Bejâad la mystique
C’était au mois de février dernier. A 170 km de Casablanca par autoroute. Découverte d’un pôle majeur de la spiritualité marocaine. Bejâad la mystique appelée aussi la Petite Fès.
C’ est aussi la ville natale d’ Ahmed Cherkaoui (1934-1967) pionnier de la peinture marocaine moderne, parti trop tôt à l’âge de 32 ans. Une visite nourrie de densité spirituelle et de profondeur culturelle. Tout est lié et fait sens, la joie était double.
Le Saint Patron de la ville de Bejâad est Sidi Bouabid Cherki (Mohamed Abou Oubaïdallah Cherki) fondateur, au XVè siècle, de la Zaouïa Cherkaouia … et de la lignée des Cherkaoui aux multiples talents.
Grand Soufi, 24ème descendant direct du calife Omar Ibn Al-Khattab, son mausolée rappelle par son architecture et son zellige la magnificence de celui de Moulay Idriss Zerhoun. Un remarquable flux de sérénité et une profonde sensation de paix intérieure vous enveloppent dès que vous y accédez.
Mais comme le soulignent, à juste titre, les gens de Bejaad: «Dès que vous arrivez à la ville … avant même la visite du mausolée… vous êtes déjà dans la «Ziara». Le souffle spirituel de Sidi Bouabid Cherki est partout !
Le vénérable minaret de «Masjid Cheikh» qui date du XVè siècle domine l’ancienne ville. Presque à chaque coin de rue du vieux Bejâad – remarquable par sa propreté et le dallage soigné de ses ruelles – il y a des sanctuaires de soufis, des mosquées et des médersas…
Et aussi les maisons de telle ou telle famille Cherkaoui ayant marqué de son empreinte un domaine… religieux, soufi, politique ou artistique,…
Les Médersas de Bejâad, célèbres par leurs Oulémas donnaient des enseignements en théologie, en droit, en calligraphie, en littérature, en poésie, en astronomie… L’ Islam des lumières.
Ville de tolérance et du vivre-ensemble
Bejâad étant aussi une ville de tolérance et du vivre-ensemble, la communauté juive (dont les familles Cherki) était intégrée socialement et spatialement. Une des rares villes où il n’y avait pas de Mellah.
En 1883, Charles Foucault a visité Bejâad. Il fut impressionné non seulement par son rayonnement spirituel mais aussi par le fait que la ville n’avait pas de « remparts ». Et pourtant elle était protégée… Miracle !!!
Juste à l’entrée de la ville, il y a un assemblement de coupoles abritant les tombes des enfants soufis de Sidi Bouabid Cherki: Sidi El Ghazouani, Sidi Abdesslam, Sidi Tanji, Sidi El Harti et Sidi El Meknassi. Ce lieu est appelé » رجال الميعاد » appellation d’une profonde signification.
Dans ce lieu, un fait a attiré mon attention. Proche d’un sanctuaire, il y avait une seule tombe qui appelait le regard. J’ai demandé «Qui est enterré là ?». On me répond: «C’est la tombe de la Naga (la chamelle) qui a ramené ce fils de Sidi Bouabid Cherki de la Mecque !!» Puissante marque de reconnaissance et d’amour pour l’animal compagnon de voyage !!
J’ai aussi appris que la prospérité de Bejâad (près de 50. 000 habitants) passera nécessairement par la multiplication d’événements culturels basés sur des concepts liés aux particularités de la cité. Sur les modèles d’Essaouira et d’Asilah… florissantes mais épargnées des bouleversements liés à l’ industrie et à « l’économie capitalistique ».
Les gens hospitaliers de Bejâad aiment répéter une parole célèbre de Sidi Bouabid Cherki : « Celle ou celui qui vient nous rendre visite partira toujours joyeux ! »
« LI ZARNA YEMCHI FERHANE ». Oui. Attesté et vérifié !!
Cette phrase résonne toujours en moi !