* Un cahier des charges non concordant avec les principes du programme exceptionnel de soutien
Les explications du ministre de la Culture sur son compte Facebook n’ont pas répondu à toutes les questions. Le département de la Culture ne semble pas avoir compris le pourquoi du tollé.
Selon de nombreux observateurs, en plus de l’absence de maîtrise du dossier par les structures du département de la Culture, une des principales causes de cette polémique vient du manque de cohérence ou de concordance entre les trois aspects suivants.
Il y a d’abord des « PRINCIPES « , définis par le ministère de la Culture, soulignant que ce programme exceptionnel d’aide aux artistes est motivé par « l’impact socio-économique de la pandémie » sur les artistes et les porteurs de projets. Cela était convenu et compris par tout le monde.
Il y a ensuite les « OBJECTIFS GÉNÉRAUX DU CAHIER DES CHARGES » (consultable par les postulants sur le site du ministère) qui réitèrent à juste titre ces principes.
Jusque-là, tout va bien… mais il y a eu cette « distorsion » ou « décalage » entre les « principes » et le « cahier de charges »… qui ne les traduit pas concrètement, dans ses différentes rubriques.
Le Cahier des charges est resté silencieux sur le mode de « SÉLECTION » de la « catégorie des artistes et porteurs de projets du programme exceptionnel » . Une population cible présentée comme vulnérable et fragilisée par la crise.
*Quelle population cible pour le programme exceptionnel de soutien ?
Le communiqué du ministre Othman El Ferdaous, du 15 juin 2020, a bien annoncé une opération exceptionnelle avec une enveloppe globale de 37 millions de dhs…
Il a souligné que le ministère de la Culture « lance un programme exceptionnel de soutien (…) en vue d’atténuer l’impact socio-économiques de l’état d’urgence sanitaire.
Pour ce qui est des « objectifs généraux » du cahier des charges, ils sont eux aussi clairs:
« Dans le cadre des efforts déployés par l’État marocain pour faire face aux répercussions de la pandémie du Covid-19, le département de la Culture lance un programme de soutien (…) Cette initiative a pour objectif de soutenir et promouvoir la scène artistique marocaine et d’atténuer l’impact socio-économique de l’état d’urgence sanitaire sur les artistes et les acteurs culturels fragilisés par l’arrêt des manifestations culturelles dans les espaces publics et le report des évènements artistiques ».
Or, le cahier des charges est resté imprécis sur la manière de choisir les profils des personnes éligibles… touchées par la crise économique. Qui va-t-on aider ? La catégorie « FRAGILISÉE ET IMPACTÉE » n’a pas été identifiée ou explicitée par le Cahier des charges.
Les artistes – dans le besoin ou non – ont compris que tous pouvaient bénéficier… et ce n’est pas de leur faute. Et ce fut le déferlement !
Le Cahier des charges, mal finalisé, est resté vague sur les destinataires légitimes. À aucun moment il n’a adopté le ton de la franchise… pour éloigner les artistes ayant un revenu régulier.
Ce programme qui se voulait « exceptionnel »… a été géré comme une opération « habituelle » de soutien à des projets artistiques… destinée à tous… covid ou pas covid !! Peu importe la situation économique de l’artiste ou celle du porteur du projet.
Bien évidemment la priorité reste à « l’art »… mais du moment que le ministère a attribué la carte à un artiste… c’est que les conditions de base pour mériter ce statut sont là !
*Un choix non encadré par des critères clairs
La boîte de Pandore a été ouverte au niveau des différentes commissions. Non encadrées par des critères clairs – sur la situation des postulants – les commissions ont perdu de vue les objectifs du programme. Elles ont subventionné « à la louche »…
Plusieurs estiment que la responsabilité incombe à l’administration et non pas aux différentes commissions. L’administration devait filtrer les dossiers en fonction de la réalité de la situation des candidats,…
L’administration (Direction des Arts) ne devait présenter aux commissions que les dossiers effectivement éligibles et écarter les autres. Mais le Cahier des charges est resté silencieux. Les commissions ne peuvent juger que l’art et rien d’autre. Et surtout pas la situation de vulnérabilité ou non du porteur du projet ou de l’artiste.
