PROTECTION SOCIALE. LE ROI CRITIQUE « L’ÉPARPILLEMENT DES INTERVENTIONS »

Dans son Discours du Trône, prononcé hier mercredi 29 juillet, le Roi Mohammed VI a réaffirmé la nécessité d’une « prompte refonte du dispositif de protection sociale ». « Lors du Discours du Trône de l’année 2018, J’ai déjà appelé à une prompte refonte du dispositif de protection sociale, qui est encore marqué par un éparpillement des interventions et par un faible taux de couverture et d’efficacité ». 

Le 29 juin 2020, lecollimateur.ma attirait en effet l’attention sur « l’éparpillement des interventions ». Dans un article, signé Chouaib Boussiri, sous le titre « LE MILLEFEUILLE DE LA PROTECTION SOCIALE AU MAROC », nous soulevions la problématique de la multiplicité de tutelles, source de difficultés dans la  coordination entre Primature, Départements des Finances, de l’Emploi, de la Santé,… la Cour des comptes, l’ACAPS, l’ANAM…etc. 

Lecollimateur.ma reproduit cet article dans l’espoir d’aider les acteurs concernés à dégager de la visibilité par rapport à ce chantier social majeur annoncé par le Souverain.  

LE MILLEFEUILLE DE LA PROTECTION SOCIALE AU MAROC

S/t. De la bonne volonté… mais superposition de régimes, multiplicité de tutelles et gouvernance fragmentée ! 

Ces derniers jours, la scène politique et médiatique a connu un vif  débat sur la protection sociale, suite à   “l’oubli” affligeant de déclaration d’employés par deux “patrons” qui sont aussi des ministres !

C’est l’occasion de revenir sur le système de protection sociale au Maroc… et aussi de faire un rappel aux amnésiques… Car en plus d’être une obligation légale, déclarer ses employés à la CNSS – au plus tard 30 jours après l’embauche – est aussi une affaire de conviction et relève du sens des responsabilités.

La protection sociale  et la couverture médicale font partie des droits de l’homme fondamentaux. Ils font aussi l’objet de l’article 31 de la Constitution. Elles sont inscrites dans l’esprit de solidarité qui fonde la cohésion, la paix sociale et l’appartenance à la Nation.

Comme tout pays organisé, le Maroc mène depuis longtemps une politique volontariste à ce niveau mais les résultats souhaités ne sont pas toujours au rendez-vous.  Encore faut-il que les patrons du “secteur privé”  agissent comme l’Administration qui à chaque recrutement déclenche “immédiatement”  la procédure pour l’immatriculation ou l’affiliation du fonctionnaire à tel organisme de protection sociale ou mutuelle.

L’image du “MILLEFEUILLE”… est une métaphore voulue pour attirer l’attention sur  la fragmentation,  la superposition des régimes, des organismes, des caisses,  des tutelles techniques, des organes de contrôle et la multiplicité des intervenants… Le tout semble  atomisé et appelle à une vision et gouvernance unifiées.

Un bref état des lieux.

S/t. Les organismes de protection sociale 

Il s’agit des entités qui assurent des pensions de retraites et un ensemble de prestations comme les allocations familiales…

–  La Caisse Marocaine de Retraite (CMR)  et le Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR)

Ce sont  des caisses de retraite du “secteur public”. Elles fournissent des prestations sociales aux: fonctionnaires, anciens résistants, agents publics et assimilés…Elles  sont financées notamment par des  contributions patronales et salariales… Le nombre des adhérents à ces organismes est près de 800. 000 personnes.

–  La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS)

Caisse de retraite du “secteur privé”. Elle fournit des prestations sociales (pensions de retraite, allocations familiales,  indemnités journalières pour maladie et maternité, indemnités journalières pour perte d’emploi, allocation décès…)  aux salariés des secteurs  de l’industrie,  du commerce et des services… salariés des professions libérales… des coopératives… des  associations… des entreprises artisanales… les employés de maison….  Le régime de Sécurité Sociale obligatoire, institué par le Dahir du 17 juillet 1972, est financé par les cotisations salariales et patronales. Il couvre près de 3. 500. 000 personnes.

