Muhammad Abed Al-Jabri: «Nous devons éliminer, dans notre manière de comprendre la tradition, les résidus de la tradition déposés en nous».

Par Chakib HALLAK*

A l’heure où le monde connaît une évolution rapide et où les nations et les pays se lancent dans une course au progrès, nous constatons que les pays du monde arabe et islamique ne parviennent pas à suivre le rythme de cette évolution et à entrer dans la phase du progrès. Cette question a suscité l’intérêt d’un certain nombre d’écrivains, de penseurs et de chercheurs arabes et non arabes pour rechercher les causes de cet abominable retard et de la stagnation culturelle et civilisationnelle des Arabes.

Si la raison est la chose la plus juste partagée entre les hommes, comme le disait Descartes, l’un des plus importants professeurs de philosophie, le penseur marocain Muhammad Abed Al-Jabri, en a fait un point d’entrée pour comprendre ce phénomène déroutant, puisqu’il a pu découvrir les raisons du manque de succès des tentatives répétées des projets de renaissance arabe, alors que la plupart des tentatives se sont concentrées sur une ou plusieurs des composantes de la culture arabe qu’il s’agisse des fondements philosophiques, des doctrines religieuses ou des courants politiques, Al-Jabri a atteint la racine fondamentale et la véritable raison de l’échec de ces tentatives et de l’état de retard persistant parmi les Arabes, dans son projet culturel global sur la « Critique de la raison arabe » avec ses trois parties, la formation de la raison arabe, la structure de la raison arabe et la raison politique arabe.

Cette étude sur la raison arabe fut le point culminant de son projet critique, qui s’acheva avec son dernier ouvrage, «Introduction au Coran», qui constitue une distillation de sa pensée, une généralisation et un approfondissement de ses conclusions. Il convient de souligner que le jour où Al-Jabri reçut la nouvelle de sa publication, il s’exclama du fond du cœur : « Maintenant, Azraël (l’ange de la mort) peut nous rendre visite ». Cette réalisation était pour lui l’accomplissement de ce qu’il voulait dire.

L’objectif de cet article n’est pas de traiter du projet d’Al-Jabri qui a fait l’objet de centaines d’études, de travaux de recherche, de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat dans différentes universités du monde entier, mais plutôt de résumer sa démarche intellectuelle, qui a fait de lui l’initiateur de trois nouveaux concepts importants, dont l’influence a été déterminante dans le cours de l’évolution de la pensée arabe :

«La compréhension des ordres cognitifs qui régissent la pensée arabo-islamique, celle de la résurgence de la pensée rationnelle en Andalousie et l’idée que l’évolution de la pensée dans l’histoire du monde arabo-musulman a été fortement marquée et perturbée par le poids du politique » (Sadek Hadjeres, « Introduction à la critique de la raison arabe » In Le monde diplomatique, février 1995).

Pourquoi la raison arabe et non la raison islamique ?

Entre l’arabe et l’islam, entre la langue et la religion, il existe depuis toujours un lien étroit, comme le montre l’histoire de la culture arabe. Le Coran lui-même est un texte arabe et la culture arabe est essentiellement une culture islamique, mais Al-Jabri a choisi de séparer ces deux entités et de travailler sur la raison arabe et non sur la raison islamique pour deux raisons :

– Premièrement, la raison islamique englobe tout ce qui a été écrit par des musulmans en arabe ou dans d’autres langues, comme le persan. Son ignorance de la culture et de la langue persanes constitue un obstacle qui justifie ce choix.

– La deuxième raison est que l’expression « critique de la raison islamique » ne peut pas être vidée de son contenu théologique.
Il s’agit donc pour Al-Jabri d’une critique épistémologique et non d’une relance d’une nouvelle théologie dialectique (kâlam), d’une critique des moyens de connaissance et non de la doctrine et de ses courants.

Les trois systèmes cognitifs de la raison arabe.

