« Dieu est Lumière, seul l’homme est photographe »
« Vie et mort de l’image (1992) de Régis Debray
Dans un monde où l’image est quasiment présente, l’écriture est en phase de céder la place à une sorte de mise en scène imagée de l’émergence d’un être qui n’a plus besoin de réfléchir. Ses yeux sont ouverts comme une porte qui ne se ferme jamais, à absorber les images qui défilent sans cesse. Elles apportent avec elles une autre façon d’appréhender le monde d’aujourd’hui.
On dit qu’une image vaut mille mots. C’est vrai que cette phrase a était tellement convaincante, dans un contexte d’urgence et de quête d’un impact percutant. L’image fait appel à l’économie de langage tout en invitant les dissertations à quitter les lieux. Mais elle est devenue un danger commun à tous les citoyens.
On est en train de créer via cette image – statique ou mobile – l’ordre du monde actuel. Notre cerveau emmagasine continuellement l’afflux des images sans avoir le temps de déchiffrer et de questionner le contenu. On va finir par adopter des attitudes qui ne nous ressemblent pas et finir par modeler notre pensée en adéquation avec tout ce qu’on a reçu comme idées véhiculées par ces images.
Un autre aspect troublant se manifeste dans notre comportement envers ce qui se passe dans le monde et plus particulièrement les images de violences. Ces dernières ont installé dans notre perception une composante hallucinante où l’être humain est devenu insensible, distant et froid vis-à-vis aux drames. Il n’y a plus de distance entre la réalité et la fiction.
Le monde s’écroule comme dans un film à regarder avec le tempérament d’un spectateur qui passe un moment de plaisir. Désormais tout est spectacle. Nos yeux sont rivés sur cette avalanche d’images qui meublent notre quotidien.
Notre relation à l’image est passée à un stade qu’on peut qualifier de « l’image participative » où chacun crée ses propres photos et ses propres films. On contribue tous à cette énorme production des images. On devient narcissique, on regarde, on prend des selfies, on partage notre quotidien via l’image sur les réseaux sociaux. On façonne notre spectacle et on invite nos spectateurs à apprécier l’autre vie, notre vie virtuelle. On ne communique que par les images, les mots se font de plus en plus rares.
L’image phagocyte les mots et l’écriture est la seule relation qui nous lie avec les mots. On est loin de ce temps où tisser un texte, tout en brodant un univers de mots, libère notre imagination et fait appel à cette sensibilité à fleur de peau qu’on a cultivée depuis la nuit des temps. Fermez vos yeux, imaginez les mots qui vous parlent et qui vous chuchotent et évitez d’être la cible constante d’une violence ahurissante de l’image.