–  Le Régime des Travailleurs Indépendants (RTI) 

Ce régime,  institué par la loi n° 99-15 du 5 décembre 2017, n’est  pas encore opérationnel. Il concerne les  “travailleurs non-salariés”: travailleurs indépendants… personnes non-salariées exerçant une activité libérale… artisans, industriels, commerçants…

Il doit permettre aux  travailleurs indépendants de bénéficier notamment  de la “pension de vieillesse”. Il est financé sur la base de cotisation forfaitaire pour chaque catégorie socio professionnelle.  Sa gestion a été confiée à la CNSS  et il concerne 5. 500 000 travailleurs.

 

 S/t. Les organismes en charge de  l’assurance maladie obligatoire (AMO)

L’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) est instituée par la loi 65.00 portant code de la couverture médicale de base. C’est une avancée sociale majeure. Elle garantit l’accès universel aux soins de santé dans le cadre de la solidarité, l’égalité et l’équité  à toute la population. Le principales entités sont:

– La Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale  (CNOPS)

La CNOPS est une union de 9 sociétés mutualistes du secteur public. Elle  gère l’assurance maladie obligatoire du secteur public… et des étudiants. Fonctionnaires, anciens résistants et agents assimilés (collectivités locales, établissements publics)…

–   La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS)

En plus de la protection sociale, la CNSS gère également l’assurance maladie obligatoire pour les salariés et non-salariés immatriculés  au régime de sécurité sociale (secteur privé)

–   Assurances et Mutuelles

D’autres organismes comme les assurances privées gèrent l’AMO des salariés non immatriculés dans les autres régimes.  Notamment les professionnels et travailleurs indépendants et travailleurs non-salariés exerçant une activité libérale.

–   Le Régime d’Assistance Médicale (RAMED)

Le  Régime d’Assistance Médicale (RAMED) couvre les populations démunies ne disposant pas d’assurance santé. Les prestations médicales sont fournies par les hôpitaux relevant de la santé publique. Le Ramed est financé par l’Etat et les collectivités locales.

s/t. Autres intervenants: une Agence de Régulation Technique pour l’assurance maladie (ANAM)  et une Autorité de contrôle (ACAPS)

–   L’Agence Nationale de l’ Assurance Maladie (ANAM)

Cette agence est spécialisée dans  l’assurance maladie Obligatoire.  Elle encadre techniquement  et veille au bon fonctionnement de l’ AMO et du Régime d’Assistance Médicale (RAMED).

Les principales mesures de régulation  assurées par l’ANAM concernent les  protocoles thérapeutiques, la nomenclature des actes médicaux, la  normalisation, l’attribution d’un code d’identification national des  professionnels et établissements de soins (INPE), l’attribution d’un code  d’immatriculation des bénéficiaires de la Couverture Médicale de Base , la liste des médicaments et  dispositifs médicaux remboursables ou encore les conventions nationales, et les  mécanismes du suivi médical coordonné…

–   L’Autorité de contrôle des assurances et de la Prévoyance sociale (ACAPS)

Cette Autorité, créée par  la loi 64-12,  a pour objet de remplacer la Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale (DAPS) relevant du Ministère des Finances.  Elle contrôle le secteur des assurances, des organismes gestionnaires de l’assurance maladie obligatoire, de la retraite et des organismes de droit privé gérant les opérations de retraite.

L’action de l’ACAPS peut être entravée par la composition de son “Conseil de Discipline”  qui comporte parmi ses membres des représentants des secteurs…  soumis eux-mêmes au contrôle de l’Autorité.

C’est un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de 2018 qui a relevé que la représentation des secteurs contrôlés au sein de cette commission est une source de conflits d’intérêt affectant “l’indépendance de jugement et décision, l’efficacité et la crédibilité de l’ACAPS”.

Il en est de même pour sa  “Commission de Régulation”  qui donne des avis consultatifs  juridiques sur le secteur des assurances,   la prévoyance sociale… Elle  comporte dans sa composition   des représentants des secteurs soumis au contrôle de l’Autorité.  Le CESE avait aussi recommandé de réformer la gouvernance de l’ACAPS, pour en renforcer  l’indépendance.

