Le rebond de la relation maroco-française et ses implications africaines – Le décryptage de Youssef Chiheb, Docteur, Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne

Par Youssef Chiheb*

Le président français Emmanuel Macron vient d’effectuer une visite d’Etat de trois jours au Maroc pour consolider les échanges et les correspondances qu’il a eus avec SM le Roi Mohammed VI au mois de juillet dernier. Et tout le monde a été attentif au discours prononcé par le chef de l’Etat français devant le parlement marocain consolidant la vision que la France a du Maroc.

Il faut noter que, pendant ce discours qui a duré 43 minutes, trois à quatre minutes ont été décisives. Quatre points clefs sont à retenir de ce discours où M. Macron a déroulé une véritable feuille de route: un, la France reconnaît explicitement la souveraineté du Maroc sur ses provinces du sud ; deux, la France reconnaît l’autonomie sous souveraineté marocaine comme étant l’unique solution pour plier ce conflit qui n’a que trop duré ; trois, la France, – et c’est très important -, va accompagner, politiquement et diplomatiquement, le Maroc auprès des instances internationales, à commencer par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies et l’Union européenne, – La France devenant de facto le plaidoyeur incontestable et incontesté pour faire valoir la marocanité du Sahara ; quatre, le déploiement des entreprises françaises dans les provinces du sud pour leur développement.

Il faut aussi noter aussi que, dans les éléments de langage qui ont été utilisés dans son discours devant les deux chambres du parlement marocain, le président français  n’a pas utilisé ni l’expression « peuple du Sahara occidental», ni le «territoire disputé», ni l’Algérie. La France s’apprête au demeurant à mettre à la disposition du Maroc 2,5 millions d’archives qui attestent la réalité historique de la marocanité du Sahara occultée par la guerre froide, Le tribunal de La Haye et les soubresauts des Nations unies.

Bref, le Maroc peut aujourd’hui dire que la question est définitivement réglée. Dans les relations internationales, quand deux pays, en l’occurrence les Etats-Unis et la France, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ont ouvertement et clairement reconnu la marocanité du Sahara, que le projet de reconnaissance est aussi dans les tuyaux au Royaume-Uni, la Russie et la Chine ayant également commencé à prendre de la distance par rapport à leur allié classique l’Algérie, qui n’a rien proposé, pire, poursuit sur la trajectoire de l’escalade, alors que le Maroc a proposé des solutions au profit de la paix, de la stabilité, et de la sécurité pour toute la région… il est clair que le conflit régional créé autour du Sahara marocain touche à sa fin.

Entre le Maroc et l’Algérie, la France n’a plus l’embarras du choix

Le président Macron était conscient que, lors de son premier mandat, il avait amorcé un virage à 180 degrés pour se rapprocher de l’Algérie, aplanir et tourner la page douloureuse de la guerre en Algérie, accusée ouvertement de vouloir faire de la question mémorielle un fonds de commerce. M. Macron, après la dissolution du Parlement, a constaté aussi que la France politiquement parlant se droitisait et que la droite française était toujours favorable au Maroc comme étant l’allié de toujours alors que l’Algérie est volatile dans ses positions, exerce des chantages systémiques concernant la mémoire moyennant sa position forte de fournisseur de pétrole et de gaz depuis le conflit en Ukraine (février 2022). Mais sur le plan purement géopolitique, la France et le Maroc ont compris que chacun tout seul ne pourrait pas peser compte tenu de l’arrivée en Afrique des Chinois, des Russes, des Turcs, de l’Inde, entre autres puissances. Par ailleurs, la France a connu des revers significatifs après les coups d’Etat militaires au Burkina Faso, au Mali, au Niger et dans d’autres pays qui ont commencé à sortir la rhétorique anticoloniale. En revanche, la France et le Maroc ont réalisé que leur dénominateur commun se situait au niveau économique et sécuritaire.

Au niveau économique, les deux pays ont pris conscience que, en binôme, ils peuvent maintenir et stabiliser leur zone d’influence et, de ce fait, sécuriser et préserver leurs intérêts. Au niveau sécuritaire, la France et le Maroc ne peuvent rester indifférents aux profondes mutations mutations géopolitique que connaît la région: déflagration sécuritaire au Sahel, prolifération des mouvements jihadistes et terroristes, flambée du crime organisé, montée des flux migratoires, le risque de déclenchement d’un conflit armé entre le Mali et l’Algérie… Ils ont donc opté pour une coopération plus consolidée qui va leur permettre de stabiliser leur zone d’influence. Le Maroc se trouve sur la zone de transit des flux migratoires et doit faire face au risque d’infiltration d’éléments jihadistes. Et la France, dans la nouvelle vision de sa politique migratoire, veut mettre un terme à ces flux. Or, l’un des pays clefs qui peut réguler ces flux, c’est le Maroc. La France doit donc renforcer sa coopération migratoire avec le Maroc dans un esprit d’efficacité et de pragmatisme.

Au-delà de tout cela, le différend qui était né entre le président Macron et SM le Roi Mohammed VI il y a deux ou trois ans, chacun en a tiré les conclusions en apportant une plus-value pour le rapprochement et le renforcement des relations bilatérales. La preuve en est la Déclaration citée plus haut.

Au-delà, se dessine une guerre géopolitique sur le hub du Sahara marocain qui est la jonction directe entre le continent africain et le continent européen. Le Maroc a des projets ambitieux, l’Initiative de Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour favoriser l’accès des pays du Sahel à l’Atlantique, à travers le futur port Dakhla Atlantique. La France a compris qu’il vaut mieux être dedans que dehors. Et donc les choses s’accélèrent au mieux des intérêts des deux pays et pour la refondation d’une relation basée sur le respect réciproque.

La France a bel et bien compris que le Maroc est incontournable si elle veut garder un pied en Afrique.

*Docteur, Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne.