CASABLANCA. LA MAJORITÉ PJD DU CONSEIL DE LA VILLE ET L’AGONIE PLANIFIÉE DES COMPLEXES CULTURELS

S/t. Avant l’ « Unité de la Ville »… une action culturelle de proximité

Il n’y a pas trop  longtemps les Casablancais étaient fiers de leurs complexes culturels.  Chaque groupement de quartiers avait son complexe culturel, accueillant, propre, convivial avec une programmation variée.

Ces équipements culturels de proximité permettaient de « décentraliser » la culture et les arts et d’en faire bénéficier les zones périphériques. Des espaces d’échange, de partage et  d’apprentissage aux jeunes des valeurs de tolérance, d’ouverture et du vivre-ensemble.

Semaines culturelles…  festivals de cinéma… pièces de théâtre… concerts de musiques…   lectures poétiques… expositions, signature et ventes de livres… spectacles internationaux suite à des conventions avec les centres culturels étrangers…  spectacles  de fin d’année pour les écoles de danse… matinées récréatives pour enfants… expositions d’arts plastiques… conservatoires de musique… ateliers de formation dans différentes disciplines artistiques…

Construits par les communes, les CC étaient des bijoux réalisés par des architectes  qui rivalisaient de talent pour construire le plus beau et le plus attrayant…

S/t. Un souci réel de  proximité dans un Casablanca subdivisé et géré dans sa riche diversité.

Les  CC ont connu leur âge d’or lorsque Casablanca était subdivisée en 4 préfectures et 7 communes. Chaque commune a pu construire au moins un Complexe culturel: Maârif… Moulay Rachid… Sidi Belyout… Aïn Seba… Hay Mohammadi… etc.

Des  théâtres  entre  500 et 1200 fauteuils, équipés en éclairage scénographique et sonorisation moderne … conservatoires de musique…  bibliothèques aux rayons fournis y compris en ouvrages en langues étrangères… projecteurs de cinéma  et  vidéo… etc.

Les budgets des communes comportaient  des articles  pour l’acquisition de livres… l’acquisition d’instruments de musique… l’entretien de l’édifice.

En cas de panne de matériel,  l’intervention  était  immédiate. Tout  équipement   détérioré ou usé était  immédiatement remplacé… Et même les sanitaires préservaient  la dignité des spectateurs et visiteurs.

Une émulation  existait pour attirer les meilleurs spectacles  et organiser les meilleurs évènements.  Le public était le grand gagnant, y compris celui  des périphéries.

L’administration territoriale elle aussi était pleinement investie. Elle accordait toutes les facilités pour le fonctionnement de ces complexes. Elle veillait à leur finalité culturelle et artistique… et surtout leur épargner une exploitation politicienne ou idéologique…

Les présidents de communes en synergie avec les gouverneurs menaient une véritable  action culturelle au plus près des territoires.

Tous les acteurs étaient convaincus que ces foyers de rayonnement culturel,  réconciliaient les citoyens avec leurs espaces. La culture était considérée comme une donne importante dans la gouvernance.

S/t. L’impact défavorable de la gestion « recentralisée » de Casablanca sur la dynamique culturelle

Cette belle dynamique allait être stoppée en 2003 lorsque fut instituée l’Unité de la Ville dans les cités de plus de 500 000 habitants » par la  loi 78-00 du 3 octobre 2002  portant réforme de la charte communale.

Casablanca, Rabat, Salé, Tanger, Fès et Marrakech ont été concernées. La loi a prévu un « conseil municipal » unique de plein exercice et des « conseils d’arrondissement  dépourvues de la personnalité morale » … des coquilles vides aux  attributions réduites.

Casablanca, la cosmopolite, qui était subdivisée en plusieurs unités administratives et électives, a tourné le dos à sa diversité, à  son pluralisme culturel et politique qui a toujours fait sa richesse… Elle s’est retrouvée érigée en une seule « entité »…

Le parti « majoritaire » s’est retrouvé à la tête d’un « monstre urbain » s’étalant sur près de 38 400 hectares, peuplé de plus de 4 millions d’habitants et  gouverné en un seul « niveau » de territoire … Ce qui est inouï !!

