Le professeur en médecine interne et pathologie infectieuse, Majida Zahraoui, a mis la main à la pâte pour lutter contre le Covid-19 dans les hôpitaux Moulay Youssef, Sidi Moumen et la clinique De Vinci à Casablanca. Elle nous raconte comment les médecins marocains ont vaincu cette pandémie.
Au-delà des chiffres, quelle est la situation de la crise épidémiologique au Maroc?
Grâce à Dieu, on a dépassé le pic de l’épidémie et on est maintenant en phase de dégression soutenue à condition qu’il n’y ait pas de problèmes accidentels comme ce qui s’est passé dans les clusters. C’est dire combien la vigilance de la population demeure extrêmement importante pour maintenir le rythme de cette courbe descendante. Les centres hospitaliers et les autres services de l’Etat ont réalisé un parcours sans faute mais il faut absolument continuer dans cette voie pour éviter les foyers de contamination dans les milieux familial et professionnel qui risquent de grever lourdement les efforts déployés jusqu’ici.
Mais je pense qu’il y a toute une procédure qui va être entreprise dans les usines en matière de dépistage et de distanciation physique. Les dirigeants des entreprises qui ont repris leurs activités doivent mettre à la disposition de leurs salariés tous les moyens de prévention car il ne faut pas oublier que le virus circule toujours. Encore faut-il rappeler que la réintégration des salariés doit se faire de façon progressive car il n’est pas toujours évident de respecter la distanciation dans des lieux de travail souvent exigus.
Etant donné que les indicateurs sont au vert, doit-on, à votre avis, aller rapidement vers un déconfinement ou pas ?
On doit aller vers un déconfinement car déjà on est rassuré par le taux de mortalité qui est extrêmement faible dans notre pays. Et il ne faut pas croire que ces résultats sont le fruit du hasard et dire que le taux de mortalité est faible parce que le virus n’est pas virulent au Maroc ou évoquer le facteur température et autres.
Il faut reconnaître que notre pays dispose de scientifiques compétents qui ont été tout aussi réactifs que les autorités publiques. C’est une réactivité qui a été saluée de par le monde car en réalité, le pays s’est organisé avec la fermeture des frontières dès l’apparition du premier cas atteint de coronavirus importé de l’étranger. Le confinement a été décidé à temps alors qu’on avait recensé à peine quelques cas positifs sans oublier que l’organisation sanitaire a été tout aussi efficace avec la mise à disposition de traitements gratuits dans tous les centres hospitaliers du royaume. Pendant que la polémique sur l’hydroxychloroquine battait son plein à l’étranger au Maroc, les autorités parlaient d’une seule voix.
Il est clair que cette unicité de décision médicale nous a beaucoup aidés car la marge de manœuvre des médecins était très confortable. D’ailleurs on était tous au front et on a travaillé en réseaux et c’est le fruit de tout ce travail qui a permis d’endiguer l’épidémie.
-La polémique sur la chloroquine (association hydroxychloroquine et azythromycine) bat son plein dans le monde. Qu’en est-il entre les scientifiques marocains ?
-C’est vrai que la chloroquine fut à l’origine de moult controverses à l’étranger mais au Maroc elle n’a aucune raison d’être parce que d’abord le ministère de la Santé a tranché dès le départ sur ce protocole de traitement. Secundo, on a un taux de mortalité faible avec un pourcentage d’effets secondaires vraiment bénins. Je ne vois pas pourquoi on va polémiquer et parfois je me demande même si on parle du même médicament. D’autant que l’hydroxychloroquine est un médicament qu’on connaît depuis 70 ans et que moi en tant qu’interniste et beaucoup de mes collègues prescrivent pour d’autres maladies. Mais ce médicament n’a jamais été décrit auparavant comme étant aussi toxique et aussi mortel pour que l’on change d’avis sur son efficacité. Ceci étant, je ne vais pas dire que l’hydroxychloroquine ne présente pas d’effets secondaires car il n’existe pas de médicaments à risque zéro à commencer par le plus courant, le paracétamol (doliprane et dérivés).
-Comment avez-vous affronté le premier afflux des cas contaminés dans les centres hospitaliers ?