Finalement, on s’est retrouvé avec des listes faisant cohabiter des individus pas spécialement dans le besoin… mais recevant quand même une subvention Covid-19… avec d’autres réellement dans le besoin.
Dans ce cas, le ministère n’était pas obligé de lier cette opération exceptionnelle à la crise sanitaire. Et tout le monde aurait accepté les résultats. Mais agir au nom d’un principe… et l’oublier en cours de route ne passe pas !!
*Les failles et les rubriques polémiques du Cahier des charges
Les rubriques n’ont pas traduit, ni facilité l’application du principe de cette opération exceptionnelle.
A/ LES CRITÈRES D’ ÉLIGIBILITÉ : il n’y a dans cette rubrique aucun critère qui évoque une « situation économique précaire ou fragile induite par la pandémie » du postulant.
« Être de nationalité marocaine, ou étranger résident au Maroc et disposant d’une carte de séjour/// Avoir honoré tous ses engagements antérieurs avec le département de la Culture/// respecter les normes de sécurité sanitaire en vigueur ///Les œuvres d’art proposées doivent être de qualité. »
B/LES PRIORITÉS DE SÉLECTION PAR LES COMMISSIONS : là non plus, les « priorités » ne font pas clairement allusion à la situation de « fragilité économique ». Elles insistent sur la valeur artistique du projet, un critère normal mais qu’il fallait croiser avec d’autres critères.
« Les commissions statuent sur l’utilité, la pertinence et la valeur artistique, historique, scientifique ou ethnologique de chaque œuvre proposée, mais aussi sur son adéquation avec les choix stratégiques du ministère à savoir:
– intérêt particulier accordé en premier lieu aux projets auxquels participent un nombre important de détenteurs de cartes d’artistes qui ne sont pas fonctionnaires ;
– intérêt particulier accordé en second lieu aux porteurs de projets n’ayant jamais bénéficié de subvention de soutien. »
Pour le premier « intérêt » (l’intérêt ici n’a aucun caractère obligatoire !!)… la liste a montré le contraire. Un très grand nombre d’artistes fonctionnaires (donc à revenu régulier) porteurs de cartes ont été sélectionnés. Le Cahier des charges n’a pas affirmé une clause claire pour exclure ceux qui ne sont pas dans le besoin…Comme on peut aussi être détenteur d’une carte d’artiste – non fonctionnaire – et être un artiste très prospère!!
Pour le deuxième « intérêt » exprimé par le cahier des charges… il n’a pas été respecté. Les abonnés aux subventions… même s’ils ne constituent que 20% dans cette opération exceptionnelle (près de 92 redoutables « rentiers » des subventions annuelles)… n’ont évidemment pas raté cette occasion.
C/ LE DOSSIER ADMNISITRATIF: on a exigé des postulants des documents sur tout…mais on n’a pas pensé à une éventuelle attestation ou déclaration justifiant des difficultés économiques… ou une attestation de salaire pour les artistes fonctionnaires ou employés pour avoir une idée sur leur revenu… ou une attestation fiscale pour ces grosses entreprises culturelles qui ont été subventionnées…, etc.
On note bien que le dossier administratif, consultable sur le site du ministère, a détourné le regard d’une possible vérification ou contrôle de la situation économique ou matérielle réelle des postulants
D/ LE FORMULAIRE DE CANDIDATURE ET LA DÉCLARATION SUR L’HONNEUR: le « formulaire de candidature » n’a pas prévu que le candidat informe le ministère sur sa situation matérielle. La « déclaration sur l’honneur » a tout juste demandé de déclarer qu’on a bien lu le cahier des charges et qu’on s’engage à respecter ses prescriptions.
* L’inévitable confusion
Cette ambiguïté du cahier des charges sur la question du mode de sélection des candidats a tout embrouillé et les résultats étaient prévisibles. Erreur dans la conception de cette opération !
Les listes mélangent des artistes pourvus de situations matérielles très différentes. Ceux qui souffrent gravement de la crise… y compris de jeunes artistes méritants en difficulté…les artistes privilégiés, connectés au marché, qui vendent leurs toiles tout au long de l’année aux galeries et collectionneurs… les chanteurs et musiciens aux gros cachets… les galeristes et gros entrepreneurs culturels prospères… les artistes nantis exerçant des professions libérales… les fonctionnaires artistes au revenu stable…, etc.
