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Une jeunesse en quête d’horizon…

Par: Rachid Boufous (écrivain et chroniqueur)

Par: Rachid Boufous

À Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech et ailleurs, ces jeunes ont occupé les places, défié l’indifférence et crié haut ce que beaucoup murmurent tout bas : l’urgence d’un avenir qui ne soit pas confisqué. Dans leurs slogans improvisés « liberté », « dignité », « justice sociale », se condensent les frustrations d’une jeunesse éduquée mais marginalisée, connectée au monde mais encore piégée dans des impasses locales.

La réaction des autorités, elle, fut prévisible : dispersions, arrestations, intimidations. Mais si l’intention était d’éteindre l’incendie, le résultat a été inverse. Chaque étudiant interpellé, chaque voix étouffée risque de rallumer l’étincelle d’un mouvement qui se veut pacifique mais irréductible. GenZ212 l’a répété : leur action n’est ni partisane, ni manipulée. Elle est le cri d’une génération qui refuse d’être réduite au silence ou récupérée par des agendas politiques qui ne sont pas les siens.

Le mouvement ayant appelé à ces manifestations, est apparu de manière fulgurante ces derniers jours, incarnant la contestation d’une jeunesse marocaine décidée à rompre avec le silence. En l’espace de 48 heures, des manifestations coordonnées ont eu lieu dans plusieurs grandes villes (Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech…), rassemblant des milliers de jeunes.

À travers des revendications centrées sur l’éducation, la santé, la justice sociale et la dignité, le collectif s’est positionné comme le porte-voix d’une génération frustrée par la stagnation institutionnelle. Il revendique son indépendance des partis et mouvements traditionnels, ce qui renforce son image de spontanéité et d’authenticité.

GenZ212 est plus qu’un cri de colère : c’est le signal d’un basculement générationnel.

Ces jeunes n’acceptent plus d’attendre. Ils veulent une éducation qui forme, une économie qui embauche, une démocratie qui écoute. Ils refusent de se voir relégués dans la marge, eux qui portent pourtant l’avenir numérique, créatif et ouvert du Maroc.

Depuis six décennies, les mouvements de jeunesse au Maroc sont à la fois thermomètre et moteur de la contestation sociale. En mars 1965, les lycéens de Casablanca, révoltés contre une décision limitant l’accès à l’université, descendaient dans la rue. Derrière la revendication immédiate, c’était déjà le droit à l’éducation et à l’avenir qui s’exprimait. La répression brutale marqua les mémoires et inaugura une histoire où la jeunesse allait incarner, régulièrement, le refus du silence.

Les années 1980 prolongent cette séquence avec les émeutes de 1981 et 1984, dites « du pain ». La hausse des prix et les ajustements structurels imposés par le FMI précipitent les étudiants, les jeunes chômeurs et des familles entières dans la rue. Le cœur de la colère est social : emploi, dignité, justice. La répression est à nouveau au rendez-vous, mais ces soulèvements donnent à voir une jeunesse qui ne veut pas seulement d’une instruction, mais d’un horizon.

Dans les années 1990, alors que le pays vit encore sous tension politique, les mobilisations étudiantes et lycéennes persistent. Elles dénoncent la précarité et un chômage endémique, en particulier chez les diplômés. Malgré une fermeture institutionnelle, la rue reste l’unique lieu où s’exprime la frustration.

Le tournant des années 2000 élargit le spectre. Internet, les ONG et une relative ouverture médiatique permettent aux jeunes de se saisir de thèmes nouveaux : droits humains, lutte contre la corruption, transparence. En 2011, le Mouvement du 20 février, largement porté par des jeunes urbains connectés, marque l’apogée de cette évolution. Les slogans réclament démocratie et réformes profondes. La Constitution révisée qui en découle ouvre des perspectives, mais la mise en œuvre partielle nourrit vite une nouvelle désillusion.

