« Quand les pigeons ont peur de vous, c’est signe que vous commencez à compter » (Charles Bokowski, Contes de la folie ordinaire, 1972)
Qui n’a pas peur d’aujourd’hui ou de demain ? Qui n’a pas goûté l’amertume de l’inquiétude dans ce monde où le travail est devenu l’esclavage moderne par excellence ? La peur, ce monstre invisible qui nous guette à tous les coins et à tout moment. Et qui s’installe comme une application pour conditionner tes comportements pour te rendre si docile en produisant des êtres humains qui passent leur temps à raser les murs. Des esprits obnubilés par la peur, prêts à négocier le moindre et renoncer à l’aventure. Et troquer l’air libre par l’air conditionné.
Cette peur palpable dans les regards des gens, dans les mots prononcés avec balbutiement, se propage dans l’air du temps. Les médias attrapent cette créature pour lui donner un visage et lui trouver une incarnation plausible dans les faits divers, dans les accidents de circulation, dans la haine des gens envers les autres, dans les guerres interminables. Ils brossent une image chaotique d’un monde qui va à la dérive. Ainsi l’insécurité s’installe de plus en plus dans nos vies. Les multinationales de l’assurance multiplient les offres d’une assurance de vie et de mort. Leurs fonds de commerce sont l’accumulation de ce déficit sécuritaire.
Le métier de sécurité bat son plein en mettant sur le marché du travail toute une armada d’agents censés nous protéger et aussi nous soupçonner. Ils mettent la main dans nos sacs. Ils veulent scruter les recoins les plus lointains de nos pensées et de nos vies. On est scruté au fin fond de nos yeux. On est tous coupables. On doit faire profil bas comme dixit l’adage marocain Li khaf nja (Est sauvé, celui qui a peur) pour montrer à quel point on est gentil, pacifique et obéissant.
Dans cet univers kafkaïen, l’intellectuel est invité à apporter la lumière sur cette condition humaine ténébreuse et tisser les liens avec cette force régénératrice d’espoir qui réside en nous. Faire appel à la résilience qui peut être portée par les forces vives de nos artistes. Sans l’intervention de ces derniers, la massification d’une vie sans issue est inéluctable. Ramener la joie, la fête, le vivre ensemble, faire confiance à l’autre car l’autre c’est moi et c’est nous. C’est un arsenal d’armes pacifiques à larguer sur ce monde qui se vide de son sang. Qui agonise dans une misère absolue.
La voix de l’artiste est primordiale pour célébrer la vie et lui rendre son premier mot. Faire renaître le désir d’être l’invité exceptionnel de ce monde et étancher la soif de liberté en affrontant la vie avec démesure, sans aucune crainte et sans calcul. Car l’art est un acte courageux, il nous permet de mieux voir les maximonstres et de mieux s’en prémunir.