Bilan mitigé des droits et libertés au Maroc (Rapport du MMDH)

Le Médiateur pour la démocratie et les droits de l’homme (MDDH ) vient de publier son rapport sur la situation des droits et libertés au Maroc, et plus précisément dix thèmes choisis. Ce choix ne signifie pas que ce sont les sujets les plus saillants en matière des droits au Maroc ; d’autres thèmes, tout aussi importants, ont été largement débattus par le mouvement des droits de l’Homme et les médias.

Le « Médiateur » a arrêté son approche concernant le droit à la vie, sur la base de la jurisprudence récente pertinente des Nations unies et les recommandations adressées aux États parties par ses divers organes et notamment la récente Observation générale n° 36 du Comité des droits de l’Homme. Cette décision a porté sur les violations pouvant porter atteinte au droit à la vie et causant des décès prématurés, en raison de législations et de politiques publiques inéquitables, de la faiblesse des services publics non adéquats aux besoins des citoyen-ne-s et du développement de la vulnérabilité économique, sociale et psychique. Ce qui implique une autre approche de la responsabilité des gouvernements au sujet de la protection du droit à la vie, limitée jusque-là à la peine de mort, ou aux décès dans des lieux de privation de liberté, ou en lien avec les libertés de réunion et de manifestation pacifiques, ou en rapport avec l’interruption volontaire de grossesse.

Selon le chef du gouvernement, le chiffre global des associations déclarées en 2019 auprès des autorités locales est de 209. 657, contre 130. 000 pour l’an 2016 et 116. 000 pour l’année 2014. Ce tissu associatif est actif dans différents domaines, dont 6. 500 agissent dans le domaine des droits de l’Homme.

Le Médiateur a relevé l’intérêt du Parlement pour la liberté associative. Une centaine de questions a été ainsi adressée au gouvernement en 2019, montrant le niveau de préoccupation de l’institution législative et témoignant des difficultés et des contraintes du mouvement associatif. Ce nombre relativement important dévoile enfin les limites du cadre législatif actuel et la nécessité absolue de sa modification pour répondre aux standards internationaux des droits de l’Homme en la matière.

Le Médiateur présente dans ce rapport sa lecture du jugement relatif à la dissolution de l’association Racines, qu’il considère comme le fait majeur de l’année 2019 ; ce tournant qualitatif dans la gestion de la liberté associative, va probablement avoir des effets sur le processus de réforme du cadre juridique que le gouvernement promet depuis dix ans.

Le Médiateur a considéré que la justice a été saisie pour obtenir un jugement de dissolution de l’association qui manque de fondements juridiques : l’association mise en cause a d’une part nié tout lien avec l’activité invoquée par le Parquet général pour demander la dissolution et d’autre part, le parquet n’a pas pu présenter de preuve irréfutable du lien de Racines avec l’activité.

Pour répondre aux questions des différents acteurs concernant la liberté de rassemblement et de réunion pacifique, le gouvernement s’appuie sur une « rhétorique de chiffres », une approche quantitative : le fait de manifester est devenu une pratique normalisée, et l’intervention des forces de l’ordre pendant les dix premiers mois de l’année 2019 n’a touché que 941 manifestations sur un chiffre global de 12.052.

Mais cette affirmation ignore des évolutions inquiétantes et des paradoxes que Le Médiateur a relevés : Le recours, de temps à autre, à l’usage disproportionné de la force lors de la dispersion de certaines formes de contestation et aux arrestations, suivies de poursuites judiciaires pour manifestation non autorisée ; La non-exploitation de certains membres des forces de l’ordre des compétences professionnelles acquises lors des formations et des programmes de renforcement des capacités et des équipements fournis; la restriction arbitraire des activités des associations conduit à un surplus de tension générant la violence et la contre-violence dans un contexte de faible encadrement et d’une moindre médiation des différentes formes de protestation; la persistance du vide juridique alors qu’émergent des nouvelles formes de protestation.

