Par: FOUZIA ELBAYED *
Notre recherche vise à étudier la relation entre les éléments de la nature émanant de l’environnement, leur signification, et leur réflexion sur l’expression artistique. On ne va nullement traiter les droits à l’eau comme élément essentiel à la croissance économique, à la santé humaine, à l’environnement et à l’assainissement adéquat dans leur vision politique et scientifique, centres d’intérêt des hydrologues, s’intéressant à anthrop’eau ou l’anthropologie de l’eau afin d’instaurer un développement durable et une gouvernance rationnelle des ressources et un accès équitable à l’eau potable aujourd’hui un défi majeur pour les gouvernements.
La dimension anthropologique de l’eau à laquelle nous portons un intérêt dans notre intervention a ses caractéristiques culturelles dans une approche picturale, muséographique et folkloriste qui correspond aux représentations que certains chercheurs en sciences de la nature peuvent avoir des contributions potentielles de l’anthropologie. Comment les artistes ont représenté la transparence de l’eau, son évanescence ? Comment faire valoir ce qui est aléatoire et fuyant ? Quels sont les artistes qui ont utilisé l’eau dans leur ouvrage comme un matériau à part entière ?
L’eau et ses formes
L’eau comme composant chimique ubiquitaire présent partout sur la Terre, essentiel et nécessaire à la vie, l’un des quatre éléments avec l’air, la terre et le feu, prend plusieurs formes: eau de pluie, eau de mer, eau salée, eau douce, eau calme et tranquille des lacs, eau tumultueuse des rivières, eau solidifiée en glace, eau évaporée en brouillard, vapeur… La recherche d’eau liquide ailleurs que sur Terre est une partie importante du travail effectué dans le cadre de la recherche de vie dans d’autres planètes.
La symbolique de l’eau dans les mythes et les rites
Dans toutes les religions, toutes les civilisations et tous les mythes, l’eau est source de vie, un symbole universel de fécondité et de fertilité. Elle est l’origine du monde. L’eau est aussi le symbole de la vie spirituelle, le moyen de purification ou de régénérescence. L’usage rituel de l’eau sous la forme de l’ablution, de l’immersion, de l’effusion est commun à la plupart des religions. Il se rattache au symbolisme naturel de cet élément, qui exprime à la fois la mort et la régénération. Par sa transparence, elle évoque la pureté, la virginité, la fraîcheur et la fécondité. On lui octroie des valeurs médicinales et miraculeuses.
Arche de Noé et déluge
En référence au grand déluge et ses conséquences catastrophiques et à l’arche de Noé mentionné dans les livres saints des trois religions, beaucoup de récits ont été tissés fruits de l’imagination et des fables; seules des études de géologie, de paléontologie et d’archéologie peuvent en donner la preuve.
L’eau dans la mythologie gréco-romaine
Dans la mythologie gréco-romaine l’eau est toujours présente sous différents aspects: destructrice, purificatrice, source de vie, guérisseuse et protectrice.
La notion d’océan des origines se retrouve dans presque toutes les civilisations. La Genèse place le néant précédent la création du monde comme « l’esprit flottant au-dessus des eaux ». Les mythologies grecques et romaines placent l’eau comme élément primordial. Dans de nombreuses cosmogonies, l’élément aqueux sert à la création ou la recréation du monde après des déluges, comme dans la Bible ou les Métamorphoses d’Ovide.
L’eau dans les croyances populaires
La romancière française George Sand a entrepris de compiler les légendes, superstitions et traditions populaires dans «Mœurs et coutumes du Berry», «Visions de la nuit dans les campagnes» et «Légendes rustiques» (1858). Dans la lueur crépusculaire, où se croisent des personnages inquiétants et des fantômes menaçants, l’eau prend alors une dimension trompeuse et angoissante dans ses narrations.
