Au coeur de l’Académie chinoise des sciences sociales (Par Abdelghani AOUIFIA)

Par Abdelghani AOUIFIA*

Avec son siège imposant à l’architecture sobre et intimidante, l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS) trône sur un quartier luxueux de Beijing, à la croisée de plusieurs artères qui desservent cette vaste métropole.

Haut lieu de recherche et d’analyse, l’Académie, fondée en 1977, est devenue l’institut de recherche le plus influent de Chine traitant de questions internationales et stratégiques.

La CASS compte, à elle seule, plus de 90 centres de recherche sous sa tutelle. Elle dépend directement du Conseil des affaires de l’État, principale autorité administrative du pays.

Se distinguant par sa taille tentaculaire, ce fleuron du monde académique chinois se veut le reflet de l’expansion et du dynamisme de cette Chine, qui met à profit tous ses atouts : investissements colossaux, croissance soutenue et innovation industrielle inédite, dans sa quête de s’imposer comme leader mondial.

Il s’agit d’une ascension qui s’inscrit en droite ligne d’une stratégie à long terme visant à permettre à l’Empire du Milieu d’être un acteur incontournable dans un ordre mondial en mutation constante.

L’ambition a été clairement articulée par le président chinois Xi Jinping lors d’un congrès national du parti communiste, en octobre 2017 : faire de la Chine un « pays socialiste moderne » qui se « hissera au premier rang du monde », prenant sa place « avec une plus grande fierté » dans le concert des nations. La date de la réalisation complète de cet objectif est fixée à 2049, date qui coïncidera avec le centenaire de la naissance de la République populaire de Chine.

En mettant en marche ses différents appareils politiques et économiques pour la concrétisation de cet objectif, la Chine ne laisse pas échapper l’autre aspect essentiel pour le renforcement de sa projection à l’international : le Soft Power.

Une prise de conscience de l’importance de la recherche géostratégique, politique, économique et sociologique avait ainsi commencé à murir dans les milieux de décision du pays dès le début de la dernière décennie.

Une nouvelle démarche est conçue : faciliter l’émergence de centres de recherche de qualité et en faire de véritables laboratoires d’idées et d’opinions qui servent d’éclaireurs pour les décideurs à tous les niveaux.

Le modèle des influents think-tanks occidentaux à l’instar de Chatham House et RUSI de Londres, est présent dans la pensée des Chinois au moment où leur pays s’est mis à assoir les bases d’une armada de centres de recherche aux « caractéristiques chinoises » qui ont, à présent, leur mot à dire en tant que faiseurs d’opinion.

La mise en place et la propulsion de centres de recherche professionnels fondés sur les règles scientifiques est devenue une stratégie intégrante du pouvoir chinois, estiment les analystes, relevant que ces think-tanks représentent désormais l’arme soft power de la Chine dans la quête du renforcement de son « hard power » développé ces dernières décennies.

Conscientes des reproches provenant essentiellement de l’Occident qui considère que les think-tanks chinois ne seraient qu’ »une arme de propagande », les autorités chinoises insistent sur la promotion de centres de recherche « indépendants ».

A présent, la Chine compte plus de 1400 think-tanks, se classant au deuxième rang mondial après les États-Unis. Ils se répartissent en centres financés par le gouvernement, d’autres relevant du secteur privé, aux côtés de groupes financés par les universités.

Certaines études suggèrent que ces centres de recherche demeurent fidèles à l’objectif établi par le gouvernement de mettre en place des think-tanks aux « caractéristiques chinoises ».

Ceci renvoie, selon les analystes, sur le respect de la vision du gouvernement central quant à la trajectoire de développement et d’influence du pays. Une situation qui signifie que les centres de recherche demeurent, en dépit de leur indépendance, affiliés aux appareils de l’État.

Hu Angang, directeur du Centre d’études chinoises de l’Université Tsinghua, fait valoir que les groupes de réflexion chinois pourraient aider à présenter les pensées, les positions et les voix chinoises sur la scène internationale.

De ce fait, les centres de recherche apportent une contribution importante à la réalisation du « rêve chinois », ajoute-t-il, notant que ces centres sont en mesure d’influencer les politiques gouvernementales dans le sens de renforcer le soft power de la Chine.

D’après les chercheurs, cette affiliation à l’État n’entame, pour autant, en rien l’« indépendance intellectuelle » de ces centres dont les recherches et les contributions sont « strictement axées sur des données et fondées sur des preuves ».

Par ailleurs, les observateurs estiment qu’il n’est pas étonnant de voir la Chine, qui recherche depuis longtemps à se doter d’un Soft Power à la mesure de son poids économique et politique croissant, œuvrer à renforcer le prestige international de ses think-tanks.

Les directives du parti communiste chinois, visant à promouvoir des think-tanks haut de gamme notamment dans les questions stratégiques et de politiques publiques, encouragent les centres de recherche à s’engager dans des interactions globales en invitant des experts étrangers à rejoindre ces groupes de réflexion et à tisser des liens de coopération et d’échange avec leurs homologues dans tous les continents, y compris l’Afrique.

La démarche montre, d’après les analystes, que la Chine est en train de prendre son élan pour renforcer l’apport de ses think-tanks dans le façonnement de la politique internationale dans une approche proactive en droite ligne de la stratégie d’ouverture amorcée par le pays.

*Journaliste MAP