Marasme culturel: la passivité déconcertante du département de tutelle

Les métiers artistiques sont encadrés dans les faits par une loi dite n°68-16, datant de septembre 2016 et publiée au Bulletin officiel le 15 décembre 2016. Ce texte législatif vise à harmoniser les textes juridiques avec les dispositions de la Constitution marocaine de 2011.

Dans son préambule il est annoncé que cette loi est articulée selon les principes suivants:

1.    La noblesse du message que véhiculent les missions sociales fondamentales de l’artiste et les rôles dont il est investi à travers l’enrichissement de la vie culturelle, artistique, sociale et économique et l’évolution de la conscience individuelle et collective des marocains

2.    La participation efficace de l’entreprise culturelle et artistique au progrès à travers le développement des industries et de création

3.    La forte implication des femmes et des hommes de la culture et des arts dans le renforcement des droits culturels, la consolidation de la diversité culturelle et le développement des industries de la culture et de la création

Le ton est donné dès le départ vu la double référence à la culture en tant qu’industrie, et la mission « fondamentale » de l’artiste au niveau social et sociétal.

Dans le fond, cette loi détaille les dispositions relatives à la fixation de la liste des professions artistiques selon les branches, les conditions de délivrance de la carte d’artiste, la définition de l’établissement artistique ainsi que des agences des services artistiques, les dispositions contractuelles, les salaires, la protection sociale, l’emploi des artistes étrangers, les conventions collectives, entre autres choses.

Quatre années et une pandémie plus tard, la réalité du terrain démontre que le secteur culturel est loin de constituer un embryon d’industrie -à quelques très rares exceptions- ; puisque la quasi-totalité des dispositions prévues n’ont à ce jour pas été appliquées.

Cette loi est nécessaire et surtout salutaire pour promouvoir une culture à la hauteur de notre richesse historique et patrimoniale, encore faut-il créer et accompagner les mécanismes qui sont eux-mêmes prévus dans ses textes.

A titre d’exemple, l’article 20 relatif à la protection sociale stipule que « l’Etat œuvre, par voie réglementaire, à la mise en place et au développement des mécanismes de financement de régimes de protection sociale des artistes, des techniciens et des administrateurs… » … « à cet effet, une partie sur les rémunérations fixées dans les contrats artistiques conclus, est prélevée au profit desdits régimes… ». Puisque ces dispositions n’ont été à ce jour pas encore créées, parlons des rémunérations…

La majorité des projets artistiques étant subventionnés, l’article 17 (chapitre relatif à la rémunération artistique), aborde la question épineuse des délais de versement, et conditionne dans le cas d’activités dont l’exécution est supérieure à 15 jours, que « l’artiste, le technicien ou l’administrateur perçoive obligatoirement tous les quinze jours des avances sur rémunération fixées par négociation, jusqu’à la perception de la totalité de sa rémunération à la fin de la durée du contrat de travail ou la fin de la réalisation de l’œuvre artistique… ».

Un comble, surtout lorsqu’on connaît les délais de paiement en vigueur dans le secteur… Rappelez-vous, pendant le confinement, tous les professionnels sont montés au créneau pour demander le versement des subventions dues de… l’année précédente…

Concernant le statut de l’artiste dans le cadre de la production et du soutien public, le chapitre qui y est consacré prévoit quant à lui une priorité d’embauche à hauteur minimale de 60% au moins pour les artistes détenteurs de la carte professionnelle pour les projets soutenus ou portés par l’Etat, les collectivités, les sociétés et établissements publics ou semi-publics…

Quand on voit quelques-unes des œuvres ornant nos rues, l’on se demande si ces artistes détiennent-ils réellement ladite carte professionnelle objet de tant de convoitises, dont la distribution soit dit en passant a duré près de deux années…

Par ailleurs, dans les dispositions transitoires et finales, l’avant-dernier article de la loi annonce que l’autorité de tutelle continuera à financer la Mutuelle nationale des artistes jusqu’à la création des nouveaux mécanismes des régimes de protection sociale…

Si cela a été fait plus tôt, les professionnels auraient moins souffert lors de l’arrêt brutal de l’activité puisqu’à minima leurs frais de santé auraient été assurés, vu toutes les perturbations que la mutuelle a connues récemment.

Bref, pour atteindre la noblesse du message que véhiculent les missions sociales fondamentales de l’artiste et les rôles dont il est investi, citées en préambule, il faudrait un réel engagement étatique afin de mettre fin à ce marasme ambiant et que nos artistes et professionnels puissent enfin vivre dignement de leur art et se consacrer à l’objet fondamental de leur action: la création.

Cela leur ferait du bien, nous feraient du bien et créeraient le bonheur au sein de leur public ; et nous n’avons nul besoin d’un Ministère du Bonheur pour cela mais d’un Ministère de tutelle à la hauteur des défis mais aussi et surtout à la hauteur des dispositions prévues par une loi nationale.