Permettez à votre modeste serviteur, une fois n’est pas coutume, d’utiliser la première personne du singulier en parlant de Si Abderrahmane El Youssoufi, qui nous quitta dans la nuit de jeudi à vendredi (28-29 mai 2020). Il est difficile de s’astreindre au strict parcours militant de l’homme qui fit d’ailleurs l’objet d’une production biographique prolifique, quand une partie de ce parcours long et néanmoins exceptionnel vous interpelle personnellement.
Aussi loin que puissent remonter mes souvenirs, ce fut à l’été 2004. Je faisais alors mes premières armes de journaliste au quotidien «Libération», organe francophone de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), sous l’aile du directeur de la Rédaction et néanmoins ami Mohamed El Gahs, quand un homme, costume-cravate, chapeau «nationaliste», fit apparition au sein de notre journal, sis Rue Emir Abdelkader, à proximité de la gare ferroviaire Casa-Voyageurs. Entouré d’autres figures du nationalisme et du socialisme marocains, tels Mohamed Elyazghi, Fqih Basri, Abdelouahed Radi, il salua un à un les membres de la Rédaction, avec ce mémorable sourire qui ne le quitta jamais, malgré les séquelles d’un parcours qui ne fut pas un long fleuve tranquille.
De cette époque, date la gestation d’un nouveau Maroc réconcilié avec ses enfants, et surtout en rupture avec les tristement célèbres années soixante-dix qui firent couler autant d’encre que de larmes…
Qui d’autre que Si Abderrahmane, figure emblématique de l’opposition, pouvait couper les ponts avec le passé des arrestations abusives et des détentions arbitraires et jeter, main dans la main avec feu Hassan II, des passerelles vers ce nouveau Maroc appelé des voeux et hautes luttes du peuple marocain: ce Maroc acquis à la liberté, à la démocratie, à l’État droit, à l’égalité des chances, au partage équitable des richesses… ?
Youssoufi, l’homme clef de l’Inter-Règne
Dans les années quatre-vingt-dix, le Maroc était au bord de «la crise cardiaque». Feu Hassan II l’eût alors solennellement reconnu. Si Abderrahmane mit alors fin à son long exil cannois, en France, pour voler au secours de son pays, qu’il n’a jamais réellement quitté tellement il était resté attentif à la situation du pays qui lui donna le jour un certain 8 mars 1924, à Tanger.
Si Abderrahme fut l’homme de la situation
En février 1998, dans la Salle du Trône, Abderrahmane Youssoufi est aux côtés du défunt Roi et entouré de la nouvelle équipe gouvernementale, composée pour l’essentiel de ministres affiliés à l’USFP, dont Mohamed Elyazghi.
Une mémorable photo de famille alors prise nous changea d’une certaine idée du paysage politique, marqué jusque-là par la méfiance entre pouvoir et opposition.
Lorsque si Abderrahmane est nommé premier ministre par Hassan II, décédé en 1998, il avait alors 74 ans. Son âge et surtout ses difficultés de respiration, -il vit avec un seul poumon depuis les années quarante du siècle dernier-, ne l’empêchèrent pas d’accomplir la très difficile mission de sauvetage du pays d’une « crise cardiaque » quasi-certaine, mettant ainsi son charisme et sa riche et longue expérience politique au service de la stabilité du pays.
On comprend mieux l’estime et la haute sollicitude dont Si Abderrahmane a toujours joui auprès de Mohammed VI, du temps qu’il était encore Prince héritier et depuis que le souverain a accédé au Trône en 1999.
Le 30 juillet 2016, le Souverain illustre cette estime par un geste hautement symbolique: baptiser un boulevard à Tanger du nom d’Abderrahmane Youssoufi.
Un éminent geste de reconnaissance pour le grand Homme d’État que fut Si Abderrahmane, qui a toujours su hisser l’intérêt suprême du pays au-dessus des calculs partisans étriqués. Un grand homme d’État. Un exemple rare de probité, d’intégrité et de loyauté.
Puisse l’héritage patriotique de Si Abderrahmane servir d’exemple (et de leçon!) à la classe politique actuelle en général, et à l’USFP en particulier.
A bon entendeur, salut!