– Je voudrais d’abord préciser que la chloroquine n’est pas le seul médicament que nous avons utilisé car c’est tout un protocole thérapeutique qui a été adopté partout dans le royaume. Mais il faut reconnaître que ce médicament nous a permis de traverser cette crise en toute sérénité. Il est vrai qu’au début de la pandémie, nous avons connu beaucoup de tension surtout que les premiers malades arrivaient à l’hôpital dans un état très grave et ont été tous admis en réanimation et en unités de soins intensifs. Mais les conditions se sont beaucoup améliorées dès que la machine s’est mise en branle avec une surveillance stricte des patients.
Il faut rappeler que toutes les personnes testées positives au Maroc ont été hospitalisées. Ce qui n’a pas été le cas ailleurs où l’on a demandé aux gens qui avaient développé des symptômes du Covid-19 de rentrer chez eux et de prendre Doliprane en cas de fièvre. On a pris la précaution de prendre en charge tous les cas positifs car on savait qu’il y avait cette période d’aggravation qui se produit entre le cinquième et le dixième jour même si le patient était en bonne santé. Donc il fallait être très vigilant durant cette période en rajoutant de traitements symptomatiques et en mettant sous corticoïdes les malades qui en avaient besoin. Ce protocole auquel on a ajouté des anticoagulants dans une phase précoce nous a permis de traverser cette étape difficile sans trop de dégâts.
-Est-ce à dire que l’efficacité de hydroxychloroquine a été prouvée au Maroc alors qu’elle est très contestée sous d’autres cieux ?
-Bien sûr qu’elle a été prouvée et les résultats cliniques en matière de taux de mortalité et de guérison en est la preuve incontestable. Nous avons suivi de très près les études des scientifiques chinois et celles entreprises in vitro par l’équipe du professeur Éric Raoult en France. Ces scientifiques et ces biologistes ont constaté dans les laboratoires qu’en mettant en présence hydroxychloroquine avec le virus, il y avait une baisse très importante de la charge virale surtout lorsqu’on y associe l’azythromycine. Du coup, ils n’ont pas hésité à prescrire ce médicament aux malades atteints par le coronavirus aussi bien en Chine qu’à Marseille dans l’IHU du professeur Raoult. C’est sur la base de ces études qu’on a décidé d’adopter ce traitement thérapeutique qui a a été suivi d’ailleurs par des équipes maghrébines et subsahariennes. Mieux encore, l’Italie qui a été le pays le plus touché par cette pandémie en Europe a fini par recourir à la chloroquine et depuis, le taux de décès a commencé à baisser. L’Espagne aussi a adopté ce protocole et je me demande pourquoi on a fait peu de cas de l’efficacité de ce médicament dans ces deux pays.
-Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a suspendu les essais cliniques de la chloroquine et la revue «the lancet» l’a taxée de tous les maux ?
Il est étonnant que l’OMS s’érige en censeur de ce médicament qui n’a pas encore fait l’objet d’essais cliniques comparatifs sérieux. Ceci étant, l’autorité chez nous n’est, heureusement, pas l’OMS mais bel et bien le ministère de la Santé qui a validé ce protocole thérapeutique sans hésitation dès le 23 mars. Nous les scientifiques, on est persuadé que ce médicament est efficace puisqu’on a relevé ses effets positifs sur les patients au fur et à mesure du traitement.
Quant à l’étude de la revue «The lancet», elle demeure limitée car c’est une étude rétrospective qui s’est basée sur une compilation de dossiers et non pas sur l’observation directe de l’évolution des patients. Deuxièmement, les patients qui étaient traités avec hydroxychloroquine étaient dans une phase avancée de la maladie alors qu’il fallait prescrire la chloroquine dès l’apparition des symptômes. D’autant que l’aggravation de leurs cas est due à des maladies antérieures au coronavirus comme les troubles cardiovasculaires importantes et non pas au traitement par la chloroquine. Chez nous aussi, on a eu au début des malades aggravés et on les a sauvés de justesse. D’ailleurs, ce protocole marchait tellement bien qu’on s’était abstenu d’utiliser un autre traitement thérapeutique qu’on connaît aussi bien. On n’avait pas eu besoin d’utiliser cette bithérapie parce que les patients allaient très bien cliniquement. Il est vrai que la négativité du PCR (test) était variable chez les patients mais dans la mesure où ils étaient guéris cliniquement on n’avait pas de quoi s’inquiéter, ni encore moins de changer de traitement.
PROPOS RECUEILLIS PAR AHMED HAMDAOUI