Al-Jabri définit la raison arabe comme «l’ensemble des principes et des règles à l’origine de la connaissance dans la culture arabe». Il explique que cette raison arabe s’est formée à « l’ère de la codification » (asr al tadwîn) depuis la fin de l’État Omeyyade et que ses premières bases définitives et durables ont donc été posées à cette époque. Al-Jabri examine ensuite comment cet esprit intellectuel s’est sclérosé et figé après une brève période de prospérité durant laquelle la culture arabo-islamique a donné un nouvel élan à la pensée grecque. Enfin, il attribue les causes et les aspects de cette stagnation aux trois systèmes cognitifs de la raison arabe, qui peuvent être résumés comme suit :

1) «Al  Bayân » (L’Indication):

«L’Indication représente la structure majeure dans la raison arabe. C’est le Texte qui est à la fois l’objet et le régulateur de l’exercice de la raison indicationnelle. Ce champ cognitif s’est structuré au travers des sciences arabo-islamiques autochtones discursives: la grammaire (nahw), la science de la Loi (fiqh), la théologie dialectique (kalâm) et la rhétorique (balâgha). La raison   conçoit des règles pour l’interprétation du Texte révélé et puise le sens des lois sociales, naturelles, logiques, ontologiques, etc., dans le Texte. Toute vérité puise sa justification dans le Texte, plutôt que dans la raison. La raison elle-même s’aligne sur la logique du Texte et se forme selon les fluidités ou les rigidités qu’il offre. La connaissance dans ce champ consiste donc à faire reposer l’«inconnu» (far’, ghâ’ib) sur le «connu» (asl, shâhid). D’où la pratique de l’analogie, qui se contente d’une affinité entre l’objet connu et l’objet à connaître, et ne peut donc produire que des jugements conjecturaux» (Présentation d’Ahmed Mahfoud et Marc Geoffroy, préface à Muhammad Abed Al-Jabri, Introduction à la critique de la raison arabe. Éditions La Découverte, 1994, pp.12-13).

Al-Jabri fait d’abord remarquer que la pratique de l’analogie (al-qiyas) par les grammairiens, juristes et théologiens a fini, dans les derniers stades de son développement, « par faire boule de neige et s’ancrer en tant que mode de penser et en tant que principe d’activité de la structure de la raison arabe». Sur le plan politique, certaines utilisations de l’analogie ont servis et servent encore pour limiter les libertés des citoyens. L’analogie célèbre «le souverain est au peuple ce que le berger est à son troupeau», tiré à partir du hadīth: «Chacun d’entre vous est un berger et chacun d’entre vous sera interrogé concernant son troupeau. Le dirigeant est un berger, l’homme est un berger pour les gens de sa maison, la femme est une bergère pour la maison de son époux et pour ses enfants. Ainsi chacun d’entre vous est un berger et chacun d’entre vous sera interrogé concernant son troupeau» suggère que le souverain peut disposer de son peuple comme peut le faire le berger avec ses moutons. On peut aisément deviner les conséquences néfastes d’une telle déduction s’employant à l’application erronée de l’analogie.( El Mossadek El Hassan: Al-Jabri, De la critique de la pensée arabe et la raison politique en islam, pp.35-36).

De cette constatation découle la mise en garde pressante d’Al-Jabri contre l’utilisation du raisonnement par analogie. Il explique avec force que cette pratique irréfléchie de l’analogie est devenue l’élément immuable (la constante) qui organise les mouvements au sein de la structure de la raison arabe.Cet élément fige le temps, suspend l’évolution et crée une présence permanente du passé dans le jeu de la pensée et des sentiments, fournissant au présent des solutions toutes faites.

Pour Al-Jabri, l’analogie est un type de raisonnement révolu, qui a fini par contaminer tous les courants de pensée arabe moderne: «qu’il soit libéral, religieux ou de gauche, chacun se réfère à un « connu » sur lequel il reportera le cas « inconnu »» (p.41).

C’est la raison pour laquelle Al-Jabri appelle à une rupture épistémologique décisive avec cette structure de la raison arabe, tout en soulignant qu’il ne s’agit pas d’une rupture avec la tradition au sens habituel du terme, mais plutôt avec un genre de relation entretenu avec la tradition:

«Nous devons, dit-il, éliminer, dans notre manière de comprendre la tradition, les résidus de la tradition déposés en nous, et notamment cette analogie grammatico-juridico-théologique pratiquée de manière irréfléchie et non scientifique»( Al-Jabri, Introduction à la critique de la raison arabe, p.49).