Cinéma maritime
L’eau dans sa quiétude et son évanescence matrice de tous les imaginaires. Matériau changeant et instable est source d’inspiration et un défi technique, en aquarelle ou en encre il n’est pas un simple décor mais un protagoniste qui cache dans ses profondeurs un univers fantasmé et troublant dans la science-fiction et films à récit marin dont: Master and Commander, Pirates of the Caribbean, All is Lost, le Crabe Tambour, Captain Phillips, Le drapeau noir flotte sur la marmite : Les Révoltés du Bounty (1935), Le Récif de corail (1939), Remorques (1941), Les Cadets de l’océan (1945), Le Réveil de la sorcière rouge (1948), Le Banni des îles (1951), Maître après Dieu (1951), À l’abordage (1952), John Paul Jones, maître des mers (1956), Les Mutinés du Téméraire (1962), Les Révoltés du Bounty (1962)…
Ophélie, la jeune femme qui flotte entre deux eaux
Ophélie figure récurrente de l’iconographie romantique est un personnage fictionnel de la tragédie Hamlet de William Shakespeare. Ophélie est la fille de Polonius, chambellan de chambre à la cour du roi Claudius. Elle partage avec le jeune prince Hamlet une idylle amoureuse passionnée. Mais leur mariage est interdit puisqu’ils n’appartiennent pas à la même classe sociale. Un jour que le chambellan du roi l’espionnait derrière une tapisserie, Hamlet le tue malencontreusement. Ophélie traumatisée par le fait que son propre amant soit le meurtrier de son père se rend responsable de sa perte. Inconsolable, elle se noiera dans un ruisseau. Son destin tragique a inspiré de très nombreux artistes. Elle est considérée comme un être pur et sensible, une créature magnifique donnée à la nature.
Le thème de la noyade d’Ophélie dans la peinture
Le mythe terrible d’Ophélie morte noyée ou se donnant le trépas a passionné le monde de la peinture. Ainsi cinq grands peintres la représentent : 1-John Everett Millais, 1851-1852, 2-Eugène Delacroix, 1853, 3-Alexandre Cabanel, 1883, 4-Odilon Redon, 1900-1905, 5- Michel Cure, 1990.
Le bateau ivre
La tragique pause aquatique d’Ophélie a inspiré aussi Arthur Rimbaud parmi les plus importants poètes de la littérature française moderne. Dans Le bateau ivre, il trace une vision symboliste et sous-marine, entre les azurs verts, les bleuités mystiques et les violets, ultras et funèbres… Nous vivons là, en direct, une «noyade régressive», après une longue remontée, ou plutôt descente, vers la mer(e), en apnée l’inverse de notre naissance.
Selon Edgard Allan Poe, la pensée poétique d’Arthur Rimbaud dans «Le bateau ivre» est une immersion dans le langage à la limite de deux eaux, celle de la signification des mots, phrases, inférences etc… et celle du sens incommunicable de sa conscience, dit autrement ce poème est un des rares textes où l’on peut faire l’expérience du passage immémorial entre le moment vécu et le moment évoqué, nous fait tenir la tête hors de l’eau de tout raisonnement.
L’eau dans sa quiétude et son évanescence matrice de tous les imaginaires. Matériau changeant et instable est source d’inspiration et un défi technique, en aquarelle ou en encre il n’est pas un simple décor mais un protagoniste qui cache dans ses profondeurs un univers fantasmé et troublant dans la science fiction et films à récit marin. L’eau, de par sa symbolique, est un élément prédominant dans l’art. Longtemps stylisée, il a fallu attendre les progrès techniques pour pouvoir rendre sa puissance plastique.
La psychologie de l’eau
Gaston Bachelard (1884-1962) dans « L’eau et les rêves » 1956, est le premier à avoir pris comme principal sujet de recherche l’imagination de la matière. « À l’écoute de l’eau et de ses mystères, Gaston Bachelard entraîne son lecteur dans une superbe méditation sur l’imagination de l’eau. Son domaine s’élargit, le philosophe se laissant davantage guider par les images des poètes, s’abandonne à sa propre rêverie. Des eaux claires, brillantes où naissent des images fugitives, jusqu’aux profondeurs obscures, où gisent mythes et fantasmes ».
