Lahcen Zinoun, chorégraphe, danseur étoile dans le Ballet royal de Wallonie et cinéaste, est une figure emblématique dans le champ de la culture au Maroc. Il représente ce malaise étonnant au Maroc autour de la danse et le corps. Le retour de Zinoun dans les années soixante-dix a marqué une étape très douloureuse dans la carrière de ce jeune prodige. Il quitte son quartier populaire le fameux Hay Mohammadi de Casablanca pour percer dans les hautes sphères de la danse classique en France et en Belgique.
L’homme qui danse est mal vu par ses concitoyens. Le corps doit être à la merci des préceptes d’une doxa favorisant son contrôle. C’est une situation qui nous rappelle celle du rire au moyen âge où il était désapprouvé et considéré comme un geste grotesque. Même « l’Eglise, comme disait Jacques Berlioz, n’aime guère le rire, rattaché aux basses parties du corps (la rate). Un rire tonitruant éloigne de Dieu, que l’on atteint dans le silence, et rapproche du diable, grimaçant. Et pourtant le rire est jugé, malgré tout nécessaire à l’équilibre de l’esprit humain ». On est loin du temps des ténèbres, mais Lahcen Zinoun est observé et considéré comme « le fils égaré », il revient mais il résiste aux rejets successifs du père (chassé de la maison familiale), du gouverneur (viré du bureau) et par le public (hué et insulté lors d’une présentation en 1973).
Ce destin ressemblant à celui d’un héros tragique dans les mythologies grecques car Il a fallu parcourir ce chemin périlleux, jonché de plusieurs épreuves, armé par la conviction que cet art a une raison d’être au Maroc, Zinoun ne baisse pas les bras. Il va creuser plus loin dans notre patrimoine et exhumer ces danses qui existent bel et bien.
Un travail colossal dans les années quatre-vingt pour faire renaître et revisiter des danses atypiques de ce répertoire patrimonial du Maroc. Après la création de la Troupe Nationale des Arts et des Traditions, Zinoun se donne corps et âme pour monter un ballet gigantesque autour de l’histoire mythique de « Isli et Tislit ». Une création qui a marqué un tournant dans le parcours de cet éternel combattant. Un laps de temps d’espoir car la danse au Maroc n’aura pas ses lettres de noblesse.
Le chemin est si long. Heureusement la rencontre avec le cinéaste Mostafa Derkaoui, et sa participation comme chorégraphe auprès de Martin Scorsese dans « La dernière tentation du Christ » et de Bernardo Bertolucci dans « Un thé au Sahara », une brèche s’est ouverte dans le mur du désespoir. Notre artiste réalise alors plusieurs courts et longs métrages. Il installe sa marque comme réalisateur qui porte un projet très sensible qui a enrichi la filmographie marocaine. Avec une approche propre à cet allié du corps libre, il réalise deux films majeurs dans sa carrière comme cinéaste « Oud lward ou la beauté éparpillée » et « La femme écrite », deux longs métrages qui révèlent la femme sous un autre angle où le questionnement autour d’elle et de son corps illustre le non-dit/l’inavoué. Il fait parler la mémoire du corps tatoué et exilé dans les recoins les plus reculés de l’inconscient d’une société qui se tait.
Le dernier combat de Zinoun est gagné d’avance car il a pu transformer le rejet de son dernier scénario par le centre cinématographique marocain en un livre autobiographique. « Le rêve interdit » : c’est le cri de l’homme qui voulait faire danser les Marocains !