2) «Al ‘Irfân» (L’Illumination):

En tant qu’ordre concurrent – et plus tard allié – à l’« indication », l’« illumination », dont la structure mère est la théosophie hermétique, voit le jour. L’illumination structure la production intellectuelle des courants soufis,  shî’ites, bâtinistes, etc.

«La saisie de la Vérité n’a pas lieu au moyen des règles philologiques ou juridiques, mais dans l’«intérieur» de l’homme.La culture étant marquée par l’Indication, l’illuminationniste se penchera sur le Texte, mais pour y reconnaître des «sens cachés», reflets des vérités déposées dans son être, lequel doit s’anéantir au monde pour rejoindre son origine. De même que le sens apparent (zâhir) n’est que le voile du sens caché (bâtin), la raison n’est que le voile du «cœur», seul dépositaire de la connaissance.» (Ahmed Mahfoud et Marc Geoffroy, préface à Muhammad Abed Al-Jabri, Introduction à la critique de la raison arabe, p.13).

3) «Al Burhân» (La Démonstration).

«Le troisième ordre cognitif dans la raison arabe est la «Démonstration». L’activité démonstrationnelle suit les traces de la logique aristotélicienne et son dispositif conceptuel. La Démonstration utilise comme mode de raisonnement principal le syllogisme.Celui-ci part de prémisses absolument vraies conduisant à une conclusion absolument vraie. La véracité de la conclusion est garantie par la rigueur de la dérivation dans laquelle le «moyen terme», commun aux deux prémisses, assure la nécessité et la fécondité du raisonnement.Historiquement, la pensée de type démonstrationnelle a connu deux moments nettement distincts dans la pensée arabo-islamique. Le premier moment, c’est celui de la découverte d’Aristote en Orient au IXème siècle.Ce moment a culminé avec l’apport des philosophes Fârâbi et Ibn Sînâ (Avicenne). La Démonstration telle que l’utilisèrent ces philosophes s’est entremêlée avec les deux autres ordres cognitifs, l’Indication et l’Illumination, pour aboutir à un syncrétisme des trois ordres- reflété dans l’œuvre de Ghazâli- dans lequel la Démonstration fut la grande perdante.» (Ibid, p.14)

En présentant ces trois systèmes cognitifs de la raison arabe qui se recoupent, Al-Jabri souligne le rôle du facteur politique qui favorise une « raison » par rapport à une autre et qui réprime une « raison » pour en élever une autre, c’est-à-dire la raison contre la raison, pour des intérêts égoïstes et bornés.

Les trois déterminants de la raison politique arabe.

Al-Jabri a divisé les systèmes de connaissance de la culture arabe – théoriquement – en trois : Mais lorsqu’il a constaté que la raison politique était avant tout pratique plutôt que théorique, il a été contraint d’examiner non pas les « systèmes » mais les «déterminants» qui définissaient cette raison, et il en a trouvé également trois, qui étaient au centre de la pratique politique:

1) Al-Qabīla (La Tribu):

Al-Jabri précise: «par «Tribu» (qabīla), nous entendons le rôle qu’il faut attribuer à ce que les anthropologues occidentaux nomment «la parenté» dans leurs études des sociétés «primitives» et précapitalistes, ce qui correspond en gros à ce qu’Ibn khaldûn nommait ‘assabiyya (solidarité tribale), quand il évoquait « les natures de la sociabilité: les lis de vie en société, de la vie sociale» dans l’expérience arabo-islamique».( La raison politique en islam, Paris, 2007, La Découverte, p: 31.)

Actuellement, l’esprit du tribalisme prend des relais d’appartenance à un clan, à une ville, à un quartier, à une communauté, à un parti ou à une secte.Il conditionne «l’inconscient politique» de ses adhérents.