Malgré la consécration par la constitution de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression avec les garanties nécessaires, et bien que le Code de la presse et de l’édition a intégré de nombreuses revendications du mouvement des droits de l’homme et des professionnels des médias, la pratique démontre les limites dans la protection de liberté d’opinion et d’expression, comme le démontrent les cas du procès des quatre journalistes, le procès d’Omar Radi, la mise sous scellés de domicile (al-adl wal-Ihssane)

En ce qui concerne la liberté de presse, la liberté d’opinion et d’expression est confrontée à des défis réels. Si la loi 88.13 ne prévoit pas de peine privative de liberté, le dernier paragraphe ouvre la voie à la possibilité du recours à d’autres lois comme le Code pénal, la loi anti-terrorisme et d’autres lois pour les questions afférentes à la presse et à l’édition.

L’Etat marocain considère que la minorité religieuse des juifs marocains, estimée entre 3000 et 3500 citoyen-ne-s, constitue une partie authentique du tissu religieux et social marocain. Outre cette reconnaissance, l’Etat leur garantit la liberté de pratiquer leur culte et la protection des lieux de culte (près de 94 synagogues) ; il leur garantit aussi le droit à un système juridique spécial en matière d’état civil. Parallèlement, l’État marocain garantit les mêmes droits aux chrétiens étrangers dont le nombre est estimé entre 2000 et 6000, pour pratiquer leurs rituels religieux au sein des églises officielles (37 églises catholiques)  et pour organiser les cérémonies funéraires selon leurs propres rites.

En contrepartie, la liberté d’exercice des pratiques religieuses par les autres minorités (Marocains de confession et de religion autre que l’Islam ou le rite malékite ou des Marocains sans religion) reste limitée puisque le citoyen né musulman n’est pas autorisé à se convertir à une autre religion, ce qui l’oblige à une pratique secrète, ou à une dissimulation de sa foi dans un environnement peu tolérant.

Malgré l’article 3, qui « garantit à tous le libre exercice des cultes », la pratique montre que seuls les chrétiens étrangers bénéficient de cette protection constitutionnelle. D’autant plus que le Code pénal (articles 200 et 220) et le Code de la famille (articles (39 et 332) sont en contradiction avec la constitution qui reconnaît la liberté de pensée, d’opinion et d’expression, ainsi que l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

  • L’égalité entre les sexes ainsi que les différents droits humains des femmes demeurent un engagement gouvernemental sans effectivité. Malgré l’interdiction constitutionnelle de toute forme de discrimination sur la base du sexe, et malgré l’engagement du Maroc à mettre en conformité ses lois avec la convention internationale pertinente et à mettre en œuvre les objectifs du développement durable de 2030, les indicateurs se rapportant à la garantie de la justice de genre au niveau des lois et de l’égalité entre les deux sexes dans la vie politique et économique, reflètent encore la persistance de cette discrimination, comme indiquent les indicateurs suivants: 57 % des femmes ont été victimes d’au moins une forme de violence pendant l’année 2019; la persistance du mariage des enfants puisque les chiffres disponibles jusqu’au début de l’année 2019 font état de 26.240 cas sans compter les mariages illégaux des enfants; la représentativité des femmes au sein du gouvernement actuel atteint 17% à raison de 4 femmes sur un total de 24 membres; la représentativité des femmes au sein du parlement est de 21% à raison de 81 femmes sur un total de 395 sièges; la représentativité des femmes au sein de la Chambre des conseillers est 10% à raison de 12 femmes sur un total de 120 sièges; la représentativité des femmes au sein des postes supérieurs au titre de l’année 2019 est estimée à 11 % à raison de 18 postes pourvus par des femmes sur un total de 143 postes; l’absence totale de femmes lors des nominations aux postes de Wali et de gouverneur au titre de l’année 2019.

