AFFAIRE MUSTAPHA RAMID: QUAND LE RIDICULE LE DISPUTE À L’EXTRAVAGANCE

Il est évident que la loi est faite pour protéger les citoyens. Les humbles comme les puissants, les hommes comme les femmes, les petits comme les grands. Son respect s’impose à tous et à toutes. Il n’est pas un choix facultatif ou contraignant pour une catégorie de la population et pas une autre. Il est une obligation incontournable quel que soit le motif que l’on puisse invoquer. La possibilité d’aliéner son droit  ne saurait se concevoir qu’après que ce droit ait été établi dans la réalité et à la condition que ce choix ne puisse porter préjudice à soi-même ou à autrui. Chacun a le droit de disposer de sa personne et de ses biens comme il l’entend. Cependant, pas de façon contraire à la loi et aux règles qui se basent sur la raison. Le suicide est interdit et la dilapidation de son patrimoine par un prodigue entraîne ipso facto sa mise sous tutelle pour insanité mentale. Tout individu tenu par une obligation légale de faire bénéficier d’un droit moral ou matériel un autre individu en vertu des pouvoirs dont il est investi, doit honorer cette obligation en lui accordant ce qui lui est dû, quitte à se passer de son acceptation de ce droit. Libre à celui-ci de faire ce qui lui semble bon usage de ce droit obtenu dans son principe. Un employeur ne peut justifier son manquement à son devoir de déclarer ses employés aux organismes prestataires de droits sociaux, en arguant du refus réel ou supposé de ces derniers d’en bénéficier.

Si par un hasard malheureux — très fréquent au Maroc— un employeur indélicat s’arroge la possibilité de se situer au-dessus de la loi par l’illusion que lui donne son rang social, sa fonction, sa profession, son obédience politique ou religieuse, sa proximité d’une quelconque source de pouvoir temporel ou religieux, il est évident que la raison nous dicte spontanément et automatiquement d’avoir recours à l’assistance d’un avocat pour se faire justice contre le potentat usurpateur de nos droits. Et quel bonheur — et honneur aussi— si cet homme de loi, ce défenseur du droit est en sus auréolé d’autres qualités politiques et religieuses. Quel capital de confiance doit nous inspirer un tel archétype du bon avocat !

Malheureusement des fois, ce genre de rêves délicieux ne durent que le temps de les faire. La réalité rattrape toujours les idéalistes. Au Maroc, dit-on, on ne devrait s’étonner de rien. Voilà un aphorisme qui ne se dément pas souvent dans notre pays. Certains événements politiques et sociaux qui défient la raison nous en donnent une illustration parfaite.

La dernière en date qui agite la sphère politico-sociale est cette histoire digne du burlesque qui met en scène l’actuel  ministre d’Etat chargé des droits de l’homme et ancien  ministre de la justice dans le gouvernement à dominance PJD. Cet ancien ténor du barreau casablancais, membre distingué de l’élite du parti de la justice et du développement en charge de la gestion du pays depuis 2011, tente impudemment de nous abuser en exhibant à la face de tout le pays de façon insultante pour notre intelligence, une déclaration écrite du père de son ancienne secrétaire feue Jamila Bichr décédée, paraît-il dans des conditions matérielles difficiles.

Monsieur Mustapha RAMID, puisqu’il s’agit de lui, du temps où il endossait encore la robe d’avocat, avait employé la défunte pendant trente deux ans sans avoir le souci de respecter la loi lui imposant de la déclarer aux organismes sociaux chargés de la protection sociale des travailleurs. Pour se défendre dans cette affaire qui éclate avec scandale, M. Ramid,  notre ministre d’Etat chargé des droits de l’homme, a eu recours au subterfuge sordide de faire témoigner, par écrit, le père de la défunte qui le disculpe et le dédouane de toute responsabilité dans l’affaire en faisant endosser toute la responsabilité à sa fille défunte. 

Celle-ci, selon ce document qui soulève beaucoup de doute, notamment en ce qui concerne son timing, aurait de son vivant obstinément refusé de se laisser faire déclarer aux caisses d’assurance maladie et de retraite. Ainsi, elle aurait préféré la déchéance matérielle à son droit à une protection sociale même relative.

Mieux encore, le mis en cause essaie de prendre l’opinion publique marocaine par les sentiments. Il est dit dans ledit document que M. Ramid eut l’immense bonté de lui verser une somme d’argent d’environ 230 000 dirhams et pris en charge ses frais médicaux à hauteur de 67 000 dirhams. Quoiqu’on puisse penser de ces actes, cela n’enlève rien à sa responsabilité et sa culpabilité aux yeux de la loi. La générosité est une chose et le respect de la loi est une autre. Les confondre, c’est donner l’aval voire la bénédiction aux délinquants généreux. Dans une société juste et démocratique, l’émotion ne doit pas l’emporter sur la raison dans les relations qui s’établissent entre ses membres.

Au-delà de l’individualité de l’affaire, c’est l’ensemble du pays qui porte les stigmates d’un abus de confiance de la part d’un ministre — un symbole — tout plein de lui-même issu d’une formation politico-religieuse fanfaronne qui prétend sur tous les tons défendre la justice et développer les intérêts des humbles en priorité. Distinguer le ministre actuel de l’ancien avocat employeur, reviendrait à restreindre l’affaire dans les limites d’une pratique délinquante en somme toute banale dans un pays où le respect de la loi ne s’impose de manière rigoureuse que pour le citoyen lambda. Un médecin, un avocat ou tout autre membre des professions libérales, véreux sont légion au Maroc. Mais un ministre, se voulant chantre de la légalité et de la justice en qui les populations déshéritées ont placé toute leur confiance, qui s’avère s’être rendu coupable d’un acte condamnable, cela relève du mépris de tout un peuple. Il s’agit d’un acte d’une gravité telle que ne peut réparer qu’un geste de contrition consistant en une double action : un aveu public de la faute commise et une démission immédiate de toutes les fonctions officielles qu’il occupe.

Au lieu de choisir l’issue logique que dicte la sagesse et le courage d’assumer ses responsabilités, M. Ramid a préféré ruser maladroitement pour radouber le délit qu’il reconnaît de toute évidence. Il s’est servi d’un père qui serait aux abois pour le faire faire endosser à sa fille défunte, celle même qui a subi le tort d’avoir été privée de ses droits, la responsabilité de ce tort par son improbable refus de bénéficier de ses droits sociaux. Le ridicule le dispute à l’extravagance. Oh sacrilège ! Même morte sa mémoire subit l’offense. On s’acoquine, — au moyen de quel prix ? — avec le père pour ressusciter sa volonté, même lorsque la mort lui a tout pris en lui prenant la vie. On fait avouer aux morts leur culpabilité pour tenter vainement d’innocenter les coupables.

Et c’est une administration locale et probablement un ou plusieurs de ses employés qui ont été, un jour de repos hebdomadaire, mise au service de M. le ministre pour officialiser son subterfuge.

Seigneur ! Est-ce Ta fatalité irrécusable que nous les Marocains soyons gouvernés par des responsables politiques dont le dedans contraste irrémédiablement avec leurs dehors ?