Par Abdessamad MOUHIEDDINE*
Longtemps j’ai cru que l’ère du paternalisme néocolonial avait disparu, tant les opinions publiques occidentales s’étaient ralliées, au lendemain de la chute du Mur de Berlin, aux combats pour le respect des droits humains et la démocratie.
Hélas, à l’ère où l’unijambisme occidental reflue face à l’émergence du monde asiatique et la lente mais résolue résurrection du continent noir, le néocolonialisme occidental revient en force à la faveur de la guerre russo-ukrainienne.
J’en prends pour preuve la salve de remontrances et d’injonctions assénée par Emmanuel Macron dans le discours musclé qu’il a hurlé à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU à l’encontre des pays « coupables de neutralité » qui ont observé une égale distance entre la Russie et l’Ukraine.
Il a ainsi affirmé que les pays « qui se taisent aujourd’hui servent malgré eux, ou secrètement, avec une certaine complicité, la cause d’un nouvel impérialisme, d’un cynisme contemporain qui désagrège notre ordre international sans lequel la paix n’est possible ».
Mais pas un mot, en revanche, sur le fait tangible que les pays du sud soient totalement étrangers aux causes de ce conflit euro-européen ! Pas un mot non plus sur l’absence totale de tout projet d’aide occidentale conséquente à ces mêmes pays qui pâtissent doublement de ce conflit en se retrouvant démunis et de l’énergie et du pain !
D’ailleurs, depuis plusieurs mois, le Président venu tout droit de la galaxie financière a régulièrement tancé les pays du Sud restés neutres, y compris ceux que la guerre est-européenne a privé de pain, non sans leur en vouloir pour la « présence hybride » de la Russie en Afrique ! A New York même, il a profité de son passage pour tenir la même litanie aux présidents ivoirien, colombien, argentin et aux ministres indien, indonésien ou égyptien, à la faveur du dîner qu’il leur a offert.
Injonctions, remontrances, engueulades même, mais aucune écoute des vœux authentiques et légitimes des Africains qui ne supportent plus la moindre infantilisation. D’où qu’elle vienne ! Véritable tête de mule, Macron semble ne rien retenir du « dégagisme » tonitruant subi récemment par son pays un peu partout en Afrique (Mali, Guinée, Centrafrique…etc.). Ni a fortiori prêter une oreille au Sage qu’est le Sénégalais Macky Sall qui a affirmé que l’Afrique avait « assez subi le fardeau de l’Histoire » et ne voulait pas être « le foyer d’une nouvelle Guerre froide » entre la Russie et les pays occidentaux. Hélas, l’autisme politique macronien se dresse de plus belle à l’encontre de ces pays qui n’aspirent qu’à la paix, au développement et, surtout, au respect.
En effet, s’il est un espace qui pâtit le plus de cette sale guerre russo-ukrainienne et qui en paie les affres y compris de son ventre, c’est bel et bien cette Afrique dont les ressources ont été longtemps pillées par les anciens colonisateurs et continuent à l’être par les impérialismes. Que vient – Diantre ! – y faire la Russie aujourd’hui, par mercenaires de Wagner interposés, sinon prendre sa part du gâteau ? Pourquoi se gênerait-elle quand la France y comble copieusement sa balance commerciale (75 milliards de dollars par an) et que la Chine s’y goinfre allègrement (200 milliards de dollars par an), alors qu’elle n’en tire aujourd’hui qu’une petite vingtaine de milliards de dollars ? Sans compter les appétits américains, britanniques et même israéliens. La Russie n’est-elle pas derrière son rival chinois en termes d’ambassades, du fait qu’elle compte des représentations dans 40 pays africains, contre 52 pour la Chine ? Notons que la France et les Etats-Unis en possèdent respectivement 47 et 48.
D’ailleurs, même absent à New York, Vladimir Poutine a de nouveau accusé l’UE de bloquer, avec ses sanctions, le don de 300 000 tonnes d’engrais russes aux pays qui en ont le plus besoin, notamment en Afrique. « Le comble du cynisme », a-t-il dénoncé en recevant des diplomates à Moscou.
En vérité, l’Europe se retrouve aujourd’hui dans de bien mauvais draps face à une Russie longtemps minorée, humiliée et ignorée par une OTAN qui a engrangé pas moins de quatorze anciens satellites soviétiques (Slovaquie, Slovénie, Roumanie, Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Albanie, Croatie, Hongrie, Pologne, Monténégro, Macédoine du nord, Tchéquie), doublant ainsi quasiment le nombre total des membres historiques de l’Organisation atlantique pour le porter à la trentaine.
Dès son arrivée au Kremlin, Poutine n’a cessé d’alerter les Européens et les Américains sur l’expansionnisme fulgurant de l’Otan vers l’est. Ni la guerre en Géorgie (2008), ni l’annexion de la Crimée (2014) – des appels à un modus vivendi plus qu’un acte de provocation – n’ont alerté l’Occident sur le besoin légitime de la Russie d’étanchéiser son aire russophone face à l’OTAN.
Mais tout cela demeure une affaire euro-européenne à laquelle l’ensemble des pays du sud, notamment le continent noir, sont totalement étrangers, du fait même qu’il n’en résulte pour eux qu’un retour aux affres de la guerre froide qui a tant éprouvé ces pays contre la volonté de leurs peuples. Des millions d’Africains ont été tués du fait de la confrontation Est-Ouest. Et c’est précisément ce à quoi faisait référence le président sénégalais dans son discours de chef de file de l’UA à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU.
« Celui qui a plongé son regard dans l’œil vitreux d’un soldat mourant sur un champ de bataille réfléchira à deux fois avant d’entreprendre une guerre », avait dit le même Otto von Bismarck qui, déjà en ce XIXème siècle si riche en clashs entre les empires coloniaux, décrétait que « Les Russes ne sont pas aussi forts qu’il faille les craindre et pas aussi faibles comme on l’espère« .
Revenons donc à ce brillant ancien étudiant qui préside grâce à un second mandat aux destinées de la France et qui ne put s’empêcher en 2001 de dédier son DEA de philosophie obtenu à l’Université Paris-Nanterre à… Machiavel. Ce même Macron, issu d’un couple de médecins, qui, grâce à Paul Ricoeur dont il fut le collaborateur archiviste, fut membre du comité de rédaction de la célèbre revue « Esprit », intellectuellement biberonné à l’existentialisme, la phénoménologie et une certaine ouverture vers l’herméneutique et la philosophie analytique, mais qui se révèlera particulièrement autiste quant au bouleversement de la configuration géostratégique et économique du monde issu de la chute de l’ex-URSS et de la bipolarité qu’est l’unijambisme américain puis la néo-Guerre froide. Il semble n’avoir que peu saisi l’émergence des sphères asiatique et africaine et l’irruption de puissances régionales un peu partout dans la mappemonde. Il semble surtout tenir mordicus à combler le reflux de la puissance française en Afrique et plus généralement européenne y compris au sein même du vieux continent par le « ministère de la parole ». D’où ses improbables et bien vaines incursions dans le conflit russo-ukrainien et – plus grave encore – son tonitruant désaveu par la classe politique libanaise à laquelle il se permit d’administrer un ultimatum resté sans lendemain. Autant de pétards mouillés ainsi lancés à tort et à travers, et même une certaine lâcheté comme le prouve son dernier déplacement auprès de la camarilla des caporaux d’Alger !
Ainsi boostée hors du Mali, de la Guinée, de la Centrafrique et peut-être demain du reste de l’ensemble de l’Afrique francophone – la CEDEAO ne cesse d’exiger l’abolition de la mainmise du Trésor français sur le Franc CFA –, la France macronienne se refuse à toute adaptation aux nouvelles réalités des Afriques du nord, de l’ouest, de l’est et du sud. Comme d’ailleurs à la marginalisation de l’Occident au profit de la Chine, de l’Inde et des nouvelles puissances régionales qui émergent crescendo à la faveur de la néoglobalisation dorénavant en action.
Voilà pourquoi l’urgence d’un réexamen sérieux de la doctrine française quant au rayonnement de Paris dans le concert des nations s’avère vitale autant pour Paris que pour ses alliés historiques comme le royaume du Maroc. Une remise en question dont le prix est le recentrage drastique de la diplomatie française sur la base de partenariats dépourvus de paternalisme et assis sur le socle de l’égalité et du win-win.
A la veille de cette visite de Macron annoncée par Paris dès le lendemain de celle qu’il effectua en Algérie, mais nullement confirmée par le Maroc, il serait temps pour le président français de valider la nullité de la vieille épée de Damoclès que la France a longtemps dressée au-dessus de la tête du Maroc avant la reconnaissance par les USA de la marocanité des provinces sahariennes. Une validation qui passe dorénavant par la proclamation solennelle de l’adhésion de Paris au Plan d’autonomie comme seule et unique issue du conflit artificiel fomenté par les ex-soudards français devenus gouvernants à Alger. Le fameux « en même temps » macronien n’a plus aucune raison d’être dans cette affaire où la totalité des membres permanents du Conseil de sécurité s’achemine doucement mais sûrement vers l’adoption des vues marocaines. En tout état de cause, le Royaume ne peut plus supporter les « janusseries » diplomatiques françaises où la crainte du fameux « nif » algérien – النخوة على الخوا – doublée de mercantilisme gazier ne cesse de copuler avec une frilosité maladive quant aux droits légitimes de cet ex-Empire Chérifien goulûment dépecé qu’est aujourd’hui le Royaume du Maroc à une intégrité territoriale universellement reconnue. Bas les masques !
*Ecrivain et anthropologue