La personnification de l’eau
Dans les « eaux composées », Bachelard traite de l’équilibre des liqueurs, de l’eau qui brûle, de l’eau pénétrée par la nuit, de la terre imbibée d’eau. Remontant vers les archétypes symboliques, il montre l’eau, le liquide comme nourrissants, abreuvant et souligne leur caractère maternel, féminin. L’eau est aussi lustrale, moyen de purification ; il existe une « morale de l’eau ». Il consacre des chapitres à la “suprématie de l’eau douce » et à l’ «eau violente », et évoque enfin l’eau murmurante, l’eau qui parle. La personnification de l’eau qui entoure le monde, incarne la fécondité féminine de la mer issue des amours du ciel et de la terre (Ouranos et Gaïa)
Eau et pathologies
La recherche scientifique a montré l’intérêt des prises en charge à médiation corporelle dans la schrizophrénie. Ex: L’immersion subaquatique comme outil thérapeutique : Réflexion à partir de cas cliniques. Comme illustration Le Cri œuvre expressionniste de l’artiste Edvard Munch réalisées entre 1893 et 1917 symbolisant l’homme moderne emporté par une crise d’angoisse existentielle.
L’eau dans la peinture
1- « La Vénus » de Boticcelli montre un paysage aquatique avec une coquille et Vénus au-dessus de l’eau. 2-Léonard de Vinci étudie les phénomènes liés à l’eau comme dans « le déluge » 3- « La chute d’Icare » Pieter Brueghel l’Ancien 1558 montre un effet de lumière sur l’eau auréolé de teintes jaunes. 4- L’enlèvement d’Europe de Pierre-Paul Rubens, peintre baroque flamand (1577-1640), avec un effet de profondeur avec les nuages qui se reflètent dans l’eau dont le mouvement accentue l’effet dramatique de la scène.
5- L’eau est présente dans le radeau de la Méduse de Géricault. Il y a des vaguelettes dans la partie inférieure gauche qui montrent l’agitation de la mer. A l’arrière-plan, d’énormes vaguent paraissent menacer le radeau.
De la renaissance à l’art baroque à la période romantique, à l’impressionnisme chez Renoir La grenouillère ou Monet Les Nymphéas, l’eau devient un prétexte pour entrer dans la picturalité avec des effets de touches et de traces de peintures qui envahissent la toile pour un effet plastique nouveau.
Fontaines et jardins
L’eau dans les jardins du château de Versailles ou de l’ALHAMBRA on y voit le bâtiment se reflétant dans l’eau en offrant une composition parfaite. Les fontaines enchantent les jardins.
Les fontaines et l’art urbain
Les fontaines du Château de Versailles: l’eau est maîtrisée et sa mise en scène devient un art qui a atteint son apogée. Comme cette Fontaine à Aix-la-Chapelle trônant au centre de la grande place du marché fait face à l’hôtel de ville. Elle est surmontée de la statue de l’empereur sans son cheval. C’est une installation en bronze, élément du patrimoine et source d’attraction touristique.
L’eau dans les installations
La sculpture Three Heads Fountaine (Three Andrews) de Bruce Nauman, à mi-chemin entre poésie et morbide, est susceptible de provoquer un malaise chez le spectateur. Trois têtes d’homme identiques, recouvertes de cicatrices, alimentées par des tuyaux et transpercées de minces jets d’eau, sont suspendues par le cou. Ces tuyaux évoquent-ils ceux par lesquels respire un modèle lors du moulage d’une sculpture, alors symboles de sources de vie, ou bien est-ce des injections létales vectrices de mort ?
En conclusion on peut affirmer très clairement que l’eau en liquide, en valeur ou solidifiée, en lac, en eau douce, en rivière ou en mer est omniprésente chez les artistes à travers les siècles de la production artistique dans leurs représentations.
*Ecrivain, critique d’art et journaliste