Chama Zaz, cette diva de la ‘’Aita Al Jabalia’’, dont la voix est née à travers les récifs et les champs où résonne l’écho infini des montagnes, lutte aujourd’hui contre la maladie et l’indigence, trahie par la faiblesse du corps et l’ingratitude, malgré une générosité artistique incommensurable.
Du haut de ses 70 ans, son patrimoine est réduit à cet amour où elle puise sa force pour surmonter l’épreuve de l’indigence, sans que cela ne dispense certains, personnes ou instances, d’un sentiment de culpabilité à l’égard d’une situation sociale et matérielle indigne d’une artiste de la valeur de Chama Zaz.
Dans une chambre froide de l’hôpital de Taounate, Chama écoute les battements de son cœur qui menace de la lâcher. Ses yeux qui illuminaient son monde ont perdu de leur éclat. A quoi servent les regrets! Ils deviennent inutiles après une si longue vie dans l’univers des mélodies.
Chez Chama, la porte de l’espoir reste ouverte, elle qui a toujours gardé le sourire malgré les épreuves qu’elle a traversées. Cette vieille dame qui porte en elle une âme de jeune fille, n’a jamais pris conscience de la singularité de sa voix avant que les fins connaisseurs ne l’emmènent à la découverte des théâtres et aux fêtes de mariage à travers le Royaume.
Chama qui est restée longtemps fidèle à son douar natal « Rouf » dans la commune de Sidi Lmakhfi, va devoir le quitter vers Taounate, n’étant plus capable de sillonner ses pistes accidentées, de s’occuper de sa vache ou de prendre en charge son fils handicapé.
L’histoire de Chama Zaz est celle d’une jeune fille de 14 ans ayant été mariée contre son gré à un vieil homme, qui va décéder ultérieurement l’abandonnant avec ses deux enfants à charge. Elle a été contrainte d’endosser à la fois le rôle de la mère et du père, avant qu’elle ne les confie à sa mère pour participer à la Marche Verte, où elle a vu sa vocation d’artiste jaillir dans les soirées nocturnes, organisées à cette occasion sur le sable du Sahara Marocain.
Son histoire est également celle d’une femme qui a vécu sa vie d’artiste sous un pseudonyme pour épargner à sa famille le fardeau de « la honte ». N’était-elle pas ‘’la star du Nord’’ dont les chansons et les cassettes ont fait le tour des marchés, des foyers et des fêtes sans pouvoir célébrer publiquement son succès? Et même quand le secret était devenu trop lourd, Chama a été contrainte de continuer à cacher le nom de la famille « El Hammoumi » pour porter le nom artistique de Zaz, lequel va lui permettre de savourer l’aventure de la vie.
Naïve, Chama Zaz a vécu son art sans marchandage ni chantage. « Allah Yakhlaf » (Dieu vous le rendra), c’est ainsi que Chama répond quand elle perçoit « les miettes » en guise d’émoluments pour ses soirées, alors qu’elle pouvait devenir grâce à son art une femme des plus aisées.
La dame d' »Aayoua », ce chant improvisé des femmes de la montagne que Chama a perfectionnée par sa voix aiguë et mélancolique, a les larmes faciles à l’évocation du nom de feu Mohamed Laarousi, le cheikh d’Al Aita Al Jabalia, son compagnon de route qui l’a aidée à s’imposer 40 ans durant. Depuis son décès, Chama, rongée par la solitude, a perdu de son amour pour le chant, mais le besoin de survivre l’emmenait, de moment à l’autre, à des festivals et des soirées çà et là.
A son insu, Chama au corps squelettique, a forgé à la télévision un modèle visuel de la femme de la montage par ses habits, son chapeau traditionnel (Taraza) et son foulard.
Alors que certains se retrouvent par chance parmi les riches et les stars du Buzz, à une époque où l’art semble avoir perdu sa boussole, la cinquantaine de disques de Chama ne l’a pas mis à l’abri du besoin. Rien ne pourrait lui restituer la joie d’un temps révolu, mais une attention collective, officielle et citoyenne, égayerait un tant soit peu le restant de ses jours.