Casablanca est plus peuplée que l’Irlande, la Nouvelle Zélande, la Géorgie ou la Croatie. Aucune agglomération au monde de cette taille n’est gouvernée en une seule échelle de territoire. Elles ont toutes des subdivisons fortes.

Au lendemain des élections communales du 12 septembre 2003, Casablanca  a muté en  une SEULE PREFECTURE… UNE SEULE COMMUNE, un SEUL CONSEIL MUNICIPAL. Un patchwork humain  composé  de 147 élus aux profils très différents et venant de zones urbaines aux besoins très différents.

Cette  « re-centralisation »  qui a dérivé vers une  « hyper centralisation »… a battu en brèche la philosophie et l’esprit qui ont toujours nourri la politique de décentralisation au Maroc.

Désormais, tout doit remonter à la mairie qui est devenue un goulot d’étranglement… La mairie unique  est devenue une  partie du problème et non plus la solution.

Effet collatéral… et pour revenir à notre sujet, tous les centres culturels se sont retrouvés entre les mains du maire devenu… le patron unique de tous les  complexes culturels !?

Au-delà de la couleur politique, il semble impossible pour un maire,  débordé par la gestion d’une ville géante,  d’être à l’écoute des besoins et des doléances des responsables de ces complexes culturels privés de leurs interlocuteurs de proximité  d’avant 2003.

Pour le maire de Casablanca qui gère plusieurs dossiers brûlants,  la culture est devenue  secondaire. Une grave erreur !!  Surtout si la majorité, à référentiel islamiste, comme celle qui contrôle Casablanca aujourd’hui considère la culture comme du « superflu ».

Avant 2003,  les complexes culturels  étaient  une sorte de  vitrine pour les différentes communes et préfectures… aujourd’hui, ils sont devenus des boulets pour le conseil de la ville.

Toutefois, entre 2003  et 2015, durant ses deux mandats, Mohammed Sajid (UC) le premier maire de Casablanca unifiée a fait de son mieux pour que les complexes culturels ne soient pas trop délaissés ou asphyxiés. Mais son action était insuffisante.

S/t. La majorité PJD du Conseil de la ville de Casablanca et la marginalisation de la culture et des arts

Le déclin des complexes culturels va s’accentuer avec la majorité PJD du Conseil de la ville depuis 2015. Ce parti a remporté 10 arrondissements sur 16 et compte 74 élus sur   les 147.

Auparavant les 7 communes de Casablanca étaient de différentes couleurs politiques… ce qui impliquait pluralisme, diversité et complémentarité dans l’offre culturelle…Aujourd’hui avec un puissant maire PJD de  la ville… c’est un déficit de pluralisme dans l’offre culturelle. Elle est devenue quasi inexistante.

Aux difficultés déjà citées, s’est ajoutée une vision étroite de la culture.

Une double sanction a frappé ces centres culturels. Non seulement ce parti ne semble pas trop aimer les arts… par prédisposition initiale… mais il s’en méfie  encore plus car ils peuvent éloigner du parti  les électeurs ouverts et  imperméables au discours populiste.

Soyons clairs.

La culture n’est pas la tasse de thé du PJD.  Depuis 2015, ses 74 élus sur les 147 du Conseil de la ville sont beaucoup plus intéressés pour  « subventionner », « l’action associative socio-culturelle de proximité ». Un intitulé très vague… Avec évidemment un ciblage sur le volet social… qui dérive  toujours vers la « bienfaisance  intéressée et utile ».

Les  associations véritablement engagées dans le culturel sont négligées !!  Au lieu de mobiliser des  fonds  pour un  fonctionnement  correct des équipements culturels… le Conseil de la ville s’est approprié le beau rôle de la « subvention » selon ses propres critères.

Quand certains interlocuteurs ont parlé du dépérissement des complexes culturels, avec le 4e vice-président (PJD) au Conseil de la ville, chargé des affaires culturelles et sportives… il a évoqué le manque de moyens… ce qui est incroyable et surprenant !

Aujourd’hui, la scène, les coulisses, les rideaux et les pendillons de la salle du Théâtre  Mohammed VI (Roches noires) sont dans un état indigne. Les systèmes d’éclairage sont défaillants et les projecteurs détériorés ne sont plus remplacés.  Les fauteuils du CC Moulay Rachid – qui ont été changés sous le mandat de Sajid – sont dans un état lamentable.

