Dans un avenir proche, les quelques studios de photographie parsemés dans les villes marocaines vont disparaître à jamais. Ces lieux seront amenés à démonter leurs décors pleins d’imagination et de voyage imbibés de ce parfum de l’ailleurs. Beaucoup de souvenirs cesseront de faire appel à ce retour à ce passé glorieux où le photographe, ce monsieur élégant et mystérieux, qui avait le droit de vous indiquer les préceptes à adopter au sein de ce monde plein de lumière. C’est à lui seul de vous montrer comment se comporter devant l’objectif. Ce trou noir qui aspire ta personne pour la réincarner sur un papier si lisse et si doux.
Jadis, le studio était un passage obligé pour un rituel d’initiation relative à l’adoption d’une posture ressemblant à une mort qui dure le temps de la captation. Ce lieu est inscrit dans l’ADN de plusieurs générations appartenant au siècle dernier. Il est temps de revenir vers lui avant qu’il ne soit trop tard. Cette urgence n’est pas la seule motivation qui a poussé le photographe Mehdy Mariouch à prendre son bâton de pèlerin et faire tout un circuit dans plusieurs villes comme Tanger, Tétouan, Missour, Meknès, Bejaâd ou Casablanca. Là où il y a des studios emblématiques avec des personnages hors du temps. Ceux qui résistent aux aléas du temps moderne, l’ancrage de l’effacement qui roule à toute allure.
Ce jeune photographe, qui a tourné le regard vers lui grâce à son travail relevant d’un souci majeur de mettre la lumière là où le fantôme de l’ombre est en train d’installer son décor nocturne. En 2017, Il a présenté un projet photographique autour des mineurs au Maroc qu’il a baptisé « Bribes de vies ». En faisant abstraction du côté documentaire de ce travail, les photographies présentées – sous ce titre – nous renseignent sur son approche bien décidée d’aller vers ces hommes de la nuit, ceux qui font remuer les entrailles de la terre pour devenir des êtres qui n’appartiennent pas à la lumière du jour. Il a réalisé leurs portraits pour les rendre visibles et plus humains. On a l’impression en regardant ces portraits que ces visages décomposés, reprennent vie et nous livrent une bribe de vie.
Dans la même démarche mais cette fois-ci, le photographe a décidé de placer sa caméra chez ces photographes de studios. Une exposition composée de plus d’une vingtaine de photos, est présentée à la galerie de l’Institut français de Meknès du 26 janvier au 26 février 2022. La genèse de ce récent travail de Mehdy Mariouch vient de l’idée « de porter notre regard sur chaque photographe, dans son studio, où il a photographié des milliers de personnes. Un cadre hors-champs, hors-temps qui adopte un style désordonné en apparence, proche du kitsch ; flashs, bordures du fond, archives et boîtes entassés… au beau milieu de tout cela, le photographe se fera à son tour photographier »( extrait de la présentation de l’exposition).
On peut dire que cette exposition qui se veut un hommage à ces pionniers de la photographie au service d’un marché bien établi, est portée par un regard singulier en faisant le choix de renverser les rôles. Mehdy Mariouch a installé ces hommes au centre de leurs studios en dépassant le cadre des décors et les toiles de fond afin de les incarner dans leur territoire de travail et rendre à la réalité ses lettres de noblesses. Ce ne sont plus des photographes, mais des hommes qui ont vécu une partie de l’histoire de la photographique au Maroc. En parallèle de ces portraits, il a réalisé une série de photographies des studios qui ont subi un lifting où il n’y a plus place pour ces toiles de fond sous formes d’images d’un ailleurs fantasmé. L’espace est épuré, des jeunes qui se posent pour marquer le moment actuel comme une continuité de ce passé voué à un incessant devenir.
Mehdy Mariouch est l’un des ces photographes marocains habités par la trace comme expérience humaine et artistique. Il est l’invité de ce combat perpétuel contre l’effacement. Dans ces prochains projets, on retrouvera sûrement cette fibre qui lui ressemble en tant qu’artisan de la mémoire.