Mais que Fait encore Gamal Abdel Nacer à Conakry? (Par Aziz DAOUDA)

Par Aziz DAOUDA

Quelle ne fut ma surprise quand on m’a annoncé que pour mon séjour de seulement 3 nuitées à Conakry, j’allais habiter l’Hôtel de L’Université qui s’appelle en fait Université Gamal Abdel Nacer.

Il faut revenir à l’histoire à la fois récente et lointaine de la Guinée Conakry pour comprendre ce que fait ou plutôt faisait Gamal Abdel Nacer dans ces contrées.

L’Université a maintenant quelque 60 années d’existence. Elle ne compte pas moins de 35.000 étudiants et quelque 620 enseignants. Les étudiants y représentent près d’une vingtaine de pays.

C’est une université qui se veut innovante et compétitive au service du développement socio–économique et de l’équilibre environnemental en Guinée, dans la région et dans le monde.

Construite avec le soutien de l’Union Soviétique en 1962, elle a été connue jusqu’en 1984 sous le nom d’Institut Polytechnique de Conakry. L’université est ensuite nommée en l’honneur du président égyptien Gamal Abdel Nasser. Elle a servi pendant longtemps à fournir au pays ses élites..

Ici Gamal est honoré, ailleurs il a été nommé Tigre en papier ou encore tigre de Falouga, tellement il a bombé le torse et enchaîné les défaites et les catastrophes que son pays n’a de cesse de payer jusqu’à aujourd’hui. Un excès de vision « philosophique » sans doute mal inspirée, des slogans vides, basés sur une idéologie sans ancrage ni social et encore moins culturelle ou historique, sinon le rêve.

L’Officier qui se disait libre avait, avec une bande de copains, renversé la Monarchie toute jeune en tant que Royaume. Auparavant l’Egypte avait des Sultans. Fouad II renversé par Gamal et ses amis des casernes, accède au trône en juillet 1952, âgé de seulement 7 mois et 10 jours, après l’abdication de son père Farouk.

Farouk a pensé qu’en abdiquant, laissant le trône à son bébé avec un régent qui semblait être accepté, il allait calmer l’ardeur des officiers et sauver ainsi sa jeune monarchie. Cela ne marcha pas. Farouk finit par quitter le pays dans les honneurs évitant ainsi un bain de sang et l’affrontement entre les militaires et les forces pro-monarchistes.

Les officies libres nommeront alors en juin 1953 Mohammed Naguib président de la République Arabe d’Egypte.

Une République Arabe en Afrique, héritière de la plus grande civilisation que le continent africain et le monde ait enfantée.

Gamal est nommé premier ministre en Avril 1954 mais pas pour longtemps…Quelques mois après, soit le 14 novembre 1954, le pauvre Naguib est gentiment remercié et Gamal lui succède tout naturellement. Naguib né au Soudan ira alors écrire des livres… A l’époque, faut il le rappeler?, le Soudan faisait partie de l’Egypte mais en souveraineté partagée avec le Royaume-Uni. Le Soudan sera déclaré État indépendant en janvier 1956.

Les officiers libres d’Egypte en fait, portaient un projet d’indépendance nationale, estimant que l’Egypte n’était pas libre en fait et que les Anglais avaient toujours un ascendant sur la monarchie. Il y avait aussi là et surtout un air de revanche des gens des terroirs, qu’étaient les jeunes officiers de l’armée, sur une bourgeoisie voire une noblesse cairote, qui s’exprimait beaucoup en français d’ailleurs, d’origine turque ou très proches.

Les officiers naïvement promettaient et sans doute rêvaient d’un développement économique rapide au profit de tous… Une vision un peu spéciale du communisme et d’un socialisme qui se chercha longtemps sans jamais aboutir, basée sur la doctrine du Baasiste Michel Aflak, un syrien qui allie habilement le socialisme et le panarabisme.

Michel Aflak est adepte de la laïcité et de la liberté vis-à-vis des intérêts occidentaux. Le Baas opposait subtilement le socialisme au marxisme, une façon de contenter les populations profondément croyantes, majoritairement musulmanes et pas que et pour qui le marxisme était synonyme d’athéisme. On est ici au Moyen Orient, berceau et cœur de toute les religions monothéiques…

Le Baas trouva en Gamal le tribun idéal. Ses discours enflammant, rencontreront un immense écho en Egypte et dans le monde arabe: l’armée apparaissait alors comme la sauveuse d’une nation élargie. La Nation Arabe…

Les discours de Nacer mobilisaient, embrasaient les foules chez lui et au-delà. Sa Radio du Caire alors captée en onde courte partout dans le monde dit arabe, allait jouer un rôle capital dans une propagande qui rendra leur fierté aux populations non encore sorties du joug de la colonisation dans la région.

Mohamed Abdelwahab y rajoutera une belle couche avec la chanson Douae Echark (Appel d’Orient) sur les paroles du grand poète que fut Mahmoud Hassan Ismail. C’est sans doute l’une des plus belles musiques du virtuose égyptien. Oum Kaltoum y mettra du sien en 1964 avec Ala Bab Masr (Aux portes de l’Egypte); des paroles de Kamal Echanaoui et une composition encore une fois de Mohamed Abdelwahab. Elle chantera également entre autre Ya Gamal ya Mital Alwatania (Gamal Exemple du nationalisme). Mais celui qui chanta le plus à l’occasion des fêtes du 23 juillet fut le jeune d’alors, Abdel Halim Hafez avec notamment sa célébrissime chanson Ihna Chaab (Nous le peuple).

En fait, nous sommes face à un système extrêmement bien huilé au service d’une cause qui se voulait panarabiste au service d’un régime militaire qui se voulait exportable dans l’ensemble des pays avec pour dénominateur commun la langue arabe.

La révolution se voulait égyptienne mais devait s’étendre au monde arabe. Elle va réussir à renverser les régimes un peu partout, en Iraq, en Lybie, en Syrie… Elle va chercher à déstabiliser Hassan II lui imposant la guerre des sables et la complicité dans plus d’un coup d’Eta avorté.

La fierté « arabe » était ainsi caressée dans le sens du poil jusqu’à la grosse défaite de 1967 de Gamal et sa bande…Beaucoup le traiteront alors de tigre en papier, fameuse expression rendue célèbre par Mao en 1956.

Et tout commença à s’effondrer…

Que fait donc Gamal Abdel Nacer à Conakry ?…

Il faut en fait revenir au processus difficile de l’indépendance de la Guinée vis-à-vis de la France et au début de la présidence de Sékou Touré. La Guinée est alors résolument engagée dans l’émancipation de tout un continent. La politique est ici aussi marquée par le marxisme comme en Egypte, avec la nationalisation des entreprises étrangères et une économie fortement planifiée. Sékou Touré est alors proche de Nacer comme il était aussi proche de Mohamed V Roi du Maroc qu’il considérait comme l’un des héros de l’indépendance du continent. Pour se protéger de la politique ouvertement belliqueuse de la France qui cherche à le renverser en déstabilisant le pays, il se rapproche du camp de l’Est: Union Soviétique et Chine par la suite. Sékou Touré est le premier chef d’État africain à se rendre en visite officielle en Chine en 1960. Il est donc un peu comme Nacer qui, déçu par les occidentaux, allait aussi chercher refuge auprès des soviétiques.

Voilà qui explique donc que Gamal Abdel Nacer soit toujours vivant là-bas en Guinée Conakry.