La sonorisation de la salle est en panne depuis des mois. Celui qui veut organiser un évènement au théâtre Moulay Rachid doit aller louer une sono…

Les sanitaires de presque… tous les CC sont dans un triste état.

La programmation est devenue erratique et verrouillée. L’esprit d’initiative a été bloqué chez les responsables des CC. L’animation culturelle est un métier et les élus (qui sont spécialistes de tout et de rien !) se sont auto-proclamés gardiens vigilants de la programmation.

Aucun responsable de CC ne peut prendre une décision… ses propositions de programmation sont  passées au peigne-fin…

La programmation doit être « Hadifa et Jadda et conformes aux valeurs » (une formule bateau qui permet toutes les censures !!)  Les activités,  devenues   épisodiques, ne sont autorisées  qu’au compte-goutte par la commission  des « élus locaux en charge de la culture ».

Par contre, l’accueil est chaleureux quand il  s’agit de chants religieux (amdah), concours de psalmodie, conférence ou colloque sur la religion… activités qui certainement doivent avoir leur place… mais pas au prix d’une vision orientée de la culture…

Malheureusement, l’autre volet constitutif de l’âme des Marocains… c’est-à-dire le sens de la fête, de la joie, de la danse, de la  musique, du rythme, de l’humour, du rire… est devenu suspect et douteux !!

Mais les élus ont trouvé encore mieux… une solution plus efficace: assécher à la base les initiative des artistes…

Au  lieu d’opposer des refus,  ils ont contourné la situation… en négligeant l’entretien des CC… les rendant  non opérationnels… pour que plus personne ne dépose de demandes ! L’objectif est presque atteint.

Le milieu artistique et culturel est consterné, voire écœuré. Les CC sont dans un état catastrophique. Le mot est passé. Les acteurs culturels ne déposent même plus de demande.

S/t. Le malentendu du PJD  avec la culture et les arts

Le président  PJD de  l’arrondissement des Roches Noires avait décidé de programmer « unilatéralement »,  le 17 février 2018,  sans respect des procédures légales,   une réunion de soutien et de solidarité  avec l’islamologue Tariq Ramadan,  au Théâtre Mohammed VI de Casablanca.

La presse a rapporté  que l’évènement a été décidé sans information du directeur du théâtre. Ce dernier a déclaré  à la presse qu’il n’était pas au courant… qu’on lui avait enlevé la programmation du théâtre… et qu’il n’est mis au courant de l’activité, que la veille par le conseil d’arrondissement.

L’évènement n’a pas eu lieu… mais on retiendra que les Frères marocains ont essayé de faire un bon usage, selon eux, d’un équipement dédié à la culture et aux arts.

Autre exemple. Lorsque l’Orchestre philharmonique du Maroc veut donner un concert à Casablanca… où les fans de musique classique sont nombreux… il évite de se produire dans les salles de théâtres des CC devenues consternantes. Il préfère  jouer dans des salles de cinéma.

Autre épisode. Lors d’une récente réunion du Conseil la ville de Casablanca, un élu a  certainement voulu tester la galerie… en se demandant pourquoi ne pas transformer l’ancienne église du Sacré Cœur à Casablanca… en « mosquée » ?

Il a pris comme exemple la basilique Sainte Sophie à Istanbul, musée depuis 1934,  et qu’Erdogan a ouvert au culte musulman, le mois dernier. Les élus PJD ont évidemment applaudi l’idée mais en hésitant à lui donner suite.

L’ex église du Sacré Coeur est devenue  un foyer d’activités culturelles et artistiques  dynamiques en plein centre de Casablanca. Mais depuis 2016 elle est en cours  de rénovation pour en faire un centre culturel performant. Les travaux qui devaient être achevés en 2018 traînent toujours… !!??

A propos des Turcs, rappelons que sous le PJD d’Erdogan, il y a eu une forte impulsion de l’industrie cinématographique et de la création audiovisuelle en général. Erdogan a consolidé un secteur pourvoyeur d’emploi  pour les artistes et de recettes pour la Turquie y compris à travers un appel pour le tourisme dans ce pays. Notre PJD qui… associe encore les arts au relâchement des mœurs… est loin de cette vision ouverte.