À partir de 2016, ce sont les territoires marginalisés qui prennent le relais. Dans le Rif, à Jerada, à Zagora, la jeunesse porte les revendications de régions oubliées : emploi, hôpitaux, infrastructures. Smartphones à la main, elle filme, diffuse, met en scène son exclusion. La périphérie devient visible au cœur du débat national, mais au prix d’arrestations et de procès.

En 2025, GenZ212 surgit dans ce sillage, mais avec des traits propres. Ce collectif sans chefs identifiés, organisé via Discord, TikTok et Instagram, a mobilisé en quelques heures des milliers de jeunes dans une dizaine de villes. Ses mots d’ordre sont clairs : éducation, santé, emploi, dignité. Ce sont les mêmes revendications que leurs aînés, mais formulées autrement. Cette génération née après 2000 compare en direct ses conditions à celles d’ailleurs, interpelle les choix budgétaires de l’État, refuse d’être encadrée par des partis ou des syndicats. Sa contestation est horizontale, fluide, insaisissable.

La comparaison avec les jeunesses précédentes est frappante. Dans les années 1960 à 2011, les étudiants et les jeunes chômeurs passaient encore par les structures traditionnelles : syndicats, associations, partis, qui servaient de relais, même imparfaits. Aujourd’hui, GenZ212 ne croit plus en ces médiations. Sa force est sa viralité numérique, sa rapidité, son indépendance. Sa faiblesse est peut-être la même : un manque de structuration qui rend difficile la formulation de propositions concrètes.

Mais l’essentiel est ailleurs. L’histoire longue des mouvements de jeunesse au Maroc montre la permanence de certaines aspirations : le droit à l’éducation, l’exigence de justice sociale, la quête de dignité et de gouvernance équitable. Ce qui change, en 2025, c’est la méthode et le ton. Là où les générations précédentes demandaient à être entendues demain, GenZ212 exige des résultats aujourd’hui. Elle ne quémande pas une place ; elle affirme qu’elle est déjà le présent.

La Génération Z marocaine n’est pas une abstraction sociologique : elle est là, visible, tangible, vibrante. Elle bouscule par ses méthodes horizontales, ses réseaux sociaux, ses appels viraux qui échappent aux circuits classiques de mobilisation. Elle inquiète parce qu’elle est insaisissable, mais elle fascine parce qu’elle incarne le futur.

À ceux qui persistent à la regarder de haut, un avertissement : ce mouvement n’est pas une bulle passagère. Il est l’expression d’un changement d’époque.

Le mouvement GenZ212 incarne cette volonté de réinventer l’espace civique : sans chef unique, sans idéologie figée, il repose sur une organisation horizontale qui défie les logiques classiques de contrôle et de récupération. Cette forme fluide de mobilisation rend son étouffement illusoire.

La jeunesse marocaine ne quémande plus, elle exige. Elle ne se résigne plus, elle s’affirme. Et son cri, porté durant ces deux jours intenses, résonne déjà bien au-delà des rues qu’elle a parcourues.

Le Maroc a su, dans son histoire récente, faire preuve de réformes audacieuses quand la situation l’exigeait. Aujourd’hui, l’urgence n’est plus seulement économique ou sociale : elle est générationnelle.

Un pays qui ignore sa jeunesse s’affaiblit. Un pays qui la reconnaît, au contraire, se réinvente. La Génération Z ne retournera pas dans l’ombre, mais elle peut devenir, si on lui en donne la place, le moteur du Maroc de demain.

Ce que disent ces 48 heures, en filigrane, c’est que le Maroc est à la croisée des chemins. Soit il choisit d’écouter, de dialoguer, de transformer cette énergie en force constructive ; soit il s’entête à la contenir, au risque de voir la fracture générationnelle s’élargir. Depuis 1965, les slogans changent, mais le message reste le même, car sans sa jeunesse, le Maroc n’a pas d’avenir.

Cette jeunesse ne demande pas la lune : elle réclame un horizon…

 

 

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