2) Al-Ghanīma (Le Butin):

Cette taxation désigne le prélèvement de l’État quel que soit la religion de celui qui est obligé de la payer. Ā ce propos, pour rendre compte de la distribution des richesses, Al-Jabri en privilégie une constante dans ce système d’impôt, soit comme une capitation payée par obligation par les dhimmis ou une dîme payée par les musulmans. «C’est ce que nous appellerions aujourd’hui une économie rentière. L’État qu’elle faisait vivre était donc un État rentier ». (Ibid, p.142)

3) Al-‘Aqīda (Le Dogme):

Le dogme ne désigne pas un contenu spécifique sous la forme d’une religion ou d’une idéologie, mais plutôt un effet au niveau de la croyance, c’est-à-dire la logique qui fait avancer le groupe non pas sur des bases cognitives, mais sur des symboles qui établissent la foi et la croyance. Al-Jabri précise: « par ce mot, nous n’entendons pas précisément une religion révélée ni une idéologie positive, mais plutôt l’effet que l’une ou l’autre peuvent avoir sur le plan de la croyance et de l’endoctrinement ». (Al-Jabri, La raison politique en islam, p. 32).

Remarque:

De nombreuses plumes de l’arène arabe ont traité cette théorisation avant 2011, comme si la question n’avait été rien d’autre qu’un luxe intellectuel pour Al-Jabri. Toutefois, ce que les événements, c’est-à-dire les événements du « printemps arabe », ont révélé, est le même message que celui qu’Al-Jabri défendait. La situation politique en Libye est la principale application pratique, ou le modèle de terrain, qui traduit pour le lecteur ce qu’Al-Jabri défendait sur les effets de ces trois déterminants, car le déterminant tribal était tout aussi présent que le déterminant  du dogme (la soi-disant « fatwa de Qaradawi » comme exemple).

MISSION:

Selon Al-Jabri la pensée arabe contemporaine a pour mission d’opérer les transformations suivantes:

1) la transformation de la tribu dans notre société en «non tribu», c’est-à-dire en une organisation civile, politique et sociale, telle que les partis, les syndicats, les associations et les institutions constitutionnelles, qui reconnaît la séparation entre le pouvoir de l’État et le mouvement de la société civile:

«Transformer, dit Al-Jabri, le système tribal en régime civil politique et social (partis, syndicats, associations, institutions constitutionnelles, etc). Il faudrait en somme, créer une société fondée sur la séparation nette entre l’establishment politique (l’État et ses organismes) et la société civile (institution et organismes à caractères sociales indépendants de l’appareil de l’État. C’est la seule voie susceptible de créer un véritable espace politique… etc».

2) «Transformer le butin en une économie fiscale, de sorte que l’économie rentière dominante dans la plupart des pays arabes devienne une économie productive, assurée par la création d’une communauté économique régionale arabe, qui aille dans le sens de l’unification des Nations arabes: c’est là une condition sine qua non pour un tout développement réel».

3) Transformer la doctrine en «simple opinion», c’est-à-dire à se débarrasser de la pensée sectaire fanatique qui revendique le monopole de la vérité, pour laisser place à la liberté de pensée et au désaccord:

«Transformer le dogme en simple opinion, en établissant la liberté de penser et le droit à la différence, et en s’émancipant du joug de la pensée doctrinale, sectaire et du groupe (religieux, partisan ou ethnique), et partant laisser libre cours à la raison et à l’esprit critique. La pensée arabe contemporaine devrait donc avoir pour mission la critique de la société, de l’économie, de la raison théorique et de la raison pratique/politique ». (Al-Jabri, La raison politique en islam, p.319).

Tout cela ne peut se faire que si la conscience de la « nécessité de la démocratie » est marquée par la conscience des origines et des fondements du despotisme. Cela implique le dépassement de l’autoritarisme, la démocratisation de l’État et de la société, l’introduction de valeurs telles que l’effort, le mérite et la créativité, ainsi que l’adoption des principes du monde moderne dans l’économie, la politique et la culture. Tels sont les principaux objectifs qu’Al-Jabri n’a cessé de défendre au cours de sa longue carrière de pédagogue, d’activiste et d’intellectuel d’une rare envergure.

Un bloc historique.

Al-Jabri déclare, par ailleurs, qu’il est nécessaire que les idéologies arabes convergent ou forment ce qu’il appelle un «bloc historique», ce qui signifie selon lui « non seulement le rassemblement ou la rencontre de différentes forces sociales, mais aussi leur alliance, ainsi que la rencontre de différentes forces intellectuelles (idéologies) avec ces forces sociales et leur alliance pour une cause (…). Ici, la pensée devient une partie d’une structure globale et pas seulement le reflet ou l’expression d’une structure ».