Le nombre des établissements pénitentiaires en 2019 a atteint 77 établissements et la population carcérale est estimée à 85.765 prisonniers dont 34.698 prisonniers et prisonnières en détention provisoire, alors que le nombre des prisonnières est évalué à 1982 contre 83.783 prisonniers. Le nombre des enfants accompagnant leur mère est de 86 enfants ; le nombre des prisonniers mineurs est de 1395 ; celui des prisonniers ayant plus de 60 ans a atteint 1369 alors que le nombre des prisonniers étrangers est de 1127.

Compte tenu des données présentées ci-dessus, la capacité d’accueil globale jusqu’en septembre 2019 est de 159.505 mètres carrés, ce qui amène la superficie pour chaque détenu à 1.86 mètre carré alors que les normes européennes imposent un espace de vie d’au moins 4 mètres carrés pour chaque prisonnier.

Depuis la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et du protocole y afférent, le Maroc a œuvré pour la protection des droits de cette catégorie et a pris des mesures importantes, notamment l’adoption de la loi-cadre 97.13 et la création d’un mécanisme national de protection et de recours auprès du Conseil national des droits de l’Homme.

Six ans après la publication de la loi-cadre dans le Bulletin officiel, le gouvernement tarde toujours à élaborer et publier les textes réglementaires de ladite loi, la vidant de sa teneur, freinant ainsi l’impact de ses dispositions comme la création d’un comité national chargé « du suivi de l’application des différentes stratégies et programmes en relation avec la promotion des droits des personnes en situation de handicap et de la préparation d’un rapport annuel « .

En conséquence, le gouvernement doit accélérer la promulgation des textes réglementaires spécifiques à la loi-cadre 97.13 sur la protection et la promotion des droits des personnes en situation de handicap et mettre en conformité la législation et certaines lois de manière à ce que la privation de mesures de discrimination positive puisse constituer une forme de discrimination

Malgré les efforts déployés par le Maroc en matière de protection et de promotion des droits des migrants et des réfugiés, l’application des engagements volontaires liés à la convention y afférente, est confrontée à plusieurs défis qui impactent négativement la situation des migrants et des réfugiés au Maroc. Dépasser la confusion institutionnelle qui marque la gestion de la politique d’immigration après l’élimination du secteur qui était en charge de la question à la date du 09 octobre 2019 afin d’assurer l’achèvement du processus des réformes relatives à cette question, le gouvernement doit à cet égard poursuivre les efforts pour dépasser les obstacles de gestion au niveau des administrations territoriales qui entraînent la privation des migrants du droit à la santé, à l’éducation et au renouvellement des titres de séjour ; Œuvrer à la mise en conformité de la loi 03.02 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc avec les dispositions constitutionnelles et les engagements internationaux du pays.

Malgré la ratification du Maroc de certaines conventions internationales ainsi que l’expérience accumulée par la Commission nationale de protection des données personnelles (CNDP), cet engagement national doit être renforcé et le pays est appelé à redoubler d’efforts pour élaborer des politiques et des procédures modernes compatibles avec les évolutions récentes en matière de protection des données personnelles et du droit à la vie privée. Des réformes législatives, institutionnelles et organisationnelles sont ainsi urgentes, car le cadre juridique actuel n’est plus en mesure d’assimiler les évolutions du monde numérique.

En conséquence, l’amendement de la loi 09.08 devient nécessaire et doit se conformer aux nouvelles dispositions des conventions internationales ratifiées par le Maroc et aussi aux dispositions de la constitution de 2011, en garantissant l’autonomie de la CNDP, installée en vertu de l’article 27 auprès du chef du gouvernement, et lui conférer un statut juridique similaire aux instances de bonne gouvernance stipulées dans les articles 161 à 170 ou en la dotant d’une base juridique avancée lui permettant d’élargir ses attributions.

La protection des données personnelles et du droit à la vie privée se heurte encore à des contraintes et à des défis. La pratique révèle de nombreux dépassements et violations perpétrés par des institutions publiques et privées, par des individus et par des médias. Ils reflètent une très faible prise de conscience de la société dans son ensemble, ce qui engage la responsabilité de tous dans la protection des données personnelles et le respect de la vie privée de tous.