On se rappelle aussi de cette fameuse réplique d’un leader du de ce parti qui avait dit que « Le cinéma au Maroc est une arme de combat contre son parti !! ».

S/t. La société civile s’interroge: la culture et les arts sont-ils considérés par  le PJD  et le MUR comme un obstacle à la  prédication? 

Un fait a interpelé les observateurs.  Au cours de son 6ème congrès en 2018,  le Mouvement unicité et réforme-MUR (Harakat Al tawhid wa al islah), la matrice idéologique du PJD, avait annoncé qu’il allait se déconnecter de la politique  pour devenir  « un mouvement de prédication et d’actions éducatives et culturelles »…

La question reste toujours posée ! C’est quoi la définition de culture selon le MUR ?  C’est quoi la dimension éducative? Par rapport à quelles valeurs ??

A chaque fois que les élus PJD, ayant la « tutelle » sur les complexes culturels,  sont invités à relâcher le « verrouillage » de la culture… ils répondent furieux que la culture est une prérogative de la commune…Et que personne n’a le droit de s’immiscer dans cette gestion…!! C’est leur domaine réservé, conféré par la loi.

Voilà ce que dit la loi 78-00 du 3 octobre 2002  portant réforme de la charte communale  et « instaurant le système unité de la ville » (article 41) :

« Le conseil communal décide ou contribue à la réalisation, l’entretien et la gestion des équipements socioculturels… notamment… les complexes culturels, bibliothèques communales, musées, théâtres, conservatoires de musique… Il initie toutes actions nécessaires à la promotion des activités culturelles… il encourage et assiste les organisations et les associations à caractère social, culturel et sportif ».

En imposant leur propre conception de la culture, ils ont  dénaturé  la loi… La culture est un besoin auquel doit répondre la commune… mais lorsque le parti  majoritaire est populiste… avec sa définition biaisée de la culture… le dialogue devient  presque impossible.

Certains entretiennent l’idée que la culture, les arts et les équipements culturels sont des obstacles… dans la « mission de sauver les âmes contre la dépravation » !! Et qu’il faut combattre ces « futilités » faites par et pour des dévergondés et des  Motabarijat…

Ils veulent une culture « Hadifa et Jadda »  à connotation religieuse… qui  en fait dissimule un agenda électoral… Ils savent que les gens passionnés par les arts ne feront pas partie de leur bloc électoral…

S/t. La culture et les arts contre la pensée unique

Bien évidemment, l’Etat envoie des signaux très forts pour faire comprendre que la culture et les arts sont des facteurs fondamentaux pour l’épanouissement  humain et devant impérativement  accompagner le développement  socio-économique.

En plus du « Programme Rabat Ville Lumière « … de Bibliothèque Nationale du Royaume… du Musée Mohammed VI… des  théâtres  grandioses,  initiés par l’Etat,  sont en train d’être achevés à Casablanca et Rabat.

Des complexes culturels très modernes sont en train d’être achevés dans des communes gérées par des majorités hors parti islamiste.

La société civile, des acteurs privés et des mécènes ont érigé et animent des centres culturels privés  avec théâtre, conservatoire de musique et de danse, galeries d’art, ateliers de formation, des festivals… pour répondre à la demande des Casablancais et de leurs enfants…

Faire de la culture ouverte et diversifiée aujourd’hui à Casablanca c’est faire de la résistance.

Enfin,  le PJD n’a jamais  détaillé ou expliqué son projet culturel dans ses programmes électoraux…

Il reste évasif avec des formules telles que « Un système de valeurs revisité et consolidé, fondé sur l’Islam et redonnant tout son sens à l’identité marocaine ». Il prône aussi une « une liberté responsable et une créativité citoyenne pour une identité marocaine renouvelée ».

Autant le PJD peut aligner dans ses programmes des chiffres et des estimations précises  pour des secteurs économiques… autant il reste fuyant et évasif concernant son projet  culturel.

Certains proposent que tout parti politique devrait pour les prochaines élections communales expliquer comment il conçoit le fonctionnement et la gestion des complexes culturels des grands centres urbains.  Ils ont coûté des milliards à la collectivité et ne peuvent être sacrifiés…