Certains critiques font remarquer que si ce « bloc » est considéré comme une nécessité historique, Al-Jabri n’explique pas comment des courants idéologiquement si opposés peuvent se réunir en un seul bloc. Pour Al-Jabri, il existe des possibilités de dialogue et que la culture démocratique doit avoir la priorité.

Les tentatives de réforme devraient être portées par tous les acteurs après l’échec lamentable des mouvements pan-islamistes et pan-arabes. Compte tenu des immenses obstacles, aucun acteur ne peut relever tous ces défis en faisant cavalier seul.

Al-Jabri souligne, par ailleurs, que ce « bloc historique » a été atteint lors de la révolution abbasside contre les Omeyyades, à laquelle ont participé toutes les forces sociales, y compris les Arabes, les chefs de tribus arabes, les dignitaires perses, les paysans, les artisans, les commerçants, les pauvres et les riches. Toutes les idéologies opposées, telles que la mythologie des abbassides et alaouites et les juristes, s’associaient à ces forces et à la « nécessaire compatibilité » entre dogme, tribu et butin pour former un triptyque représentant la raison politique arabe. Cependant, comme les Abbassides ont exploité cette fusion sociale pour consolider les piliers de leur domination, prélude à la tyrannie et à la corruption, la question qui devient ici nécessaire se pose : comment atteindre ce « bloc historique » sans laisser les choses redevenir ce qu’elles étaient à l’époque des Abbassides ?

La raison morale.

En ce qui concerne « la raison morale », Al-Jabri a constaté qu’il n’est pas possible d’appliquer à cette raison, qui est aussi une pratique, la trilogie de la raison théorique (Bayan, Irfan et Burhan) ni même la trilogie de la raison politique (tribu, butin et dogme), et ce pour deux raisons : – la peur de la répétition ; Al-Jabri a passé en revue les valeurs éthiques présentes dans les quelques écrits moraux arabes en utilisant l’approche structuraliste qu’il a toujours suivie, qui est basée sur l’utilisation du concept de « système » et renvoie donc à l’idée de « structure » ou de « constante et variables ». Il a constaté que le système éthique arabe a commencé à se cristalliser à la fin de la période Omeyyade chez les écrivains des califes, jusqu’à ce qu’il se résume aux valeurs d’« obéissance », de « bonheur » et de « mortalité ». Il a remonté ces valeurs jusqu’à leurs origines : l’« obéissance » trouve son origine dans l’éthique persane, le « bonheur » dans l’éthique grecque et la « mortalité » dans l’hermétisme. Historiquement, l’éthique est d’abord apparue sous la forme d’une éthique persane basée sur le concept d’« obéissance », puis l’éthique du bonheur est apparue avec la traduction de la tradition grecque. Le soufisme était porteur de la valeur gnostique de la mortalité. Il était nécessaire de faire revivre le patrimoine arabe pur, en réaction à la littérature éthique qui dominait les valeurs susmentionnées, dans la mesure où ce patrimoine indiquait un champ de valeurs centré sur la valeur de la « chevalerie ». Cette valeur est devenue compatible avec la valeur des valeurs du patrimoine éthique islamique : les « bonnes actions ».

Conclusion.

La méthode intellectuelle d’Al-Jabri a suscité et suscite encore de nombreuses critiques et controverses dans le monde arabe. Les critiques les plus connues et les plus anciennes sont probablement celles des disciples d’Al-Jabri, comme Kamal Abdul Latif, Salem Yafut et Taha Abdul Rahman, ainsi que celles de Faisal Darraj et Hassan Hanafi à l’encontre du rationalisme et du projet de renaissance d’Al-Jabri. La critique la plus virulente et la plus célèbre dirigée contre Al-Jabri était «La critique de la critique de la raison arabe» de Georges Tarabishi, qui a également été critiquée. On peut donc dire que le projet d’Al-Jabri a atteint le stade de la « critique de la critique de la critique ». Par ailleurs, il existe de nombreuses autres tentatives, toutes basées sur l’influence positive du projet d’Al-Jabri, quels que soient ses défauts. En résumé, Al-Jabri a jeté un gros pavé dans la mare de la pensée arabe contemporaine.

*Enseignant-chercheur à Paris