CARNETS DE VOYAGE. PÉRIPLE DE PAIX EN MÉDITERRANÉE. « MA PREMIÈRE NUIT SUR LE NAVIRE DE GUERRE »

(…) Le 23 juin 2001, 14 heures. Marseille grouille de monde. Les pacifistes, informés de l’heure du départ, ne se lassent toutefois pas de serpenter ses ruelles. Une course effrénée contre la montre est enclenchée. Marseille n’était pas de ces villes où on pénétrait comme on en sortait. Dieu sait combien on aurait aimé se carrer sur les terrasses de La Canebière, contempler la beauté des voiliers rutilants qui semblaient sortir d’un conte merveilleux, des mouettes se prenant en chasse et remplissant les airs de leurs cris de joie, se laisser bercer du mistral qui se levait comme pour appeler à de nouvelles conquêtes maritimes, caresser ces édifices sculptés qui paraissaient surgir de toiles immémoriales …

Qui a dit que le bonheur est éphémère ?

Un coup de téléphone me tire de mes rêveries.

J’ai compris alors que l’heure du départ était venue…

Me voilà, pour la première fois, sur un navire de guerre! Un marin roumain m’indique ma cabine, me remets le clefs et s’en va… en trombe.

Soudain, un micro crache quelques consignes et annonce le départ. Je remonte sur l’héliport. Le Constanta était déjà loin… du port. Derrière, la Cathédrale Notre-Dame semblait émerger de sa torpeur. Elle paraissait lever ses bras vers le ciel comme pour nous souhaiter bon voyage.

D’étranges questions se bousculent dans ma tête. Que suis-je venu faire sur un navire de guerre ? Aurais-je pu imaginer pouvoir me trouver, un jour, au milieu de tourelles de vigie et de mitraillettes ? Me revint à l’esprit cette phrase: «Les mots sont plus forts que les canons»!

Ils étaient là, ces canons. Et rien qu’à les regarder, je ne puis m’empêcher de frémir. Me voilà converti en soldat, mais sans armes. Vais-je troquer ma casquette de journaliste contre le béret des militaires ? Comment vais-je supporter la discipline martiale ? Etre réveillé en fanfare, assister à la levée du drapeau, participer aux manœuvres de navigation, faire le guet sur la tourelle de vigie … Je me frottais les yeux comme pour vérifier si je ne sortais d’un rêve ?

Rêve, pas du tout! Et ce ne sont surtout pas les faits qui diront le contraire. Cela commence dans la sérénité. Après ma première nuit à bord du bâtiment de guerre, longue grasse matinée…

Il était 11 heures quand je me suis réveillé. J’ouvre mon robinet. Une goutte, puis rien. Je me précipite vers la proue. «Buongiorno», me fait Francesco, un ami italien qui m’invite à une collation. J’ai pris une bouteille d’eau minérale non que j’aie soif mais que j’aie besoin de me laver le visage.

Francesco me jeta un regard interrogateur… je le quittai…

Une demi-heure plus tard, un bruit de sirène déchire les airs. Les cadets roumains sont en alerte. Mon pavillon est inondé d’eau. Les cabines, submergées. Panique, à bord. Puis, du calme. Que s’est-il passé? «Votre amie a oublié de fermer le robinet!», crut savoir un marin, en allusion à l’amie actrice Siham Yasni qui m’accompagnait sur le Constanta.

Le marin a peut-être cherché à me disculper, il ne pouvait ne pas savoir en tout cas. D’ailleurs, je ne m’en étais pas caché. «J’ai imaginé que le robinet ne fonctionnait pas. Je ne savais pas que la distribution d’eau était réglementée…», lui dis-je.

Les consignes étaient pourtant claires. A 7 heures, tout le monde a pris sa douche. Le petit déjeuner se termine à 7H30. La collation est prévue à 11 heures…

Je me suis fait sonner les cloches… et… ce n’était pas tout… «Vous devez signer une décharge ou descendre au cachot», m’intima le marin, en me mitraillant de regards inquisiteurs.

«Il vaut mieux signer une décharge que finir dans un cachot!», maugréai-je. Il n’en fut rien.

Finalement, j’ai compris que c’était du bizutage.