Nabil Ayouch fait son cinéma comme il la veut, c’est toujours avec cette résonance propre à lui et qui se manifeste dans cet acharnement de souffler un vent de liberté. C’est dans une salle de cinéma à Fès, quasiment vide alors que c’est une journée de fête, il faisait tellement froid que l’attente de la projection du film « Haut et fort » est devenue presque une délivrance.
La lumière et le bruit de Casablanca pénètrent avec insistance dans l’habitacle de la petite voiture pour renforcer la gravité du visage du jeune – qu’on voit de profil – à la recherche du centre culturel, en l’occurrence le fameux centre les Étoiles de Sidi Moumen. Mais les étoiles ne vont pas briller, ce qui brille, c’est ce que la caméra a capté via des plans panoramiques: c’est la misère. Cette dernière est présentée par ces champs de ruine, ces bidonvilles avec tous ce qu’ils comportent comme dérivés appartenant à la marge.
Voilà le contexte qui est bien défini comme préambule pour annoncer les couleurs. Cela dit, le réalisateur n’a pas besoin de nous dévoiler le théâtre des événements à venir via un drone pour balayer de tout en haut le quartier de Sidi Moumen. Un plan qui nous a marqué au début de son film « Les chevaux du dieu« , comme s’il a voulu nous dire: ce lieu est tellement méconnu comme si on le voit de loin. Dans ce deuxième film dédié à ce quartier, même si Anas a du mal à trouver le chemin du centre culturel, le quartier existe bel et bien car il a un nom inscrit sur un panneau routier, que Nabil Ayouch a intégré dans un plan bien placé dans la trajectoire du départ de ce jeune.
L’histoire est tout à fait banale, du déjà vu, mais elle puise sa force du contexte exceptionnel de ces jeunes de l’après « les attentats de Casablanca du 16 mai 2003″. C’est le temps de la mobilisation des jeunes et de la prise de parole. Rien n’a changé, ce ne sont pas les conditions de vie, d’ailleurs, le réalisateur avec sa caméra mobile traverse les ruelles étroites pour nous plonger dans l’étroitesse de l’espace de vie de ces jeunes et nous faire découvrir la misère dans son ampleur. Ce qui a changé, c’est l’implantation de ce bâtiment baptisé centre culturel à côté de la mosquée. Dès que Anas fait son entrée dans ce lieu en arpentant l’escalier, il croise sur son chemin un grand colosse barbu interpellant ainsi notre attention.
Dans ce lieu considéré comme un espace de liberté, Anas, cet ancien rappeur a pour mission d’aider ces jeunes de ce quartier. Faire écouter leur voix tout en tissant des mots et donner lieu à l’émergence d’un Rap qui porte leur aspiration. Entre fiction et documentaire, ce film retrace une trame qui s’est opérée sous l’angle des deux registres visuels et sonores car il s’agit de deux entités distinctes. C’est avec une subtilité et intelligence, que Nabil Ayouch a su construire son film autour de deux composantes, un univers sonore relevant du registre religieux (l’appel à la prière, la prière, le prêche…) et un autre caractérisé par la production musicale et la voix des jeunes apprentis rappeurs. Deux mondes qui cohabitent ensemble mais chacun cherche à débusquer l’autre. C’est pour cela que le concert organisé par les jeunes représente est le climax et le lieu par excellence de l’affrontement entre ces jeunes qui veulent faire entendre leur voix et ceux qui veulent taire cette voix de liberté.
La fin du film prend la forme d’un mélodrame car il y a de l’espoir. Nabil Ayouch signe un film qui fait une exception dans sa filmographie. Il a cette fragilité des jeunes mais la force d’une jeunesse qui n’a pas peur de prendre des risques.