S/t.   La dispersion des tutelles sur les entités de protection sociale et de couverture maladie

–    CMR (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’Administration)

–    RCAR  (Caisse des Dépôts et Gestion CDG et ministère des Finances)

–   CNSS (Ministère du Travail et de l’Insertion professionnelle)

–   CNOPS (Ministère du Travail et de l’Insertion professionnelle)

–   RAMED (Ministère de la Santé et Ministère de l’Intérieur)

–  ANAM (Ministère de la Santé)

–  ACAPS (Chef du gouvernement)

–   DPST  (Ministère du Travail et de l’Insertion professionnelle)

La Direction de la Protection Sociale des Travailleurs relève du ministère du Travail et de l’Insertion professionnelle.  Elle a vocation d’être l’interface de ce  ministère avec les organismes  et les autres Départements concernés. Mais elle n’a pas les moyens pour assurer la coordination et les synergies nécessaires pour ce chantier national d’envergure.

Cette multiplicité de tutelle a généré des difficultés dans la  coordination entre Primature, Départements des Finances, de l’Emploi, de la Santé,… la Cour des comptes, l’ACAPS, l’ANAM…etc.

S/t. Quelques expériences étrangères

Des expériences étrangères montrent  que les pays qui ont généralisé avec succès leur système de protection sociale ont réduit l’émiettement, la multiplicité des intervenants et des tutelles.

Suède: ministère de la Sécurité Sociale… Belgique: Service Public Fédéral Sécurité sociale…Espagne : Secrétariat d’État à la Sécurité sociale et aux Retraites…  Luxembourg : ministère de la Sécurité sociale… France : ministère des Affaires sociales et de la Santé, appelé depuis 2017 ministère des Solidarités et de la Santé…

Ces exemples montrent un modèle de protection sociale piloté et animé et par une structure  gouvernementale forte et spécialisée… dédiée exclusivement à tous les volets de la Sécurité Sociale, dans son sens le plus large.  Une gouvernance qui  transcende les délimitations et frontières non fondées entre régime et secteurs.

S/t. De la nécessite du regroupement et la mutualisation des ressources

La protection sociale et la couverture maladie représentent un projet national porté par l’Etat.  40%  de la population active occupée est couverte. De nombreux observateurs s’accordent à dire  que ce n’est pas seulement une question de moyens ou de ressources qui peuvent être être mobilisées … c’est surtout une question de gouvernance.

Notre système, basé sur une multiplicité de caisses, de régimes, d’agences, direction,…souffre de l’absence d’une structure forte qui mettrait en  cohérence l’ensemble. Le modèle n’est plus efficient.

Une nouvelle politique sociale basée sur la mutualisation des ressources et la péréquation peut  dégager des solutions dans le cadre d’une  vision homogène et unitaire.

Il faudrait aussi évaluer et réexaminer la dichotomie habituelle “secteur public” et “secteur privé” dans le cadre d’une approche unifiée, gérant aussi bien la “protection sociale” que la “couverture médicale”.  Tout  en maintenant bien entendu certaines  particularités dans le cadre de “sous-unités cohérentes” mais inscrites dans le giron d’une structure mère forte.

Le regroupement des ressources  dégagera  des moyens considérables qui permettront aussi de faire aboutir la réforme des retraites  à chaque fois reportée.

La mobilisation des moyens passe aussi par le principe de  “faire adhérer d’office” toutes les entreprises, les professions et les métiers à un système de protection sociale rénové  pour améliorer le taux de couverture sociale.

On pourrait même  se rapprocher des standards internationaux en la matière.

A ce sujet,  le rapport  du Conseil Économique, Social et Environnemental de 2018 a proposé de  “créer de nouvelles branches de sécurité sociale pour couvrir les risques lourds qui ne sont pas toujours couverts tels que les accidents du travail, les maladies professionnelles, la perte d’emploi et le chômage, l’enfance et le 3e âge sans revenus, le handicap”.

(Rapport du CESE,  réalisé en auto saisine en  2018: «La protection sociale au Maroc: Revue, bilan et renforcement des systèmes de sécurité et d’assistance sociales»)

Le constat est unanime chez de nombreux acteurs publics et privés que le modèle de protection sociale marocains appelle à être rénové et rationalisé.

La solution ne passe  plus  par l’ajout de nouvelles structures. Il y a déjà un “encombrement” pour ne pas dire “embouteillage”  à ce niveau.