties, le soutien ferme et le front uni, affichés par les occidentaux au début de cette crise, se sont brisés et les divisions se sont multipliées au fur et à mesure que la situation humanitaire se dégradait en raison des restrictions sévères et du blocus aérien, terrestre et maritime imposés à Gaza.
Il faut ajouter, toujours dans ce contexte tendu et difficile, qu’un phénomène inédit a émergé, en Europe occidentale et en Amérique latine où l’on a assisté, pour la première fois, à des tensions intercommunautaires sur le sol de ces deux continents. Allant crescendo, ces tensions ont amené plusieurs pays européens, dont la France, les Pays-Bas et en l’Espagne notamment, à prendre des mesures de sécurité en vue de protéger les communautés juives vivant en leur sein. Ces mesures de sécurité, dont certaines sont clairement anti-démocratiques, comme l’interdiction, en France, des manifestations propalestiniennes, et d’autres comme l’augmentation de la présence policière autour des synagogues et des établissements scolaires et la surveillance étroite des manifestations autorisées pourtant, ont suscité l’ire et la désapprobation totale de beaucoup de gens.
Le dernier élément se rapporte à cette question qui taraude nos esprits et qui mérite d’être posée. En effet, il s’agit de savoir, même si cette situation tragique perdure toujours et n’est pas encore tranchée, quelles sont les conséquences et les implications de cette nouvelle crise. En guise d’esquisse de réponse, on peut, d’ores et déjà, dire, et sans risque de nous tromper, que certaines conséquences sont déjà là, visibles à l’œil nu ; de même que l’on peut affirmer, par la même occasion, que d’autres conséquences de cette crise sont encore à l’ombre mais qu’elles finiront, avec le temps, par nous être révélées. Concernant la riposte d’Israël, chacun sait, maintenant, qu’en représailles aux massacres commis par les combattants du Hamas, l’armée israélienne (Tsahal) a lancé une opération dans la bande de Gaza. Cette contre-offensive a été autrement plus meurtrière et plus sanguinaire que la cause qui l’a déclenchée. Ce carnage, qui dure depuis un mois, a fait, selon le ministère de la santé de la bande de Gaza, au moins 10.328 personnes, dont plus de 4.200 enfants. Des centaines de tonnes de bombes ont été larguées sur Gaza et ont détruit une grande partie des infrastructures de ce territoire qui n’est plus qu’un champ de ruines et amas de gravier.
Voici quelques données chiffrées, selon la même source, sur le bilan des frappes aériennes israéliennes lancées sur ce territoire au cours de la période allant du 7 au 29 Octobre 2023 seulement: 177. 000 unités d’habitation, 27. 000 constructions totalement détruites, 260 établissements de santé, 79 édifices gouvernementaux, 38 mosquées, 03 églises, 189 Établissements scolaires et 150 000 de personnes ont quitté leurs lieux d’habitation.
Face à cette terrible situation, de nombreuses voix se sont fait entendre pour dénoncer les actes horribles commis par l’armée de l’Etat d’Israël et pour les qualifier de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide…, etc. Malheureusement ce ne sont pas les seuls faits graves et repréhensibles dont l’Etat israélien s’est rendu coupable. Plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, ont relevé puis enquêté sur d’autres exactions commises délibérément et volontairement par l’armée israélienne contre la population civile de Gaza: l’usage des armes prohibées tel que le phosphore blanc, des opérations de nettoyage ethnique massif dans le nord de Gaza, des assassinats ciblés, des enlèvements, des prises d’otages, des expulsions et le déplacement de plus d’un million de palestiniens civils. Tout cela ne constitue-t-il pas également des manquements graves au droit international, et ne doit-il pas être considéré, de fait, comme des crimes de guerre ?
Par-dessus tout cela, le plus choquant est l’indifférence insolente affichée par l’Etat d’Israël face aux appels de l’Organisation des nations-unies, de la communauté internationale et des millions de gens qui ont manifesté pour dénoncer les massacres de la population civile de Gaza et appeler à l’arrêt des hostilités. Le plus consternant aussi est l’indifférence manifeste et le silence d’un certain nombre de pays en Afrique et en Asie qui, par un passé pas si loin, subissaient, eux aussi, la tyrannie, l’injustice et les violences de la colonisation comme c’est le cas, aujourd’hui, pour les palestiniens dont toutes les souffrances incombent entièrement et uniquement à l’Etat d’Israël.
Voilà pourquoi, il ne doit faire aucun doute, à présent, que par tous ces actes ignobles, l’Etat d’Israël a basculé dans la commission de ce qui s’assimile indiscutablement à des crimes de guerre ou à un génocide. C’est pour cette raison qu’un collectif d’une centaine d’organisations et quelques trois cent avocats ont pris l’initiative de déposer auprès du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) un dossier réclamant une enquête pour « génocide » à Gaza ; sachant que cette instance de droit international a la compétence requise pour statuer sur les actes commis par l’armée israélienne qui rappellent étrangement, par ailleurs, un épisode macabre de l’histoire tout récente de l’Occident.
En dernier lieu, force est de constater que la tragédie du peuple palestinien perdure depuis soixante-quinze ans, essentiellement, en raison de la duplicité de la communauté internationale concernant cette affaire. Rappelons, outre ce qui se passe actuellement à Gaza, que dans les territoires occupés par Israël, après la guerre de 1967, le nombre de colonies juives, en Cisjordanie notamment, est estimé, aujourd’hui, à 700 000 Juifs environ. Les accords israélo-palestiniens d’Oslo, signés en 1993, qui devaient mettre un terme au conflit et déboucher sur la création d’un Etat palestinien indépendant, ont été vidés de leur substance par Israël moyennant tous les stratagèmes possibles et imaginaires aux fins de se dégager des engagements pris vis-à-vis des palestiniens, sous la supervision des Etats-unis. Ce qui permet d’inférer qu’Israël n’a jamais envisagé ni adhéré sérieusement à la solution politique devant conduire à la coexistence pacifique d’un État palestinien et d’Israël. Aujourd’hui, la bande de Gaza est à feu et à sang, sa population est à l’agonie, l’état de droit est bafoué par Israël, l’ONU est impuissante, la communauté internationale est indifférente et silencieuse face à ce qui est en train de se passer sous les yeux du monde entier. Combien de temps va durer encore le calvaire des palestiniens ? Comment sortir de cette situation et que faire pour mettre un terme à cette tragédie ? Combien de vies humaines devront encore être sacrifiées et combien des crimes de guerre devront encore être commis avant que l’on décide d’arrêter le massacre dont nous sommes tous devenus déjà les complices ?
Une dernière chose à dire. Vous, les faux démocrates de l’Occident, les pseudo chantres de la liberté, les infatigables donneurs de leçons ; vous, les autres pays du monde, coupables par trop de peur, de lâcheté et de faiblesse ; vous, les institutions et les organisations internationales désavouées et discréditées par trop d’hypocrisies, de renoncements et de défaites ; je dis honte à vous tous car, vous êtes comptables de ce que vous faites, y compris aussi de ce que vous ne faites pas; ou plus exactement ce que vous n’avez pas fait en abandonnant les palestiniens à leur sort tragique. Ne vous en faites pas, l’Histoire jugera ce crime comme elle a jugé les crimes de ceux qui vous ont précédé, par un passé encore vivant dans les mémoires.
*Universitaire et analyste politique