L’opinion publique n’est pas remontée contre les artistes en difficulté et subventionnés. Mais contre certains privilégiés. Il ne faut pas non plus leur en vouloir parce qu’ils ont « bénéficié » des failles du cahier des charges. Certains, embarrassés, ont rendu la subvention.
Une polémique en appelant un autre, même ceux qui ne sont pas éligibles, ne répondant même pas aux conditions de la carte d’artiste et qui exercent à la marge de la définition de l’art… ont estimé qu’ils ont été exclus. Bien évidemment les solutions à leurs difficultés ne relève pas du ministère de la Culture.
*La gestion administrative de ce programme exceptionnel
Les observateurs estiment que le ministère de la Culture à travers la Direction des Arts (en charge de la conceptualisation et de l’exécution de ce programme) aurait dû en rester à une population éligible sur la base de la crise liée à la pandémie.
Ils s’interrogent aussi, à quel moment il y a eu « bifurcation » ou « abandon » des principes de ce programme exceptionnel de 37 millions de dhs tels qu’ils ont été définis dans le communiqué du ministre le 15 juin 2020 ?
Ils s’interrogent aussi pourquoi le dossier a été confié à des commissions (théâtre, musique, arts plastiques) – dont les noms des membres toujours frappés du secret – déjà installées depuis le mandat d’un ancien ministre ?
Le ministre Othman El Firdaous aurait dû constituer, spécialement pour cette opération, de nouvelles commissions ad hoc, avec des noms consensuels, moins polémique et surtout plus sereins. A programme exceptionnel… commissions exceptionnelles ! C’était une évidence!!
* Une opinion publique à fleur de peau
La pandémie a suscité une psychose à la fois collective et individuelle qui a bouleversé la vie des gens, leur niveau de vie, leur revenu, leur relation au monde… Elle a plongé des centaines de milliers de gens dans la précarité…
Personne n’a le droit de traiter à la légère ce traumatisme collectif. On ne peut le mettre en avant pour « communiquer » ou l’utiliser comme prétexte et ensuite le retirer…
L’opinion publique est à fleur de peau et suit de très près tous ces systèmes d’aide, dans tous les secteurs, qui ont été mis en œuvre par les pouvoirs publics. Y compris dans certaines Institutions agissant également dans le culturel et travaillant dans l’opacité auto-satisfaite…
Mais là, c’est le management du département de la Culture qui a été pris en défaut par l’opinion publique !
Résultat, les artistes sont aujourd’hui déchirés et divisés. La gestion de la subvention a provoqué le mécontentement. Elle a donné une image négative de la communauté des artistes dans leur ensemble.
Les horreurs qui se déversent dans les réseaux sociaux contre les artistes sont insupportables.
Et cela bien sûr, fait le jeu des obscurantistes qui détestent le théâtre, le cinéma, la peinture, la musique, le chant, la danse… Ils ricanent dans leur coin et dans leur barbe… en maudissant les artistes « débauchés »… Bien évidemment ils espèrent un gain électoral de ce type de crise !!
L’État qui a mobilisé d’immenses moyens pour la culture, qui construit des théâtres, des bibliothèques, des complexes culturels, des conservatoires de musique, des maisons de jeunes, des musées … ne cesse d’adresser des messages et des signaux pour faire comprendre que l’épanouissement des individus et de la société passe par les arts et la culture.
Encore faut-il que tous ceux qui sont en charge du secteur soit à la hauteur de cette vision !
Heureusement que, lors de cette crise sanitaire, des opérations d’aide, autrement plus importantes, massives, complexes (portant sur des milliards de dh) et parfaitement maîtrisées ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics sans susciter aucune polémique. Elles ont été marquées par la transparence, le souci de justice et d’équité.
On a vu avec une immense joie solidaire des défavorisés et démunis dotés de carte de guichet automatique bancaire… pour la première fois de leur vie… aller retirer leur aide financière.
On terminera sur cette note positive !!!