Courir d’une façon frénétique sans quitter le lieu, tomber en produisant un son terriblement senti par le public, est considéré comme une chute douloureuse. Se relever et courir jusqu’à l’épuisement, c’est avec cette première scène que l’artiste circassien et danseur tangérois Mehdi Dahkan nous introduit au sein de sa performance intitulée « Makan ». Pour le lieu, il s’agit d’un espace bien défini.
Notre danseur a fait le pari de réaliser cette performance qui dure 15 minutes pour répondre à un projet en forme de proposition pour accompagner la reprise du spectacle vivant au Maroc, initié par l’Institut français de Meknès. Il s’agit, comme il a été présenté dans le cadre ce programme, d’un format qui s’appuie sur la mesure spatiale exigée à la sortie de confinement estimée à 4㎡ autour de chaque personne ; soit 8M3 pour l’être vertical. Ainsi en découle une dimension métaphorique de l’espace. La danse donne une certaine élasticité à ce dernier en devenant une variable de l’imaginaire et un point d’où se rêve le monde.
Dans « Makan », Mehdi Dahkan a résolument opté pour l’absence d’un support sonore. Le silence est quasiment présent tout en laissant la place à une autre musicalité produite par les gestes, le souffle et la voix du danseur. Ce dernier a voulu intégrer ce silence qui a marqué le temps du confinement. Vivre seul dans un appartement pour un être qui ne peut vivre qu’à l’extérieur. Laisser le bruit de la ville pour côtoyer de plus près le silence des murs est une expérience qui a laissé des séquelles profondes.
Dans cette performance l’écriture de la danse prend la forme d’une interprétation des gestes quotidiens qui ont rythmé la vie pendant le confinement. La répétition des mouvements et des gestes avec des cadences variées tantôt lents tantôt accélérées ont meublé cet univers absurde que la performance a voulu nous transmettre comme un leitmotiv affolant.
Si le corps communique par le geste, la voix du performeur nous livre un mot fractionné. Il balbutie une partie d’un mot « So » qui se traduit fatalement par un saut. « Sol » comme une invitation à tomber. Enfin le mot est lâché dans son intégralité: « Solitude » qui résume la gravité de la condition humaine en cette période si pesante.
« Makan » révèle un jeune danseur et un chorégraphe – malgré son parcours autodidacte parsemé de quelques stages avec des chorégraphes chevronnés – qui pense et qui écrit avec rigueur son expérience artistique. Il a cette fibre créative qui découle de sa sensibilité et de sa vision du monde. Il est porteur d’un regard qui nous interpelle et qui nous questionne sur existence. Cela dit, on ne peut que nous réjouir de l’émergence d’un tel talent dans ce paysage très ardu de la danse contemporaine au Maroc.